Je suis souvent placée dans ce cas, et je viens de repenser à cet article à l'instant, avec une situation qui m'embête particulièrement...
Pour ma part, je suis correctrice pour des maisons d'édition, et en plus de rectifier l'orthographe et la syntaxe défaillante des auteurs que je corrige, mon rôle est aussi de vérifier le fond et de m'assurer que tout se tient et va dans la bonne direction. Souvent, quand je vois quelque chose de limite (voire de mensonger), je le signale, en sachant que c'est à la maison d'édition qu'appartiendra le choix final de tenir compte ou non de mon commentaire.
Et parfois, je tombe sur des trucs... Le problème est quand il s'agit d'un roman ou d'un essai : il s'agit des opinions de l'auteur, et il a le droit de les avoir, quand bien même je les trouve aberrantes. Et je suis souvent très embêtée, partagée entre l'envie de rectifier tout ça, de ne pas laisser imprimer un truc pareil, et le devoir de respecter le texte et l'intention de l'auteur.
Typiquement, dans le texte que je suis en train de corriger, il y a quelques commentaires qui sont franchement limites, même s'ils témoignent d'un racisme ordinaire (au sens où l'auteur n'a absolument pas conscience de l'être, il croit juste gentiment avoir tout compris alors qu'il dit de la grosse merde.
). Au début, j'ai laissé. Mais là, je tombe sur ça, à propos d'un personnage ivoirien qui devine à l'aéroport, parmi tous les Blancs qui descendent de l'avion, lequel est celui qu'il doit accueillir :
"Une intuition fondée que seul l'Homme d'Afrique sait percevoir." suivi un peu plus bas de "Comment avez-vous su [que c'était moi] ? - La transmission du pouvoir de mes ancêtres, certainement." (et c'est dit sans intention de plaisanterie hein, clairement.)
Alors que l'Ivoirien en question est un médecin, et que le propos du livre ne porte absolument pas sur la spiritualité ou quoi que ce soit, c'est vraiment un bon gros cliché gratuit avant de passer complètement à autre chose.
Eh ben franchement, c'est dur. Comme j'ai un contact correct avec l'auteur (et que le sens de la nuance n'a pas vraiment l'air d'être son truc), j'ai décidé de reformuler très discrètement tout ça, histoire de le tordre légèrement et de donner l'impression qu'il rit du cliché au lieu de le reproduire. Mais en faisant ça, je sais que je détourne le texte de son sens véritable, même si l'auteur n'a clairement pas conscience du fait que ce genre de commentaires est une forme de racisme et que donc ce n'est pas comme si je trahissais une opinion claire et assumée, et ça m'embête. Mais je me dis que si l'éditeur (qui n'a aucune opinion clairement affichée hein) n'est pas capable de dire stop (bon en plus en l'occurrence là l'éditeur c'est la femme de l'auteur donc bon
), c'est aussi mon rôle d'essayer d'empêcher que ce genre de cliché stupide soit diffusé.