Ça commence toujours comme ça, après la balade de l?après midi, deux mains qui vous chopent sous le ventre et vous plaquent à un mètre cinquante du sol sur un tabouret en bois rugueux qui vous entaille le gras des fesses, et ce satané de petit coussin dur à vous filer des lumbagos, enfin, une ballade, si on peut appeler ça comme ça, deux heures à se dépatouiller dans la boue, dans un petit carré de cour sec comme un tapis à poils ras, à croire qu?elle le fait exprès de choisir ce coin là, il y en a d?autres des petits carrés de cour dans le jardin, des verts, luxuriants, avec des arbres, des roses, où on croise des furets et des lapins, enfin il parait, parce que Bernard, il y a jamais droit aux lapins, pour Bernard c?est la boue, la crasse, la terre molle grouillant d?asticots, le sol battu, l?odeur des bottes et du crottin, parfois quelques ronces, un escargot en casse croûte de fortune, et la grosse Béthanie toujours à lui hurler dessus, au pauvre Bernard, la voix grasse et gouailleuse qui vous écorche les oreilles, allez Bernard, je t?emmène pas dehors pour que tu te roules par terre Bernard, comme si j?avais que ça à foutre de me rouler par terre dans cette cour dégueulasse, il lui faut de l?exercice à Bernard, à son âge, il faut qu?il se remue l?arrière-train, course quotidienne et régime de légumes, à croire que c?est la nouvelle mode chez les bonnes, manger des légumes, mais ces kiwis, ces putains de kiwis, ça me foutrait la gerbe ces putains de kiwis, je préfère encore rester dehors à me geler le fion contre une pierre et bouffer des rats morts, ces putains de kiwis je peux plus les voir en peinture, le vert me file la nausée, et ces dessins obscènes, ces bourgeoises qui retroussent leurs jupons sur la porcelaine, qui dévoilent leurs cuisses prêtes à s?acoquiner avec le premier venu, ça me donne envie de mordre ça, de la viande bordel, de la viande chaude et fumante, de la viande crue qui bouge entre les dents, et toujours ces putains de kiwis, à m?en faire gerber, les kiwis, c?est bon pour le cholestérol, il faut faire attention à sa ligne Bernard, comme si elle en avait à foutre de ma ligne, ça fait bien longtemps que plus personne ne me regarde dans cette maison,ah ça évidemment c?est plus facile quand je suis svelte de m?affubler de ce petit costume, de jouer à la poupée, avec cette canne et ce petit chapeau ridicule, ce maudit n?ud papillon qui m?étrangle et m?empêche d?avaler, méchant, méchant Bernard qui a encore tâché son beau costume, on l?avait fait faire sur mesure, ça va encore coûter une fortune, mais débarrassez en moi de ce putain de costume, je veux de l?air moi, de la liberté, je veux pouvoir courir dehors là où l?herbe n?est pas jaune et cramée, je veux pouvoir bouffer des lapins et mâchonner les bâtons qu?on m?envoie, pas me retrouver coincé sur cette chaise pour enfants, dans cet accoutrement stupide, devant ces assiettes abjectes, c?est pas parce qu?on est un bourgeois qu?on a du goût faut croire, à ne pouvoir que grommeler faiblement comme un vieux cabot pourri, avant, oui, avant j?avais de la voix, moi, avant j?étais un phénomène, un vrai de race moi, avec pedigree et tout le tintouin, la chasse le dimanche, des heures entières à courir à ramener des perdreaux, bon dieux ce que je pouvais aimer ça les perdreaux, mais cette satanée Béthanie, c?est un nom de bigote, ça Béthanie, je la vois bien, son gros cul planqué sous une soutane, ah ça ce serait comique, ce serait grotesque, son gros cul qu?elle gigote toute la journée derrière les fourneaux, à préparer des ratatouilles, à courir derrière le pauvre Bernard pour lui donner le bâton, je lui foutrais moi, du bâton, oh oui je lui en foutrais, je lui en foutrais des ratatouilles, je lui en enfournerais dans sa grande bouche de bonniche édentée, je lui en foutrais des tours de cour sous la pluie à crapahuter dans la boue, oh oui je la courserais , la grosse Béthanie, je lui collerais au cul, mes dents sur ses grosses fesses flasques, Béthanie, je lui en ferais bouffer, des kiwis, matin midi et soir, je lui en ferais bouffer à choper des ulcères, si c?est pas une chienne de pourriture de vie ça, se retrouver à mon âge coincé derrière une table avec un stupide bavoir à chiots brodés qui gambadent, je veux gambader moi aussi, je veux gambader, je veux vivre et qu?on me foute la paix, c?est la mort ici, enfermé sur une chaise pour môme à bouffer des kiwis, et personne pour abattre un pauvre vieux chien en train de crever.