Je suis entièrement d'accord avec toi et je pensais que ce serait au moins mentionné dans l'article, de même que le problème de la mauvaise représentation des Maoris qui est un fait acquis pour les critiques cinémas néo-zélandais. Je n'ai pas grand-chose à rajouter par rapport à ce que tu as dit sur la culture du viol et le scénario plus que problématique (parce qu'en plus, l'héroïne est doublement en position de faiblesse du fait de sa position de femme et de son handicap donc le chantage sexuel est vraiment glaucque).
Mais je complèterais sur les Maoris (donc je rappelle : la population colonisée de Nouvelle-Zélande qui a souffert de discrimination et d'expropriation). Cliff Curtis, l'acteur maori qui jouait le rôle de Travis Manawa dans
Fear the walking dead résume de manière très percutante le problème (la traduction de l'article anglais est de moi) :
Le travail de Curtis dans son pays d'origine inclut des films néo-zélandais déterminants tels que La leçon de piano, L'âme des guerriers, River Queen et Paï. La leçon de piano, le premier film de Curtis, a gagné le prix le plus prestigieux du festival de Cannes en 1993 ainsi qu'un Oscar pour son scénario et ses acteurs principaux blancs, mais il a également été critiqué pour sa représentation des néo-zélandais autochtones.
"J'ai passé beaucoup de temps à trainer assis sur le plateau, à ne pas faire grand-chose, et quand je jouais un rôle, je passais beaucoup de temps à transporter le piano. Ma grande scène avec Harvey Keitel a été coupé au montage et elle consistait à s'assoeir sous le Harbourg Bridge de Sydney" se souvient Curtius. "Le drame central tournait autour d'Harvey Keitel, qui avait un moko [un tatouage facial maori] et parlait maori, ainsi qu'autour de Sam Neill et Holly Hunter. Donc les personnages principaux étaient les Européens dans notre monde, et nous étions la toile de fond, la toile de fond exotique de cette histoire d'amour européenne. Cela m'a frappé de réaliser que nous étions le décor exotique de quelqu'un d'autre sur nos propres terres."
https://www.theguardian.com/tv-and-...ff-curtis-fear-walking-dead-avoid-stereotypes
En gros,
La Leçon de piano rentre dans la rhétorique coloniale où les populations colonisées ne sont pas vraiment les gens dont l'histoire compte dans le pays, voire ils n'existent plus vraiment qu'à la marge, et si on pouvait les effacer complètement du récit national, on ne s'en porterait que mieux.
Alors oui, c'est un film de 1993 où le débat autour de la culture du viol et des représentations des minorités étaient presque inexistant, on ne peut pas réécrire l'histoire et on peut trouver le film artistiquement beau ou poignant au-delà de ça. Mais je trouve très dommage que ça ne soit pas souligné dans un article glorifiant ce film, qu'au moins ces deux points très problématiques ne soient pas pointés du doigt pour pousser le spectateur peu informé à se questionner sur ces images lui servant une vision d'une Nouvelle-Zélande naturellement blanche et d'une relation abusive romantique.
Et d'ailleurs, dès la sortie du film, il y a eu plusieurs critiques de ces aspects du film donc le fait qu'il ait été tourné il y a plus de 20 ans ne doit même pas permettre de "pardonner", et encore moins de passer sous silence, ces points noirs. Exemple de critiques : un article universitaire de 1996 sur la façon dont Campion rend la colonisation romantique
https://scholarspace.manoa.hawaii.edu/bitstream/handle/10125/13080/v8n1-51-79.pdf
En 1993, la Nouvelle-Zélande se trouvait à un point de réflexion politique avancé sur le colonialisme et que les mouvements militants maoris réclamaient leur reconnaissance à l'échelle nationale. Jane Campion avait quitté la Nouvelle-Zélande depuis une quinzaine d'années et donc sa vision du pro-Maori vs le méchant colonialiste est cliché, même pour l'époque, et a été perçu comme plus ou moins raciste dès cette période en Nouvelle-Zélande. En revanche, les critiques étrangers étaient moins sensibles à ces questions et trouvaient donc la représentation des Maoris positives : mais en Nouvelle-Zélande, ça a été un fait connu dès le début... Les critiques néo-zélandais soulignaient que la position de femme discriminée de l'héroïne était utilisée pour l'absoudre de l'histoire coloniale, et que cette démarche était très problématique. En gros, on accusait DEJA Jane Campion de faire un peu du
white feminism en 1993!