Les extraits que vous aimeriez nous faire partager !

Enocre une, pour le plaisir :

"Ah ! cruel, tu m'as trop entendue.
Je t'en ai dit assez pour te tirer d'erreur.
Hé bien ! connais donc Phèdre et toute sa fureur.
J'aime. Ne pense pas qu'au moment que je t'aime,
Innocente à mes yeux je m'approuve moi-même,
Ni que du fol amour qui trouble ma raison
Ma lâche complaisance ait nourri le poison.
Objet infortuné des vengeances célestes,
Je m'abhorre encor plus que tu ne me détestes.
Les Dieux m'en sont témoins, ces Dieux qui dans mon flanc
Ont allumé le feu fatal à tout mon sang,
Ces Dieux qui se sont fait une gloire; cruelle
De séduire le coeur d'une faible mortelle.
Toi-même en ton esprit rappelle le passé.
C'est peu de t'avoir fui, cruel, je t'ai chassé.
J'ai voulu te paraître odieuse, inhumaine.
Pour mieux te résister, j'ai recherché ta haine.
De quoi m'ont profité mes inutiles soins ?
Tu me haïssais plus, je ne t'aimais pas moins.
Tes malheurs te prêtaient encor de nouveaux charmes.
J'ai langui, j'ai séché, dans les feux, dans les larmes.
Il suffit de tes yeux pour t'en persuader,
Si tes yeux un moment pouvaient me regarder.
Que dis-je ? Cet aveu que je viens de te faire,
Cet aveu si honteux, le crois-tu volontaire ?
Tremblante pour un fils que je n'osais trahir,
Je te venais prier de ne le point haïr.
Faibles projets d'un coeur trop plein de ce qu'il aime !
Hélas ! je ne t'ai pu parler que de toi-même.
Venge-toi, punis-moi d'un odieux amour.
Digne fils du héros qui t'a donné le jour,
Délivre l'univers d'un monstre qui t'irrite.
La veuve de Thésée ose aimer Hippolyte !
Crois-moi, ce monstre affreux ne doit point t'échapper.
Voilà mon coeur. C'est là que ta main doit frapper.
Impatient déjà d'expier son offense,
Au-devant de ton bras je le sens qui s'avance.
Frappe. Ou si tu le crois indigne de tes coups,
Si ta haine m'envie un supplice si doux,
Ou si d'un sang trop vil ta main serait trempée,
Au défaut de ton bras prête-moi ton épée.
Donne."

Phèdre à Hyppolite, Phèdre de RACINE.
 
16 Septembre 2005
845
98
4 924
Paris
Les dunes ! Aux heures d'école buissonnière, que je décidai de connaître et de savourer au début de la quatrième, elles furent, avec leur sable doré et moelleux, mon ardent refuge, mon frais repaire, pendant les rudes heures des mathématiques et des chapelets du crépuscule. Sous des arbres pareils à des boules vertes, que l'on appelle là-bas des transparents, peut-être à cause de leurs branches longues et espacées, feuillues seulement aux extrémités, nous nous installions comme sous des tentes. Joyeux miradors d'où nous descendions, une fois enterrés livres et vêtements, vers le rivage, nus, délivrés de théorèmes et d'équations ! La mer de Cadix ! Quelle harmonie, quelle rayonnante clarté m'apportent ces mots ! (Et aussi, aveuglant, le sonnet de Lope :
Répandue le long de son dos sa chevelure,
qui du soleil un jour fut mépris et merveille,
Silvia recueillait le long du vert rivage
de la mer de Cadix, coquilles en sa robe...)
Seuls les enfants aveugles, appliqués et stupides du collège n'ont pas connu ces heures radieuses, pleines de vent et de sel, tremblantes du blanc des marais salants vers Puerto Real et l'Ile, et qui suffisaient à imprégner la vie entière d'une infinie lumière bleue à jamais impossible à écarter de ses yeux. Lorsque je mourrai, si toutefois mon corps n'est pas envoyé au néant par une bombe de l'Europe, ouvrez mes yeux doucement ; vous verrez vos doigts blanchir d'écume de la plage et vos ongles de sable fin ; et dans mes pupilles, comme dans deux minuscules étiers de cristal, la baie ronde et parfaite, couverte de voiles gaditanes, bordée du cercle de mes villes charmantes, où se balancent mâts et cheminées.
_ Regarde. Lui, il a déjà des poils.
_ Parce qu'il est plus âgé que toi.
_ Oui, j'ai douze ans.
_ Mais moi, il m'arrive autre chose. Vous voulez voir ?
Curieux et gênés à la fois, car nous comprenions à peu près ce qui allait se passer, nous acquiesçâmes. Tout nus, nous nous assîmes en rond, à la porte du transparent. L'élève en question se tenait au centre. Aucun de nous ne disait mot. En s'asseyant, il avait dit en détachant ses mots :
_ Je suis en seconde. J'étudie la physiologie...
Il était le plus âgé de tous. Nous ne comprenions pas pourquoi il s'était joint à nous, élèves de cinquièmes et de quatrième, pour faire l'école buissonnière, ni pourquoi il était si fier de cette matière qu'il étudiait en seconde. Physiologie ! Terme étrange, qui évoquait pour nous un jardin secret, interdit. Est-ce que ce n'est pas ce qui parle de femmes nues ? Et, dans ce cas, est-il permis de l'enseigner dans un collège chrétien ? Il nous semblait bien avoir vu, mais en passant et sans nous rappeler où, de grandes planches roses représentant des corps féminins, portant l'inscription : PHYSIOLOGIE N°1, N°2...
Nous regardions, sans mot dire, l'élève qui, le visage triste et les yeux hagards, se mit à agiter son poing fermé entre ses aines ombrées entrouvertes, les doigts encore salis de sable humide et chaud. Vibrante, rampante, la griffe de lion léchait ses cuisses. Ah ! Combien de temps devrions-nous attendre pour que notre corps suscitât tel miracle ? Nous n'étions que des élèves de cinquième et de quatrième, étudiant l'histoire, le latin... Deux ou trois ans seulement, et on nous enseignerait la physiologie. Mais alors... Oh !
Ce soit-là nous rentrâmes chez nous tristes et pensifs. Tout le long du chemin, nous ne prononçâmes pas un mot. Plus tard, l'élève qui étudiait la physiologie prit ses distances et ne voulut jamais plus se joindre à nous lorsque nous faisions l'école buissonnière dans les dunes.

Rafael ALBERTI - La futaie perdue
 
16 Septembre 2005
845
98
4 924
Paris
ENCORE MOI
même provenance


Venu enfin le moment des examens de septembre, je me présentais mort de panique au lycée Cardenal Cisneros. Horribles après-midi, pires que ceux où, à Jerez, on m'avait interrogé en arithmétique et géométrie. Je fus reçu en histoire universelle, mais quant à la rhétorique... Mon dieu ! Ce manuel en usage à Madrid était plus mystérieux et plus incompréhensible que celui des jésuites du Puerto. On me questionna sur la poésie didactique ; j'entendis vaguement parler de paragoges, d'hémistiches, d'hyperbatons et de métonymies. Et, lorsque, en fin de compte, faisant un effort désespéré pour me recevoir, le professeur m'expliqua, devant mon mutisme angoissé, que "l'émotion de la collectivité donne lieu aux épinicies", je compris mieux que jamais combien il était beau et apaisant de s'élancer par les champs et les jardins avec une boîte de couleurs, les yeux débarrassés et l'esprit libéré de ce galimatias si nécessaire, apparemment, pour être un bon poète


Je ne pouvais dormir, j'avais mal à la racine des cheveux et des ongles, mon corps se vidait d'une bile jaune, je mordais mon oreiller tant me poignait la douleur. Que de choses bien réelles, dans un clair-obscur, m'avaient poussé jusqu'à me précipiter, comme un éclair crépitant, dans ce profond précipice ! L'amour impossible, blessé et trahi aux meilleures heures d'abandon et de confiance ; la jalousie la plus rageuse, capable de tramer dans l'insomnie nocturne le crime froid et calculé ; l'ombre sinistre de l'ami suicidé, comme le battant muet d'une cloche frappant sans cesse mon front ; l'envie et la haine inavouées, luttant pour sortir de moi, pour éclater comme une bombe souterraine sans soupape de sûreté ; les poches vides, incapables même de réchauffer mes mains ; les promenades sans fin, sans but, sous le vent, la pluie et la chaleur ; la famille, indifférente ou silencieuse devant ce terrible combat, qui se lisait sur mon visage, sur tout mon être qui s'écroulait, somnambule, dans les couloirs de la maison, sur les bancs des promenades ; les peurs d'enfant, qui m'envahissaient par rafales et m'apportaient encore des remords, des doutes, des craintes de l'enfer, des échos sombres de ce collège de jésuites que j'avais aimé et subi dans ma baie gaditane ; l'insatisfaction de mon oeuvre antérieure, ma hâte, quelque chose qui me poussait sans trêve à ne m'arrêter à rien, à ne pas me donner un instant de répit ; tout cela, et bien d'autres choses encore, contradictoires, inextricables, labyrinthiques. Que faire, comment parler, comment crier, comment donner forme à cet écheveau embrouillé dans lequel je me débattais, comment me relever de cet abîme de catastrophes où je me trouvais englouti ? En me plongeant, en m'enterrant plus profondément encore sous mes propres ruines, en me cachant sous mes décombres, les entrailles écrasées, les os brisés. C'est alors que j'eus la révélation des anges, non pas sous l'aspect des anges chrétiens, ayant forme corporelle, des beaux tableaux ou des gravures, mais sous l'aspect d'irrséstibles forces de l'esprit, aptes à se façonner aux états les plus troubles et les plus secrets de ma nature. Et je les lâchai en bandes par le monde, aveugles réincarnations de toutes les choses cruelles, désolées, agoniques, terribles et parfois bonnes qui étaient en moi et me traquaient.
J'avais perdu un paradis, peut-être celui de mes jeunes années, de ma limpide et toute première jeunesse, joyeuse et sans problèmes. Je me trouvais tout à coup comme dépouillé de tout, sans azurs derrière moi, ma santé à nouveau chancelante, abattu, brisé dans mon être le plus intime. Je commençai à me tenir à l'écart de tout : des amis, des réunions, de la Résidence, de la ville même où j'habitais. Hôte des brouillards, j'en vins à écrire à tâtons, sans allumer la lumière, à toute heure de la nuit, entraîné par un automatisme que je n'avais pas recherché, par un élan spontané, frémissant, fébrle, qui faisait les vers se chevaucher au point qu'il m'était parfois impossible de les déchiffrer le jour venu. Mon langage devint coupant, dangereux, comme la pointe d'une épée. Les rythmes se brisèrent en morceaux, et chacun des anges s'élevait en étincelles, en colonnes de fumée, en trombes de cendre, en nuages de poussière. Mais mon chant n'était pas obscur, la plus confuse nébuleuse prenait une forme concrète, sinueuse, telle une vipère de feu. La réalité extérieure qui m'entourait se mêlait à la mienne, ébranlait mes antres intimes avec plus de force, et, comète annonciatrice de futures catastrophes, me fasait vomir dans les rues une lave de folie. J'étais malade, seul. Personne ne me suivait. Un poète antipathique, rogue, malveillant, insupportable, d'après les bruits qui parvenaient jusqu'à moi. J'enviais et je haïssais la situation des autres, heureux pour la plupart, les uns ayant une fortune venant de leur famille, les autres des emplois leur permettant de vivre à l'aise, titulaires de chaires, professeurs enseignant dans les universités du monde entier, bibliothécaires, employés de ministères, d'offices de tourisme... Et moi ? Qu'étais-je donc ? Pas même bachelier ; un parasite dans ma famille, brouillé avec les miens, allant partout à pied, traînant dans les rues comme une feuille morte, la pluie pénétrant à travers les semelles usées de mes souliers. Je voulus travailler, faire autre chose qu'écrire. Je suppliai alors plusieurs architectes de mes amis de m'embaucher comme manoeuvre sur l'un de leurs chantiers. Comment ? Impossible. Ils croyaient à une plaisanterie, à une extravagance, à une façon de me rendre intéressant. Et pourtant j'insistais : puisatier, balayeur, le pire des travaux, le plus modeste, les plus humble... J'avais hâte de sortir de cette grotte pleine de démons, d'insomnies interminables de cauchemars.

(c'est loin d'avoir tout le temps ce ton, c'est occasionnel et même peut-être l'une des seules fois. mais je trouve ce passage assez beau, il tranche justement pas mal avec le reste. non pas parce qu'il est beau, mais parce qu'il est plus triste, tout en restant vigoureux.)
 
16 Septembre 2005
845
98
4 924
Paris
Me revoilà pour ma promenade mensuelle.

1) Janet Frame : Ma terre, mon île

Nous continuâmes à envoyer nos poèmes au Mail Minor, au Truth, et au Dot's Little Folk, et une semaine mémorable pour moi vit l'un de mes poèmes, "Floraison", consacré poème de la semaine, et l'autre "Le Crocus", également approuvé par Dot, qui écrivit : "Merci pour vos poèmes, Papillon d'Ambre. Ils dénotent un véritable sens poétique et de l'imagination. Je fais de Floraison le poème de la semaine. Je me demande cependant si les fleurs, même en poésie, rêvent de la lune. Ecrivez vite d'autres poèmes et ne m'en veuillez pas de mes critiques amicales". Elle faisait allusion à un vers contenu dans Le Crocus, "Et ne rêve plus désormais de l'amour d'une lune dorée."
Ma réponse à Dot commençait ainsi : "Bien sûr, je ne vous en veux pas de vos critiques..." Il était évident que je pensais le contraire. Si j'écrivais dans un poème que les fleurs rêvaient de la lune, eh bien les fleurs devaient rêver de la lune, et s'il y avait un doute, la faute en revenait au poème qui ne parvenait pas à convaincre, et non à l'idée. Mais, oh, combien m'étaient doux ces mots : sens poétique et imagination. C'était la première fois qu'on me disait, directement, que j'avais de l'imagination. Cette affirmation fut un moment important pour moi, et comme il arrive souvent, elle en amena d'autres, et bientôt on me dit à l'école que j'avais de l'imagination. Mon rêve de devenir un poète, un vrai poète approchait de la réalité. Restait la question de l'infirmité - Coleridge, Francis Thompson et Edgar Allan Poe se droguaient à l'opium, Pope était pied bot, Cowper dépressif, John Clare fou, les Brontë tuberculeuses et vouées au malheur. Bon, dans mon cas, ma soeur était morte, les chats étaient morts, et mon frère était épileptique, mais malgré ça et malgré mon imagination maintenant acquise ou reconnue, ma vie et moi-même, me semblait-il, étions passablement ordinaires. Je m'inquiétais de mes vêtements ou plutôt de mon manque de vêtements, de ma "silhouuuette", d'avoir ou non des "formes" et du "sex-appeal", et ayant lu Ariel, je sentais au fond de moi que Shelley me désapprouverait probablement, car il se plaignait que Harriet ne s'intéressât qu'aux chapeaux. Je résolus de ne jamais être comme la femme de Shelley. (De temps en temps il semblait que mon ambition d'être un poète se confondît avec l'idée d'en épouser un !)
J'écrivis dans mon journal : "Cher M. Ardenue, On croit que je vais devenir institutrice, mais je vais être poète."




2) Ernst Jünger, Héliopolis

Il n'y avait pas pour l'arc de but plus haut que les mots. Le centre, certes, on ne l'attendrait jamais - il se trouvait au point idéal, sans étendue. Mais l'ordonnance des flèches montrait quel était le rapport de l'auteur au but invisible. Et ceci restait, dans la suite des âges, sa vocation irrévoquable : guider avec des mots l'esprit vers l'inexprimable, avec des sons vers les harmonies silencieuses, avec du marbre vers les régions sans pesanteur, avec des couleurs vers l'éclat surnaturel. Ce qu'il pouvait atteindre de plus haut, c'était la transparence. Aussi, son office, au sein de l'anéantissement devenait plus nécessaire que jamais.
Lucius rangea le volume, après lui avoir donné un dernier regard. Qui pouvait savoir dans quel proche avenir il était voué, lui aussi, à servir de pâture aux flammes, dans cette ville où les formes ennemies étaient aussi proches l'une de l'autre que les vieilles tours de Florence ? Et l'attitude devant les biens terrestres était devenue étrange ; il fallait en détacher son coeur à temps, afin qu'il ne fût pas trop grièvement touché par leur perte. Mais pourtant, il y avait là un charme plus fort. Il devenait évident que rien dans les choses ne pouvait être possédé, si ce n'est leur part invulnérable, indestructible. N'était-ce pas ainsi que l'on portait son corps et les sens tissus dans sa trame - comme un vêtement emprunté ? Et cette menace suscitait un sentiment de vivre nouveau.
Il songeait à Boudour Péri et à l'impression intense qu'il avait gardé d'elle. Sa faiblesse avait caché une sorte de force, mais autre que la force qui lui était familière. C'était la force des enfants ; elle appelait les soins, la protection. Le temps faisait naître des rencontres humaines plus profondes qu'au sein de l'ordre ; rencontres telles que sur un navire dont les planches s'étaient disjointes. On était contraint de s'offrir l'un à l'autre des joies plus hautes, de se refuser des choses plus graves que naguère sur la terre ferme.
"Je vais penser un peu pour elle", décida-t-il en lui-même.


aaaayyy
 
28 Septembre 2006
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Bon, vu que je suis en train de bosser dessus pour l'anglais renforcé, je vais sortir les phrases que je trouve jolies dans "Sula" de Tony Morisson...




...well filled her with a pleasant anticipation, like when you know you are going to fall in love with someone and you wait for the happy signs

...la remplit d'un plaisir anticipé comme lorsque l'on sait qu'on va tomber amoureux de quelqu'un et qu'on en guette les premiers signes

C'est le cadeau que lui fait son amant: (trop bôôôôô^)
Especially he jar of butterfly he let loose in the bedroom
Surtout le bocal de papillon qu'il avait ouvert dans sa chambre a coucher

Maybe it was the bottom of heaven.

C'était peu être le "fond" du ciel (dans le sens le "sol du paradis")

They relaxed slowly until during the walk back home their finger were laced in as gentle a clasp as that of any two young girlfriend trotting up the road on a summer day wondering what happened to butterflies in the winter.

Puis elles s'étaient détendues, lentement, et sur le chemin du retour, leur doigt s'enlacèrent dans une étreinte aussi douceque celle de nimporte quelles amies trottant sur la route un jour d'été en se demandant ce que deviennent les papilllons en hiver
 
24 Janvier 2007
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Compiegne
Cet extrait est tiré du roman de Marc Levy, et si c'était vrai.
Ce livre ne m'a pas particulierement touché, mais un passage a retenu mon attention, et m'a surtout particulierement fait réfléchir:

C'est un jeu, tous les matins au réveil on te donne 86 400 dollars, avec pour seule contrainte de les dépenser dans la journée, le solde non utilisé étant reprit quand tu vas te coucher, mais ce don du ciel ou ce jeu peut s'arrêter à tout moment, tu comprends? Alors la question est: Que ferais-tu si un tel don t'arrivait? [...] Cette banque magique nous l'avons tous, c'est le temps. La corne d'abondance des secondes qui s'égrènent.
Chaque matin au réveil nous sommes crédités de 86 400 secondes de vie, et nous jouons avec cette regle incoutournable: la banque peut fermer notre compte à n'importe quel moment, sans aucun préavis: à tout moment, la vie peut s'arreter. Alors, qu'en faisons nous de nos 86 400 secondes qutodiennes?
 
A

AnonymousUser

Guest
La pièce s'était estompée, les murs avaient disparu. Des cavaliers surgirent, nuage de poussière s'épaississant à l'horizon. Puis des cris de terreur. Un enfant aux cheveux roux sombre, en grossiers habits de paysans, courait comme un forcené. La horde des cavaliers déferla et l'enfant se débattit en vain contre les mains qui l'empoignaient et le jetaient en travers d'une selle. Le cavalier l'emporta au bout du monde. Cet enfant, c'était Armand.

Le pays que nous venions de voir se situait dans les steppes de la Russie méridionale, mais Armand ne savait pas que c'était la Russie. Il connaissait sa mère et son père, l'Eglise, Dieu et Satan, mais il ne savait pas ce que c'était que son foyer, il ne savait pas quelle langue il parlait, ni que les cavaliers qui l'avaient capturé étaient des Tartares et qu'il ne reverrait plus jamais tout ce qu'il connaissait et qu'il aimait.

Lestat le Vampire, Anne Rice.
 
A

AnonymousUser

Guest
Iaoranamoana a dit :
Eleni, faut que je lise ce bouquin !

Oh que oui, il est vraiment excellent. Même si mon préféré restera toujours Le voleur de corps :cool:
 
12 Septembre 2005
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Thumesnil
Alors, tout à côté du mien, vient s'inscrire le visage de Médéric qui s'était rapproché sans se rendre compte que le verre captait aussi son image. Il se pencha vers moi, peut-être pour voir si je dormais. Comme je ne bougeais ni ne parlais, il put me croire sommeillante. Les yeux mi-clos, je le serveillai dans la face réfléchissante de la lanterne où passaient, emportés sur des courants de neige, nos deux visages brouillés comme en d'anciennes photos de noces. Puis tout s'éclaircit un moment, et je distinguai qu'était tendu vers moi le visage de Médéric. Une mèche de cheveux, envolée de mon bonnet, gonflée d'air, s'éleva, lui frola la joue. Immobile, les yeux fixés sur la lanterne, je le vis ôter son guant et chercher à capter la mèche folle. Il fut près de la saisir au vol, mais s'arrêta, la main en suspens, surpris de lui-même et de son geste. Son regard me révéla un étonnement infini et une tendresse douce comme on n'en voit jamais plus dans l'amour satisfait ni même dans celui qui se reconnait d'amour. Médéric semblait flotter sur des iles de neige, et j'avais cette curieuse impression que tout ce que je voyais ne se passait que dans la lanterne, que c'était elle qui inventait ces jeux auxquels nous ne prenions vraiment part ni Médéric ni moi. Mais alors elle me montra le visage de Médéric, défait, puis fermant les yeux dans le premier effarement du coeur qui lui venait.

Ces enfants de ma vie, Gabrielle Roy.
 
12 Septembre 2005
3 861
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Thumesnil
Sethe était étendue sur le dos, la tête détournée. Du coin de l'oeil, Paul D vit la masse flottante de ses seins qui lui déplut ; cette rondeur plate, répandue, il pouvait certainement s'en passer, et tant pis si, en bas, il les avait tenus comme s'il se fût agit de la partie la plus précieuse de son être. Quant au labyrhinte de fer forgé qu'il avait exploré dans la cuisine, tel un chercheur d'or qui patouille dans des alluvions exploitables, ce n'était en réalité qu'un répugnant faisceau de cicatrices. Rien d'un arbre, comme elle avait dit. Une forme d'arbre, peut-être, mais pas du tout comparable à ce qu'il connaissait, parce que les arbres étaient acceuillants, eux ; c'étaient des choses à qui on pouvait faire confiance, près de qui se tenir ; à qui parler, si on voulait, comme il l'avait souvent fait dans le temps, quand il prenait le repas du midi dans les champs du Bon Abri. Toujours au même endroit si possible, et le choix avait été difficile car le Bon Abri avait davantage de beaux arbres que toutes les fermes des alentours. Celui qu'il élut, il l'appela Frère, et allait s'asseoir dessous, parfois seul, parfois avec Halle ou les autres Paul, mais le plus souvent avec N.Six qui était doux et calme alors, et qui parlait encore l'anglais. La peau indigo, la langue rouge flamme, N.Six faisait des expériences de cuisson nocturne des pommes de terre, s'efforcant de déterminer le moment exact où placer les pierres fumantes de chaleur dans un trou, les pommes de terres par-dessus, avant de couvrir le tout de brindilles, pour que, lorsqu'ils feraient la pause pour le repas, attacheraient les bêtes et quitteraiet le champ pour retrouver Frère, les pommes de terre soient au sommet de leur perfection. Il lui arrivait de se lever au milieu de la nuit, de faire tout le chemin, et de commencer à creuser la terre à la lumière des étoiles ; ou bien il chauffait moins les pierres et y plaçait les pommes de terre du lendemain tout de suite après le repas. Il ne réussissait jamais son coup, mais les autres mangeaient quand mêmes ces pommes de terre pas assez ou trop cuites, désséchées ou crues tout en riant, crachant, et en lui donnant des conseils.

Le temps ne marchait jamais comme N.Six le croyait, si bien que, forcément, il ratait toujours coup. Une fois, il organisa à la minute près un voyage de cinquante kilomètres pour aller voir une femme. Il partit un samedi, au moment où la lune avait atteint l'endroit où il voulait qu'elle soit, arriva à la case de la belle avant le service religieux du dimanche et eut juste le temps de dire bonjour avant d'être obligé de repartir pour arriver à temps à l'appel pour les travaux des champs le lundi matin. Il avait marché dix-sept heures, s'était assis une heure, avait fait demi-tour et marché les dix-sept autres heures. Halle et les Paul passèrent la journée à dissimuler à M.Garner la faitgue de N.Six. Ils ne mangèrent pas de pommes de terre ce jour-là, ni douces, ni blanches. Etalé auprès de Frère, langue rouge flamme escamotée, visage indigo fermé, N.Six dormit, tel un mort, jusqu'après le déjeuner. Voilà, ça c'était un homme, et ça c'était un arbre. Quant à lui, couché dans le lit, et à l'<<arbre>> étendu à ses côtés, ça ne se comparait même pas.

Paul D regarda par la lucarne au-dessus de ses pieds et se croisa les mains derrière la tête. L'un de ses coudes effleura l'épaule de Sethe. Le contact du tissu sur sa peau la fit sursauter. Elle avait oublié qu'il avait gardé sa chemise. Le chien ! pensa-t-elle, puis elle se souvient qu'elle ne lui avait pas laissé le temps de la retirer ; ni ne s'était donné le temps d'ôter son jupon, et étant donné qu'elle avait commencé à se déshabiller avant de l'apercevoir sur la véranda, qu'elle tenait déjà ses chaussures et ses bas à la main, et qu'elle ne les avait jamais remis ; qu'il avait regardé ses pieds nus mouillés et lui avait demandé s'il pouvait en faire autant ; que lorsqu'elle s'était levée pour cuisiner, il l'avait déshabillée un peu plus ; étant donné la rapidité avec laquelle ils avaient commencé à se mettre nus, on aurait pu croire qu'à présent, ils le seraient effectivement. Mais peut-être bien qu'un homme n'est jamais qu'un homme, comme disait toujours Baby Suggs. Ils vous encouragent à déposer un peu de votre poids entre leurs mains, et dès que vous commencez à éprouvez une délicieuse légèreté, ils étudient vos cicatrices et vos tribulations, après quoi ils font ce que celui-ci avait fait : chasser les enfants, et mettre la maison en pièces.

Beloved, Toni Morrison.

Edit, je ne peux pas m'empêcher de revenir sur le sujet à tout bout de champ pour le relire, je le trouve trop formidable, ce passage.
 

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