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Ce sujet est dédié aux réactions concernant ce post : Il voulait débaptiser le quartier « la Négresse » : Karfa Diallo finit devant le tribunal
Eduquer et reconnaître le passé de la France me paraît plus "logique".
Oui, en fait je trouverais ça très dommage de complètement débaptiser le quartier car c'est assez rare en métropole d'avoir un qurtier qui désigne explicitement une figure noire féminine pré-20e siècle sans que son importance historique dépende uniquement d'un statut d'esclave.Il n'y aurait pas moyen de retrouver le vrai nom de cette femme?
Il aurait alors un bon argument en sa faveur, cette femme a du marquer pour le coup elle mérite de rester dans l'histoire mais pas forcement sous ce nom...
Je ne suis pas certaine que déboulonner les statues soit forcément la solution. A titre perso, j'aime beaucoup le système des plaques qui informent et donnent un contexte historique, comme celles en hommages aux déportés de la seconde guerre mondiale. Eduquer et reconnaître le passé de la France me paraît plus "logique".
En revanche répondre aux demandes de cette asso par "y'a covid j'ai pas le temps" alors que bon, c'est pas comme si on allait rebaptiser Biarritz, là j'avoue que je comprends pas...
Je copie/colle un message que j'avais écrit sur un autre topic sur le sujet de l'enjeu mémoriel des statues dans l'espace public car je ne pense pas avoir beaucoup à rajouter par rapport à ce que j'avais dit à ce moment-là et du coup, j'ai la flemme de me paraphraserJe ne sais pas, dites moi ce que vous en pensez mais ouais je suis assez tiédasse là dessus.
@Lady Stardust J'allais citer les statues soviétiques aussi mais je me doutais que tu l'aurais fait avant
J'ajouterais que les statues de Lénine étaient des oeuvres de propagande visant à prouver la domination soviétique donc leur présence dans certaines villes est parfois très très artificielle dans le sens où elles ne parlent pas vraiment aux habitants actuels, et qu'elles soient là ou pas, je doute franchement que ça influence beaucoup la connaissance de l'histoire localement. Dans un monde post-communiste, soit les gens connaissent Lénine et vont identifier qui est représenté, soit ils ne savent pas qui c'est (par exemple parce qu'ils sont nés après 1990) et la statue ne leur apprendra rien.
Et il faut aussi souligner que le déboulonnage des statues de Lénine est souvent une source de grandes tensions, parfois carrément de conflits diplomatiques, entre le pays/la ville qui souhaite déboulonner une statue de Lénine (souvent pour défier Moscou) et la Russie (qui n'apprécie pas cette tentative de s'échapper de son giron), c'est un enjeu vraiment politique qui est très très mal perçu par la Russie et même le Russe lambda qui entend les infos sur le sujet, ce qui montre bien que la présence de telles statues est un plus une question de pouvoir et de politique que de culture historique.
Pour prendre un exemple plus trivial, je pense que beaucoup de Parisiens se sont donnés rendez-vous devant la statue de Danton à la station de métro Odéon. C'est un monument que les Parisiens se sont largement appropriés et pourtant, la plupart d'entre eux ne savent même pas qui est la statue (ils l'appellent "la statue, à la sortie d'Odéon"), ou savent qui c'est parce qu'il y a cinéma en face s'appelle MK2 Danton et pas parce qu'ils sont très attentifs à la statue. Et quand ils savent qu'il s'agit de Danton, ça ne veut pas dire qu'ils savent vraiment qui est Danton ou ce qu'il a fait dans sa vie. Donc cette statue n'a pas de rôle pédagogique puisqu'elle n'apprend rien aux gens qui la côtoie!
De manière générale, les choix des noms de rues et de statues dénotent surtout de la volonté politique des gens au pouvoir à un instant T. Elles sont un enjeu de MEMOIRE qui est une notion à distinguer de la notion d'HISTOIRE. La mémoire, c'est ce qu'on choisit de se rappeler collectivement dans un format souvent spécifique. Par exemple, faire une cérémonie tous les ans pour commémorer la fin de la Seconde guerre mondiale des décennies après. L'Histoire, c'est ce qui s'est passé et qu'on essaye d'étudier de la manière la plus neutre possible. Par exemple, comment la fin de la guerre est arrivée, dans quelles circonstances, comment les contemporains l'ont vécu, etc.
Le grand public a tendance à confondre les deux alors que la mémoire est une notion avant tout politique et sociale tandis que l'Histoire a vocation à être scientifique et la plus libérée possible des enjeux politiques.
La présence d'une statue n'a donc qu'un intérêt historique limité sur L'EVENEMENT qu'elle représente. Historiquement, elle est surtout intéressante pour étudier les choix mémoriaux faits par ses contemporains et ceux qui choisissent de la conserver.
Avoir une statue de Danton par exemple, c'est intéressant non pas pour tout connaitre de Danton mais pour ce que ça révèle sur les gens qui ont érigé cette statue parce que ça montre qu'on est dans un environnement culturel qui glorifie la Révolution française et sélectionne certains personnages de cette Révolution comme "plus respectable" que d'autres pour des raisons assez politiques (par exemple, on a une statue de Danton, pas de Robespierre, car on a construit un mythe autour du premier qui nous parait plus acceptable que celui qu'on a construit autour du deuxième).
Les maires changent des noms de rues en fonction de leurs couleurs politiques ou de leur volonté militante, et donc du message qu'ils veulent faire passr (par exemple, la maire de Paris qui a baptisé des noms de rue honorant des femmes en 2019, les maires communistes qui nomment des rues du nom de grands héros de gauche, les nombreuses rues post-1945 rebaptisée du nom de résistants de la Seconde guerre mondiale, etc.).
Or, on ne peut pas conserver absolument tous les monuments, documents et autres choix de nomination parce que ça révèlerait la mentalité à un instant T de certaines personnes. On devrait alors vivre dans un musée où on ne peut revenir sur aucun choix, jamais, pour préserver intact le reflet de la mentalité de nos prédécesseurs. C'est impossible humainement.
Et pourquoi le choix politique de donner un nom de rue d'un colonisateur que le choix politique de retirer la référence à ce colonisateur par nos contemporains? Dans ce débat, j'ai un peu l'impression que certains croient que les gens du passé n'avaient pas de démarche politique, que le racisme et le sexisme étaient un peu là par un phénomène spontané et non par un choix de société, du style "oui les gens croyaient que certains êtres étaient inférieurs mais c'était comme ça, c'était l'époque", alors que bah yavait des gens qui croyaient pas du tout ça à l'époque vous savez. Lisez les écrits du XVIIIe siècle sur l'esclavage ou les femmes par exemple, certains auteurs avaient un peu les MEMES opinions que nous au XXIe siècle, à penser que blancs et noirs sont pareils, que femmes et hommes sont égaux, etc., et d'autres défendaient des positions totalement opposées, donc c'est pas que les gens qui avaient une opinion qu'on jugerait "moderne" était des phénomènes curieux, presque magiques, mais bien que les autres AUSSI avait une démarche politique engagée CONTRE les femmes et les noirs, ce n'est pas réécrire l'Histoire que d'être conscients du fait que les mentalités passés ne sont pas là par la grâce du Saint-Esprit mais révèlent aussi des choix de société.
En quoi la représentation de ce choix de société est plus important que la représentation de notre choix de société actuel?
Surtout qu'il faut bien souligner que les gens qu'on choisit d'honorer poussent aussi dans l'ombre d'autres parties de l'Histoire. D'abord, c'est une vision assez conservatrice de penser que l'histoire s'écrit essentiellement à travers les personnalités illustres. Quand une rue appelée "rue des bouchers" est rebaptisée "rue Jacques Chirac", on prend le risque d'effacer un pan d'histoire urbaine puisque le nom de "rue des bouchers" révèle quelque chose sur le passé du quartier, et ce que ça révèle sur la vie des habitants de la ville autrefois n'est pas du tout moins important que de savoir qu'on a eu un ancien Président appelé Jacques Chirac. Pourtant, personne ne semble s'offusquer qu'on efface le nom de rue des Bouchers! Pourquoi? Parce que notre attachement aux figures historiques n'est pas scientifique ou neutre, il est un enjeu politique et de mémoire, il révèle l'image qu'on veut construire de notre nation plus que l'importance qu'on accorde à la réalité du passé.
Et j'ajouterais aussi que quand on choisit de commémorer une personnalité spécifique, on le fait souvent au détriment de personnalités issues de groupes discriminés qui EUX sont oubliés. Donc la commémoration de ces personnalités célèbres ne permet pas "de ne pas oublier l'Histoire" mais surtout de renforcer un schéma narratif de notre Histoire.
Par exemple, les Anglais ont colonisé le Pacifique en célébrant partout un explorateur colonial, le Capitaine James Cook qui est largement perçu par les Polynésiens engagés comme l'initateur de la colonisation dans le Pacifique (puisqu'il a "découvert" de nombreuses îles, qu'il a revendiqué pour la couronne britannique). Il a des statues partout, son nom a été donné à des lycées, des rues, des lieux, différentes institutions et même carrément un pays, les îles Cook. Pourtant, les recherches historiques récentes démontrent que Cook n'aurait probablement pas pu faire toute son exploration s'il n'avait pas été accompagné par Tupaia, un Polynésien extrêmement cultivé, originaire d'une partie du monde qui appartient aujourd'hui à la France. Cook ne cachait même pas l'existence de Tupaia et les informations qu'il lui fournissait, mais il le méprisait en tant que blanc du XVIIIe siècle qui rencontrait un non européen. Pourtant, pratiquement personne ne commémore jamais Tupaia, pas même en France alors qu'il est originaire d'une île française.
La commémoration de James Cook n'est donc absolument pas pédagogique concernant l'histoire contemporaine à James Cook. Au contraire, elle déforme la réalité en donnant l'impression que James Cook était plus important et compétent qu'il ne l'était et en effaçant la présence des personnes que les Anglais ont ensuite oppressés. Supprimer des célébrations de James Cook ne ferait donc pas du tout "oublier l'Histoire", bien au contraire, ça permettrait de laisser plus de place à d'autres en rééquilibrant la narration.