Je me permets de faire remarquer que dans l'article, il y a écrit "Maboula" sans son nom de famille qui est "Soumahoro". Elle s'appelle "Maboula Soumahoro".
J'ai vu ce documentaire hier, et je reste mitigée. La première partie ainsi que les portraits passés sont très forts, pour constater la façon dont les Noir.e.s en France se construisent. Des enfants noir.e.s ont déjà l'idée de se teindre la peau en blanc pour être plus "joli.e.s" et mieux accepté.e.s dans la société. Et les autres enfants, non-noir.e.s, ont déjà l'idée de les rejeter pour leur couleur de peau. Les standards les touchent au berceau et les poursuivent tout au long de leur vie.
Mais d'autres parties et éléments m'interpellent dans ce documentaire :
- Les choix d'invité.e.s : qu'on choisisse d'inviter Yannick Noah, aka le mec qui te sort "black" au lieu d'avoir le courage de sortir le mot français "noir", aka le mec qui nous a offert Saga Africa qui a hanté bien des Noir.e.s en France, aka la caricature de l'homme du monde aux pieds nus, SOIT. Il a le droit de s'exprimer, c'est une voix parmi tant d'autres. Pourquoi on n'a pas vu Aïssa Maïga, Aya Nakamura, Amandine Gay, Rokhaya Diallo et d'autres personnalités noires qui auraient eu bien des choses à dire sur la façon dont on se construit et on dépasse les assignations qui nous sont posées en France ? Il y a peut-être une raison, peut-être un problème d'emploi du temps, peut-être aussi parce qu'il y a une différence de propos... Mais le résultat, c'est qu'on se retrouve avec une majorité de personnalités (je ne compte pas Pap Ndiaye, Maboula Soumahoro ou même Laetitia Helouet dedans) qui n'ose pas, si je peux dire ça comme ça, taper là où ça fait mal : on reste en surface, avec des modèles qui "savent se tenir" en quelque sorte, qui ne sortent pas du rang.
- L'absence des mouvements français. On a parlé de George Floyd, où sont passées les mobilisations contre les violences policières en France ?
On a parlé des femmes de ménage, elle était où Rachel Kéké ? Elles étaient où les femmes de ménage victorieuses de l'Ibis Batignolles ?
On a parlé du test de la poupée et de filles noires qui se construisent, il était où le mouvement nappy, ou le retour des cheveux au naturel qui a été un grand tournant dans les années 2010, et une part importante de la construction de l'identité noire en France comme ailleurs ?
Où étaient ces choses-là ?
- La partie sur le métissage. On commence quand même ce documentaire avec un test de la poupée où on constate la détestation de soi/l'acceptation difficile de soi en tant que personne noire qui démarre dès l'enfance, pour finir avec... des couples d'hommes noirs avec des femmes blanches, sans évoquer le conditionnement ni les privilèges ? Et pour dire que le métissage va tout régler ? Je ne pense pas exagérer en disant que c'est un mensonge, ni en disant qu'un couple sain ça ne se fonde pas précisément dans le but de se métisser. Et je ne suis pas dans un délire pro ou anti-métissage. Mais il faut discuter de ce dernier point : on parle de plus en plus de "black love", ou d' "amour noir" si on veut l'exprimer en français, parce qu'en tant que Noir.e.s encore une fois, on n'a pas été assez conditionné.e.s à s'aimer soi-mêmes, particulièrement les femmes noires. Combien de fois les femmes noires ont été traitées de "niafous", de "fatous", de "mamas", de "sauvages/exotiques" dans la sexualité, ou enfermées dans les rôles d' "angry black women"... Et dès lors qu'elles sortent de ces images, elles ne sont pas assez "noires". Le plus douloureux est de constater que les hommes noirs ont participé à cette image d'elles, et que leurs couples avec des femmes blanches sont parfois pour eux des moyens d'accéder à des privilèges. Je ne dis pas qu'ils ne les aiment pas ou que ça n'arrive pas chez les femmes noires, et je ne dis pas non plus que les hommes noirs n'ont pas souffert eux-mêmes d'être enfermés dans des catégories (ils ont leurs propres problématiques), mais le conditionnement est quand même bien là. Et ça ne fait pas du bien de trouver à la fin du documentaire une majorité d'hommes noirs parler de leurs couples mixtes avec des femmes blanches comme un moyen d'évolution positive.
- Partant de ces 2 points, je cherche à comprendre quel était le but de France Télévisions et d'Alain Mabanckou en co-réalisant ce documentaire. Quel était le but, et qui était la cible ?
Etait-ce un moyen de dire : ah ! Vous voyez que la France évolue ? Qui est "vous" alors ? Et qui essaie-t-on de rassurer ?
Etait-ce un moyen de dire : on a fait du chemin ! Quel chemin quand on entend encore parler du harcèlement scolaire et raciste d'Ibrahima qui est intervenu dans le documentaire, ou encore Anna-Chloé ? Quel chemin quand on constate que le documentaire est resté tout lisse et a laissé des questions enfouies sous le tapis ? Quel chemin quand on entend encore le journaliste Julien Bugier féliciter Alain Mabanckou de ne pas être tombé dans un discours "victimaire" ?
En deux heures, j'entends que le documentaire ne puisse pas aborder tous les points, qu'il ne puisse pas mettre en valeur plus de témoignages, qu'il ne puisse pas marquer les esprits plus que ça. Mais dans ce cas, une série documentaire aurait peut-être été plus pertinente, avec ça une dose de courage n'aurait pas été de trop. Parce que là j'en retiens surtout un documentaire où on essaie de parler de tout et de rien, avec plein d'angles morts et trop de frilosité. Heureusement, il y a le débat après le documentaire qui, malgré les interruptions lourdes du journaliste, a bien relevé le niveau. Merci au moins aux interventions justes de Laetitia Helouet.
J'aurais aimé aussi une liste de ressources complémentaires (de la part de France Télévisions, je précise), parce que j'adore compléter, un documentaire (et surtout celui-là) ne suffit jamais
Donc j'en mets quelques uns :
- Le documentaire "Ouvrir la voix" d'Amandine Gay, suite de témoignages de femmes noires de France et de Belgique,
- Le livre "Le Triangle et l'Hexagone" de Maboula Soumahoro, vue dans le documentaire
- Le livre "Noire n'est pas mon métier", initié par Aïssa Maïga et auquel Firmine Richard (invitée au débat) a participé
- Le podcast "Kiffe ta race" créé par Rokhaya Diallo et Grace Ly sur les questions de race et de racisme
- La série de 4 épisodes pilotée par Axelle Jah Njiké sur le podcast LSD "Je suis noire et je n'aime pas Beyoncé"
- Le film "Tout simplement noir" de Jean-Pascal Zadi. Ce n'est pas un film auquel j'ai beaucoup accroché, mais ça a le mérite de proposer une diversité de profils noirs comme on n'en voit jamais dans les produits du cinéma français.
Et je m'arrête là
Merci de ne pas citer, mentionner c'est ok !
Edit : Je regrette aussi que dans le documentaire on parle de discriminations, sans jamais mentionner QUI et QUELLES INSTITUTIONS font peser ces discriminations. On commence à peine à le faire en ce qui concerne les violences sexistes, on a parlé du black lives matter, peut-être qu'à un moment donné aussi on peut dire que ces discriminations et cette construction ne viennent pas de nulle part.