J'aimerais bien revenir sur cette partie:
"Vous savez ce que disait Jean-Luc Mélenchon du vote utile quelques mois avant le premier tour de l’élection présidentielle de 2012 ?
« Le vote utile est une camisole de force. Il culpabilise les électeurs : s’ils ne votent pas bien, c’est-à-dire pour les deux principaux partis, c’est Mme le Pen qui va passer. »
Ça c’était il y a 10 ans.
Aujourd’hui Mélenchon a changé de discours et préfère l’idée d’un vote « efficace » — c’est écrit par exemple sur un de ses tracts de campagne — à celle d’un vote utile. Bon, si c’est juste une question d’adjectif… "
Non, ce n'est pas qu'une question d'adjectif, mais de contexte. En 2012 le vote utile c'était qu'on avait le choix entre l'UMP (Sarkozy qui tenait un discours très décomplexé, le karcher, tout ça) et le PS (Hollande). La menace c'était le FN qui montait mais n'avait pas encore tout à fait atteint son objectif de dédiabolisation. Les autres partis étaient quasi inexistants: l'écologie politique avait encore du mal à faire son trou dans le débat parce que le changement climatique n'était pas entièrement admis par l'opinion publique. Le Parti communiste agonisait et avait fait le choix de s'unir dans le Front de Gauche au tout jeune Parti de gauche pour continuer à faire entendre sa voix (comme il le fera aussi en 2017 au sein de la FI).
Autrement dit, en 2012, c'était vraiment compliqué de faire entendre une autre voix de gauche. Malgré tout, le Front de Gauche avait réussi à faire 11% au 1e tour.
En 2017, concours de circonstances et stratégies diverses ont bouleversé le paysage politique. On a vu apparaître Macron qui a fait pété le clivage traditionnel gauche-droite en réussissant le tour de force de se faire passer pour un homme de gauche à "gauche" et pour un homme de droite à "droite", détruisant ce qu'il restait du PS au passage. Fillon, avec la droite, a explosé en vol à cause du Pénélope Gate. Mélenchon qui, depuis 2012 avec le Parti de gauche, et avec la France Insoumise toute neuve, essayait de recomposer une gauche française pour tous les dégoûtés du quinquennat Hollande, a frôlé le second tour. Les écolos ont fait une mauvaise affaire en se rangeant derrière Hamon qui a été trahi par ses "ami.es" socialistes qui se sont presque tous ralliés à Macron. Marine Le Pen a quasiment gagné sa bataille de la dédiabolisation, le barrage républicain n'a plus tenu qu'à un fil (pour ne pas dire à un poil de c*l).
Aujourd'hui, la recomposition du paysage politique offre ENFIN la possibilité aux gens de gauche de voter pour la justice sociale ET l'écologie. On a tous bien compris (enfin presque...) qui est Macron (aka, un libéral). A droite et plus à droite, on a Pécresse qui tient vaillamment le coup en grignotant à la droite de sa droite, mais c'est pas folichon. Zemmour a affaibli Le Pen, qu'il ne faut cependant certes pas sous-estimée, mais quand même, elle n'est plus au niveau de 2017.
A gauche, les écolos, échaudés par ce qui est arrivé en s'alliant à Hamon la dernière fois, et chauffés par leurs bons résultats aux dernières européennes et municipales et un contexte écologiste enfin porteur, tiennent bon. Le PC a été requinqué par la stratégie gagnante des 5 dernières années de la FI de remettre sur la table du débat public des sujets de justice sociale. Du coup il y va tout seul, mais c'est bien parce qu'il a besoin d'argent et de se redonner une légitimité. Poutou, populaire, continue la candidature de témoignage, et il a raison. Toutes ces stratégies s'entendent parfaitement.
Ça peut sembler être de la gymnastique intellectuelle de parler de vote efficace plutôt que de vote utile. En 2012 on a évité Le Pen: utile, mais certainement pas efficace d'élire Hollande. En 2017, à nouveau utile contre Le Pen, mais alors vraiment, vraiment pas efficace d'élire Macron. Le barrage, on l'a fait. Mais aujourd'hui les digues ont de toute manière sautées, sans même que le RN n'accède au pouvoir. Regardez le racisme décomplexé, le focus sur l'immigration, l'obsession du grand remplacement qui infiltre toute la société.
Votez pour qui vous voulez. Mais soyez conscient.e de l'opportunité historique qui s'offre à nous de mettre un gros stop à l'ultra-libéralisme mais aussi aux fantasmes ultra-nationalistes. C'est ce qu'on appelle une fenêtre d'opportunité. Et ça se présente pas souvent pour la gauche. La droite et l'extrême droite sont affaiblies, Macron a montré son vrai visage. Bien sûr y'a la guerre en Ukraine qui lui donne potentiellement une avancée parce que ça sécurise les gens de rien changer. Mais si une majorité de gens qui se sentent de gauche et écolos + une part des abstentionnistes + "les fâchés mais pas fachos" font le choix d'un même vote, alors, les étoiles peuvent s'aligner pendant ce court instant. Si on perd, on aura certes les législatives pour essayer de composer une opposition correcte pour les 5 ans à venir, qui essaiera de rien lâcher. Mais est-ce qu'on a encore le luxe de perdre ce temps à se battre contre, au lieu de construire?