Bon, un autre témoignage de l'autre côté de la scène. En tant que silencieuse voire participante.
J'ai d'abord connu le rejet, très bref et très superficiel par une bande de petites gamines stupides en CE2.
Mon amie part en voyage, on m'exclue parce que je suis trop franche, trop marginale.
J'ai mis la volée de sa vie à la meneuse, la surveillante a dit qu'elle l'avait bien mérité et ça s'est fini.
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Et comme une conne, j'ai aidé à pourrir la vie d'un type au collège.
Oui oui, après avoir souffert du traditionnel "Madame je-sais-tout" réservé aux bonnes élèves, j'ai rendu (un peu) de cette magie qu'est le rejet.
Ce garçon était d'une arrogance crasse. Du type très cultivé, fayot et qui prend les autres de haut.
Qui mérite qu'on l'évite. Pas qu'on le martyrise. Certainement pas.
(J'ai compris bien plus tard que cette arrogance n'était que la faible carapace qui le protégeait un peu contre toute cette haine)
Donc le gars est harcelé depuis tout petit. Ca se transmet des grands aux petits. Dès ton entrée au collège, on te dit "Bon, lui, c'est la tête de turc, tu peux le pourrir". Si si.
Tout le monde, tout le monde le détestait avant de le connaître.
Au début, je n'avais rien contre lui. Il était un peu con, un peu condescendant. Les populaires de la classe avaient d'autres tares.
Mais bon, j'ai participé à sa misère. Comment ?
En reculant dès qu'il m'approchait en hurlant "Aah me parle pas tu puuuues".
En levant la main en classe et en disant "Madame, il chantonne, il m'empêche de me concentrer, vous pouvez le faire changer de place."
En laissant le lover de la classe le frapper parce qu'il avait osé m'adresser la parole.
Dès qu'il ouvrait la bouche en classe, à la récrée, où que ce soit,
tous nous disions, à l'unisson : "Ta gueule".
On a un jour appelé une pionne afin de le faire virer de notre table à la cantine. Sa seule présence nous ennuyait. Alors on a dit "Il nous embête". Et il a fini par partir.
En couvrant ses bullies à base de "Non Monsieur, je jure, c'est lui qui a commencé."
J'usais de mon statut d'élève modèle lors de conseils de classe, je dénonçais son "attitude".
Je disais qu'il ne faisait rien pour s'intégrer, qu'il était désagréable.
C'était vrai. Mais j'aurais aussi dû parler de l'acharnement qu'il subissait.
Puis un jour, je me suis dit "Mais...il est juste prétentieux et un peu bête, même un peu attardé je crois. Il ne mérite pas ça. Beaucoup d'autres sont au moins aussi désagréables que lui."
Alors je suis allée lui parler.
Et il m'a envoyée bouler. Méchamment. Logique, me direz-vous.
J'en ai eu les larmes aux yeux. Je crois que j'étais vexée d'être rejetée alors que j'étais la seule charitable. J'aurais dû m'y attendre après 2 ans passés à le regarder se faire laminer.
Des gens ont vu que je pleurais.
Ils l'ont tabassé alors que je m'étais réfugiée aux toilettes. Pour le faire payer.
Une amie est venue me féliciter d'avoir réussi, sans le vouloir, à le faire frapper.
Toutes les deux, nous étions les meilleures élèves de la classe, de vraies marginales, barrées, ouvertes, se battant contre l'intolérance dans le classe, contre les machos qui harcelaient les filles, contre les profs qui s'acharnaient sur des élèves dits "en difficulté".
On était franchement les victimes idéales. Et on est presque devenues bourreaux.
Nous n'étions ni stupides, ni immatures, nous avions une vie saine, des parents posés et aimants. On aurait dû trouver ça révoltant.
On s'en foutait. C'était drôle, sûrement.
Et on a pris part à ça. Très peu, de manière infime certes.
Mais quand même.
J'ai vraiment réalisé que l'on avait participé à son harcèlement l'an dernier, lorsqu'un pote à qui je racontais des souvenirs de collège m'a dit "Et ça te fait rire ? Pauvre mec quoi...".