Salut Mathilde, salut les Madz,
Je suis comme toi: j'oscille entre les deux selon mon humeur; là où ça se complique, c'est que j'oscille également en fonction du contexte ou de la/des personne(s) avec lequel-les je suis.
Je m'explique.
Déjà, pour ce qui est de la bienveillance envers moi-même, c'est extrêmement compliqué.
La plupart du temps, je me trouve nulle, méprisable, je me dis souvent que je ne mérite pas de vivre et que je ne suis qu'un gâchis de ressources naturelles. Je me vois comme grosse, pleine de graisse qui déborde de partout, moche avec plein de boutons, des cheveux immondes, un nez bossu et j'en passe. J'ai l'impression d'être égoïste, égocentrique, narcissique, méchante, intolérante, toujours dans la critique et le jugement... Enfin, je ne retiens que mes échecs, mes défaillances, mes faiblesses. Bref, je me déteste, et je me fais du mal à coups de restrictions alimentaires, d'excès de sport, de séances de massacre de peau ou d'auto-flagellation durant lesquelles je me répète en boucle à quel point je suis une merde, voire de vomissements provoqués ou de scarification - même si ça, ça appartient de plus en plus au passé.
Pourquoi tant de haine? Je pense que c'est parce que je suis l'aînée de ma famille, et que j'ai grandi dans un milieu privilégié mais extrêmement élitiste, où la bienveillance n'était pas forcément de mise. Comme, de surcroît, j'ai été diagnostiquée "intellectuellement précoce" à sept ans et que je me suis retrouvée avec deux ans d'avance à l'école, j'ai le sentiment que l'on a fait peser beaucoup de pression sur mes frêles épaules, sans prendre conscience que ma "surdouance" intellectuelle impliquait aussi une hypersensibilité et une hyperréactivité face aux émotions (les miennes et celles des autres). Bref, des "petites phrases", généralement prononcées par ma mère, telles que "t'es grosse, t'es moche et t'es con", "tu es pourrie de l'intérieur", ou "tu mériterais d'être lapidée", le fait que les autres élèves m'appelaient "le virus" et me répétaient qu'ils/elles me détestaient et ne voulaient pas être mes ami-es, que mes profs me répétaient que j'étais nulle, inadaptée et que je ne serais jamais vétérinaire... Tout ça n'aide pas à développer son estime de soi.
La bonne nouvelle, c'est que je me soigne: j'ai commencé il y a un an une thérapie cognitive-comportementale, qui me fait travailler sur mon estime de soi - entre autres. Et, fun fact: ma thérapeute me répète, semaine après semaine, d'être plus bienveillante envers moi-même. Mes copines du groupe de parole animé à la clinique où j'ai été hospitalisée m'y incitent également. Et, petit à petit, ça marche: déjà, je ne me fais plus vomir et ça fait plus d'un mois que je ne me suis pas scarifiée; ensuite, poussée en plus par la fatigue et le manque de temps, j'ai arrêté de compter les calories et de faire du sport cinq fois par semaine; enfin, et c'est le plus important, j'arrive de plus en plus souvent à me voir comme quelqu'un de gentil, emphatique et bienveillant envers les autres, et qui plus est drôle et intelligent. Bon, je me trouve toujours grosse et moche et je continue à me massacrer la peau, mais "la route est longue est semée d'embûches", comme ils disent.
La mauvaise nouvelle, c'est que du coup, je tombe dans l'écueil inverse: l'excès d'indulgence envers moi-même. Par exemple, au moment où j'écris, je suis en train de bouffer une tablette de chocolat. Sous prétexte d'arrêter de me restreindre et d'augmenter mes apports caloriques au repas, je me gave depuis le début du week-end. Comme sous prétexte de réduire ma fatigue et de préserver mon dos et mes tendons, je n'ai pas fait de sport pendant trois semaines. Et comme sous prétexte de m'épargner une surcharge de stress, je ne fais rien pour me trouver un appartement (alors que c'est moi qui veux absolument partir de chez mes parents). Et enfin comme, sous prétexte de me reposer, je n'ai rien fait de ma journée à part finir de lire une nouvelle et de l'Internet. C'est bien simple, si je ne me fais pas violence, je suis une loque - et bientôt une loque obèse.
C'est pour ça que je ne suis pas sûre que faire preuve de bienveillance envers moi-même soit la bonne option pour moi.
Quid de la bienveillance envers les autres? (Vous voyez à quel point je suis égocentrique: j'ai commencé par écrire un pavé pour parler de moi) Eh bien... C'est compliqué aussi.
La plupart du temps et avec la plupart des gens, je suis très - trop? - gentille; avec mes ami-es, mes collègues, les gens que je croise dehors, celles et ceux que je suis amenée à rencontrer dans l'association où je fais mon Service civique... Je me plie en quatre pour faire sourire/rire, valoriser, aider. Me sacrifiant parfois moi-même, comme lorsque je passe plus d'une heure au téléphone avec ma meilleure amie à l'écouter monologuer sur ses problèmes de couple alors que 1. Je suis crevée et je voudrais aller me coucher; 2. J'ai quitté mon copain il y a peu donc c'est une thématique qui me fait de la peine; 3. Ça fait plusieurs semaines qu'elle m'appelle presque tous les jours pour ne me parler que de ça, et ne me demande même plus comment je vais. Généralement, c'est un réflexe chez moi: aider une dame à porter la poussette de son enfant dans les escaliers du métro, dire "bonjour" aux personnes qui font la manche dans la rue, tenir la porte... En revanche, je me demande souvent si ces petits gestes ne sont pas un moyen pour moi de me donner bonne conscience, ou de m'attirer des mercis et des regards approbateurs; pourtant, ce sont des comportements naturels, mais qu'est-ce qui les sous-tend? C'est tout aussi ambigu avec les gens que je connais: d'un côté, bienveillance, gentillesse et empathie me sont la plupart du temps naturelles (sauf quand je suis vraiment de mauvaise humeur, auquel cas je veux juste qu'on me foute la paix); de l'autre, je sais aussi qu'elles me "servent" d'une part à me faire apprécier, et d'autre part à me prémunir contre l'abandon. Je me suis tellement sentie mal-aimée et j'ai tellement peur que l'on m'abandonne que je me sens obligée d'être "la plus gentille possible", quoi, quitte à ne pas m'exprimer.
Ce qui m'amène à un autre aspect du problème: je suis, la plupart du temps, dans le jugement et la critique, mais dans mon for intérieur uniquement. Je reprends l'exemple de ma meilleure amie: j'ai passé des heures à l'écouter, à l'apaiser... au téléphone ou par texto (elle habite à La Baule et moi à Paris), tout en me disant des trucs comme "elle me fait chier", "j'ai envie de lui dire de la fermer", "elle se rend compte qu'elle est complètement ridicule?". De même avec les bénévoles de l'association, qui parlent et rient très fort, et viennent souvent me demander des trucs alors que j'essaye de bosser, et à qui j'ai régulièrement envie de demander de me foutre la paix, ou alors dont je me dit qu'elles sont stupides. J'observe, juge et critique également toutes les personnes que je croise: unetelle est hyper mince et a trop de chance tandis que telle autre ne devrait pas porter de short alors qu'elle est grosse, et j'en passe. Et pourtant, en actes, je me montre "bienveillante" envers tout le monde; mais souvent avec des arrière-pensées... Et si ce n'était que du calcul? Si, dans le fond, j'étais méchante?
C'est en tout cas ce que mon comportement en famille me laisse souvent penser. Depuis leur naissance ou presque, j'ai beaucoup de mal à supporter mon frère et ma soeur. Je me dis souvent que c'est parce qu'ils sont trop bruyants, trop sales, trop chiants, trop cons... Mais si, en réalité, ce n'était pas parce qu'ils sont "trop existants", et que je ne voulais pas "partager" (mes parents, la maison, la nourriture...) Dès qu'ils sont là, j'ai une sensation de mal-être, comme si j'étais en danger, que l'on me prenait quelque chose. Pourtant, je n'ai pas l'impression de vouloir être au centre de l'attention; au contraire, j'aimerais surtout que l'on me foute la paix. D'un autre côté, je reproche souvent à mes parents de m'avoir laissée dans la merde qu'était pour moi l'école lorsque j'étais petite, de ne jamais m'avoir écoutée, comprise et respectée, y compris aujourd'hui, et de ne pas être suffisamment là pour moi. Bref, toujours est-il que j'ai traité mon frère et ma soeur comme de la merde pendant notre enfance/adolescence, et qu'encore aujourd'hui, je les vois la plupart du temps comme la huitième plaie d'Egypte. Néanmoins, lorsque ma soeur a été malade, je me suis sincèrement inquiétée pour elle et j'ai vraiment voulu l'aider et la réconforter, le tout de façon naturelle. Mais au moindre accroc, je leur parle avec un grand mépris et j'ai envie de les égorger. C'est un peu la même chose avec ma mère, à qui j'ai souvent envie de rendre au centuple tout ce qu'elle m'a dit et fait de méchant. Quant à mon père, j'ai généralement envie de le secouer pour le sortir de sa torpeur - et de le traiter d'alcoolique et de lâche, mais ça, c'est un autre problème. Bref, en famille, la bienveillance, je n'y arrive pas. Je vois ça comme un champ de bataille permanent, où soit on écrase l'autre, soit on se fait écraser - et la plupart du temps, je choisis de prendre la tangente.
Tout ça pour dire que je pense en effet que la bienveillance peut changer le monde; la juste dose de bienveillance, s'entend. Mais je ne crois pas que nous autres êtres humains soyons "programmé-es" pour être bienveillant-es; question d'instinct de survie, je suppose: "manger ou être mangé-e", tout ça tout ça. La bonne nouvelle, c'est que la bienveillance est une qualité qui s'apprend et se travaille. La mauvaise nouvelle est qu'à mon sens, elle est rarement "pure" et désintéressée; et que pour pouvoir se développer pleinement, il faut un cadre sûr et bienveillant, justement - or, dans nos sociétés, c'est plutôt rare, surtout pour les femmes...