Carnet de notes de Satet

26 Juillet 2008
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Souffelweyersheim
Le thème de la semaine m'a inspiré et en plus, j'ai eu un peu de temps. J'espère que ça vous plaira.


"Dans la peau de?"
François Tavernier, La bicyclette bleue.

"L'homme s'assis sur le banc, sortit, d'un étui de cuir brun, l'un de ses cigares, en coupa avec les dents le bout qu'il recracha devant lui, l'alluma et, songeur, regarda s'éloigner la jolie silhouette de l'amusante petite fille qui n'aimait pas la guerre."


Jolie gamine! Et quel tempérament.
Sacrée surprise! Moi qui pensais ne rencontrer que quelques bourgeoises coincées et leurs filles décidées à suivre le même chemin. Comme la fiancée de Laurent, par exemple.
Mais Elle? Elle est si différente. Elle tranche. D'ailleurs, c'est bien simple, on ne voit qu'elle. Elle attire les regards réprobateurs et méprisants des femmes, admiratifs et concupiscents des hommes. Moi, le premier.
Comment résister? Elle a la beauté du diable, les couleurs de l'enfer. Les boucles rousses. La robe de soie noire. Les motifs rouges.
Allons, François, méfiance. J'ai passé l'âge. Et Elle, elle me mènera par le bout du nez si je n'y prends pas garde. Sous ses airs d'ingénue, j'ai bien vu comme elle les fait se trainer à ses pieds, tous ces mâles. Et ils veulent tous la même chose que moi, je ne fais pas d'illusion. Je ne ferais pas le poids. Trop vieux. Pas assez beau. Cela ne suffira pas à dompter ce feu-follet. Elle attend autre chose.
Et puis, François, c'est une gamine, enfin. Presqu'une enfant.
Mais, jolie gamine, va!
 
26 Juillet 2008
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Souffelweyersheim
La première fois qu'il l'avait remarquée, c'était lorsqu'elle était venue consulter sa copie en milieu de second semestre. Le dernier étudiant venait de sortir, elle était entrée précipitamment en s'excusant de son retard. D'un geste vif, elle s'était débarrassée de son sac et de son lourd manteau de laine sombre en lui donnant son nom. Pendant qu'il cherchait sa copie, elle s'était approchée. En la lui tendant, il avait noté ses joues rosies et son souffle court d'avoir monté les escaliers quatre à quatre. Elle fronça les sourcils en voyant la remarque à propos de son orthographe. Il pensa qu'elle ne devait pas être coutumière de ce genre de choses. Il continua de l'observer. Elle étudiait attentivement chacune de ses annotations. Une étudiante brillante sans doute. Pourtant, la note n'était que moyenne. Elle lui rendit les feuilles. "Je suis sûr que vous pouvez faire mieux" lui glissa-t-il. "Certainement, Professeur", répondit-elle en le regardant droit dans les yeux. Il eut à peine le temps de noter la clarté de son regard, à l'abri derrière ses lunettes. Mais, il ne parvint pas à en déterminer la couleur.

La deuxième fois qu'il la remarqua, ce fut à son cours suivant, dans l'après-midi. Elle était adossée au mur, dans le pâle soleil hivernal. Enveloppée dans un halo de fumée de cigarette et d'air froid, elle discutait avec deux autres étudiants. Lorsqu'ils le virent arriver, ils écrasèrent leur mégot et le suivirent à l'intérieur. Le cours allait commencer. Il fit attention à l'endroit où ils s'installèrent. Les semaines suivantes, il réalisa qu'elle était toujours assise à la même place, au troisième rang du petit amphithéâtre. Entourée des deux mêmes étudiants. Souvent attentive. Parfois rieuse.

La troisième fois qu'il la remarqua, c'était parce qu'elle l'avait impressionné. Il commentait un des revirements de jurisprudence les plus récents. Il leur expliquait le contexte philosophique. Il les sentait un peu perdu devant ses digressions à propos de Kant et du principe de dignité. Il la vit se pencher vers son voisin. D'où il était, il entendait ce qu'elle disait. "Je te parie qu'il va nous parler de l'impératif catégorique". Son voisin l'avait regardée d'un air interloqué. Lui avait continué. Elle avait vu juste. Elle recommençait à chuchoter, essayait de réciter la phrase. Ainsi, son intuition se confirmait. Elle était brillante. Aucun de ses étudiants jusqu'à présent n'avait compris de quoi il parlait. A voix haute, il l'interpella. "Ah non, mademoiselle, vous oubliez les mots les plus important" et corrigea sa phrase. Elle leva la tête vers lui. Il la vit rougir sous la remarque. Et ses yeux étincelaient de colère de s'être fait prendre à l'à-peu-près. Il se retint de sourire. Et reprit son cours.

La fois suivante, il s'était fait prendre à son propre piège. C'était le dernier cours de l'année. Il avait organisé une séance de révision. Il avait mis des annales en ligne et leur avait demandé de les préparer. Comme la première fois, elle était arrivée en retard. Elle tenta de s'installer discrètement. Mais il ne la rata pas. "C'est gentil de vous joindre à nous. Vous pouvez peut-être lire le sujet et répondre à la première question". Elle commença. Il avait truffé le texte d'allusions. Elle lisait d'une voix claire, peu monocorde. Il l'interrompit "Vous avez compris les références? A votre avis, pourquoi la musicienne s'appelle Anna Magdalena?". Elle se redressa et posa son regard sur lui. "C'est une référence à la femme de Bach." Elle bénit le magazine qu'elle avait lu la veille dans lequel il y avait eu un article sur le compositeur. Elle le regardait toujours. Guettant sa réaction. Il détourna la tête. Elle se mordit les joues pour ne pas sourire. Elle était contente qu'il ne trouve rien à répondre pour une fois. Il se contenta de lui faire signe de reprendre sa lecture.

La fois d'après, elle manqua de renverser son café sur son costume clair. Elle s'excusa en bafouillant. Ses pommettes avaient virées à l'écarlate. Il s'étonna de son embarras. Jusqu'à présent, elle n'avait pas semblée être spécialement impressionnée. Cela faisait plus de six mois qu'il ne l'avait pas revue. De loin, il avait suivi ses résultats. Elle avait confirmé tout le bien qu'il pensait d'elle en majorant dans sa matière. Il avait un peu espéré la voir lorsqu'il avait organisé la consultation des copies du deuxième semestre. Mais elle était déjà partie en vacances. Puis, il l'avait oublié. Il n'enseignait pas à sa promotion pendant le premier semestre. Et il donnait la majorité de ses cours dans d'autres bâtiments de l'université.

Les fois suivantes, ce fut pendant les cours de cours de philosophie. C'était la matière qu'il préférait enseigner. Il avait toujours aimé la philosophie. Elle avait imprégné une bonne partie de sa thèse. Et puis, il avait rarement plus d'une centaine d'étudiants. La plupart du temps, son effectif tournait autour de soixante. Ça lui permettait de les faire participer. Le revers de la médaille, c'était que certains tentaient de se faire bien voir. Elle suivait ça de loin, suffisante. Assise au milieu de l'amphithéâtre, toujours encadrée par les mêmes deux "gardes du corps". Il voyait souvent sa bouche s'étirer en un sourire méprisant lorsque certains se trompaient. Ou secouer la tête d'un air hautain lorsque les étudiantes du premier rang riaient à ses blagues pas toujours très drôles. Elle ne participait que très peu à haute voix. Mais les rares fois où elle l'avait fait, elle était tombée juste. Ce qui lui avait valu quelques regards pas forcément très sympathique.

La dernière fois qu'il la vit, il la faisait passer son oral de philosophie. Elle lui tendit sa carte étudiante en lui donnant son nom. Comme la première fois. Il la cocha sur la liste. "Vous avez un très joli prénom, Mademoiselle", lui dit-il pendant qu'elle tirait son sujet au sort. Elle rougit. "Saint Augustin" annonça-t-elle. Il hocha la tête. "Soyez originale!". Originale, il en avait de bonnes pensa-t-elle. Elle s'assit sur le côté. Retira son blouson de cuir. Et entreprit de chercher en dix minutes un angle d'attaque original à Saint Augustin, puisque c'était ce qu'il lui avait demandé. Il n'écoutait que distraitement l'étudiant précédent qui débitait avec un aplomb étonnant un bon nombre de contre-vérités sur la pensée juridique d'Aristote. Il ne voyait que son profil. Ses ongles rouges dans la masse sombre de ses cheveux. Et, de temps en temps, l'éclair argenté de sa bague. Lorsque l'étudiant acheva son exposé bancal, elle notait encore frénétiquement ses dernières idées. Il lui fit signe de s'approcher. Elle commença. C'était la première fois qu'elle parlait aussi longtemps. Il réalisa qu'il aimait bien le léger voile de sa voix grave. Mais il était un peu déçu. Même s'il était évident qu'elle maitrisait les concepts qu'ils avaient étudiés, elle s'était contentée d'une synthèse des différents points de vue de quelques commentateurs. Il griffonna cependant une note plus que correcte quand elle eut fini. Elle était la dernière à passer. En la regardant quitter la pièce, il eut un léger pincement. Il quittait la faculté pour une prestigieuse université étrangère. Il ne put s'empêcher de penser qu'Elle allait lui manquer.
 
26 Juillet 2008
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Souffelweyersheim
C'était à peine s'il l'avait reconnue lorsqu'elle avait claqué la portière du luxueux coupé. Il l'avait suivie d'un regard un peu admiratif pendant qu'elle traversait l'esplanade à pas vifs. Malgré les pavés. Malgré ses hauts talons. Il l'avait vue s'adosser à l'un des piliers à l'entrée du bâtiment et allumer une cigarette. Il s'était alors décidé à la rejoindre.
Il s'approcha à pas lents. Ne sachant trop comment il allait l'aborder. Il remarqua qu'elle était au téléphone. Elle s'exprimait dans un anglais rapide quoique teinté d'un fort accent. Même ça avait changé. Son aversion légendaire pour la langue de Shakespeare.
- Okay. See you...
Elle raccrocha le blackberry.
- Gauvain!
Il fut sûr alors que c'était bien elle. La voix était toujours la même. Grave, un peu rauque, légèrement voilée. Il se pencha. Lui fit la bise, essayant de retrouver en elle quelques traces de leur passé.


Mais, hormis sa voix, la femme qui lui faisait face n'avait plus grand-chose en commun avec la jeune fille qu'il avait rencontrée il y avait dix ans. Il avait gardé le souvenir d'une grande gamine un peu ronde, un peu gauche, plutôt timide et effacée qui le regardait toujours avec de grands yeux énamourés. Elle était maintenant d'une élégante minceur, encore accentué par les sobres vêtements sombres. Combinée à son maintien droit, elle paraissait encore plus grande. Son carré structuré et sa coloration brune donnait un nouveau caractère au visage. Ils mettaient en valeur ses yeux clairs, sa peau pâle; attiraient l'attention sur l'arrête fine du nez et sur la bouche rouge. Avant, avec ses longs cheveux presque blonds, elle était comme transparente. Maintenant, on ne pouvait pas ne pas la remarquer. Même son regard avait perdu sa naïveté et l'amour éperdu qu'il avait l'habitude d'y voir. Au contraire, les yeux verts étaient emprunts d'une sérénité nouvelle. Et d'un éclat orgueilleux qu'il ne lui connaissait pas. Elle avait désormais la morgue des juristes et l'arrogance des jolies filles..
Ce matin de printemps, elle posa un regard presqu'amusé sur son ancien coup de c?ur, sur ses tempes qui s'argentaient déjà, sur son crâne qui se dégarnissait, sur cette bedaine qui s'installait. Voilà ce qu'il était devenu, le playboy.

Ils ne s'étaient pas revus depuis le jour des résultats du concours de médecine. Ils avaient échoué, l'un comme l'autre. Et pour lui comme pour elle, c'était le drame de leur vie. Il était parti faire une école de kiné dans une autre ville. Elle était restée. Avait changé d'orientation.
Lui avait fini par revenir dans le village, Avait ouvert son cabinet, épousé la fille d'amis de ses parents. Ils avaient deux enfants, une maison, un chien, un monospace. Une vraie famille Ricoré. Elle, au contraire, était partie pour la capitale. Passé son barreau, diverses spécialisations en droit boursier et européen. Intégré un prestigieux cabinet.

Elle jeta son mégot et l'écrasa d'un air désinvolte. Il eut un brusque regret. Celui de n'avoir pas su deviner le papillon derrière la chrysalide. Dans un geste de galanterie inutile, il ouvrit la porte du bâtiment.
- Ça ne te fait rien de revenir au lycée?
 
26 Juillet 2008
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Un slim brut. Des chaussures rouges. Une paire de bas couture. Un verni prune. Une petite robe noire. Un livre de Beigbeder. Un nouveau parfum. Un lisseur. Du mascara et un crayon noir. Une nuisette transparente. Une serviette moelleuse. Un foulard de soie multicolore. Du fard à paupière gris. Un pull de cachemire. Un gel douche parfumé. Un blouson de cuir et une veste cintrée. Un bracelet en argent. Une chemise de mousseline. Une trousse pleine de stylo et un petit carnet. Des bottines brunes. De la laque. Un peu de rêve.
La valise était prête. Elle pouvait le rejoindre.
 

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