L'affaire DSK m'avait beaucoup marquée parce qu'à l'époque où c'est arrivé, je ne vivais pas en France et je me souviens que qu'on était un petit de groupes de Français ce jour-là quand l'un de nous a vu la nouvelle dans les actus. On s'est tous regardés effarés et je me souviens que la première chose que j'ai dite c'est "Heureusement que c'est arrivé aux Etats-Unis et pas en France, parce qu'il n'aurait jamais été arrêté", et mes amis français, qui étaient loin d'être de grands féministes, ont tous approuvés.
Ce moment m'a marquée parce que j'ai réalisé qu'il y avait un problème très spécifque à la France par rapport aux pays anglo-saxons concernant les hommes de pouvoir et le harcèlement sexuel. Mes amis n'auraient peut-être pas réagi comme ça s'ils vivaient en France, et ma première réaction a été très rapidement confirmée : alors que les journaux de notre pays étaient choqués de savoir que DSK était potentiellement coupable de viol, les médias français étaient choqués de savoir que ces puritains d'Américains confondaient viol et charme à la française. Je me suis souvenue à ce moment-là de l'affaire Monica Lewinski. J'étais très jeune à l'époque donc j'avais juste retenu que "ces puritains d'Américains font tout un foin de la vie sexuelle de leur président parce que ce sont de gros coincés", et ça m'a fait complètement réévaluer les préjugés que j'avais sur des affaires passées. Avec la distance géographique et culturelle, ça me paraissait évident qu'il y avait un grave problème en France, et je me suis dit que je ne l'avais peut-être pas repéré avant.
En rentrant en France, c'était assez dur d'entendre les gens parler de cette affaire car même quelques années, même après que Banon ait parlé à son tour, les médias et personnalités publiques continuaient à défendre DSK alors que ça paraissait si évident que même si on partait du principe que Nafissatou Diallo avait exagéré les faits, il y avait un truc totalement problématique chez cet homme. J'avais vu la séquence chez Ardisson, tout le monde avait semblé croire Banon à ce moment-là, personne ne l'avait contredite! La séquence avait été censurée par la suite pour des questions de diffamation je crois et elle ne circulait plus, mais sur le coup, je crois même qu'Ardisson disait quelque chose comme "c'est pas la première fois que j'entends ça sur lui" en entendant ce que disait Banon et puis tout à coup, tout le monde la traitait d'affabulatrice menteuse qui veut attirer l'attention?
Et puis il y avait aussi la collaboratrice du FMI qui avait un poste haut placé mais moins que DSK et qui avait été contrainte de démissionner parce qu'il avait pression sur elle pour qu'elle couche avec lui. Elle avait dit quelque chose comme "Quoi que je fasse, que je couche avec lui ou que je refuse, j'étais perdante". C'était public, c'était dans les journaux, elle avait écrit une lettre à sa hiérarchie du FMI pour expliquer ça, on avait une femme qui avait renoncé à un poste très prestigieux et qui disait pourquoi, DSK avait même été contraint de lui faire des excuses, et pourtant la classe politique et médiatique franaçaise continuait à dire que DSK est une victime de chasse aux sorcières politiques?
Je crois qu'il y avait rarement eu un cas aussi évident et éclatant de politicien qui abuse de ses fonctions pour harceler des femmes en France, ça n'avait jamais été aussi public, des journaux disaient même qu'il avait une addiction au sexe ou je ne sais plus trop quoi... et pourquoi il continuait à être défendu?
Pour moi qui avait découvert les accusations qui pesaient contre lui depuis un pays anglo-saxon, entourée de gens qui prenaient pour acquis sa culpabilité, c'était assez insupportable de lire tout ce qu'il y avait à lire sur lui d'élogieux en France.
Franchement, DSK aurait dû être notre MeToo mais MeToo n'aurait jamais pu arriver en France parce qu'on veut se prétendre plus ouvert sur les questions de sexe alors qu'on est bien plus arriéré que les Américains.
D'ailleurs, ça me fait penser à un livre que j'avais lu il y a longtemps, écrit par une expatriée australienne en France. Son analyse n'est pas hyper académique mais elle racontait que ça l'avait beaucoup choquée en France car son mari français venait d'un milieu très bourgeois et elle avait constaté que les activités "entre femmes" n'existaient pas vraiment en France (enfin, elle se basait surtout sur son analyse du milieu bourgeois de son mari mais j'avais trouvé ça applicable à d'autres milieux) contrairement aux pays anglo-saxons où c'est courant que des femmes de 50 ans fassent des weekends entre copines ou se retrouvent pour des activités entre femmes, alors qu'elle trouvait que les femmes françaises d'un certain âge avaient tendance à privilégier les activités mixtes hommes/femmes, de même que les écoles de filles sont mal vues. Or, elle disait que ça empêchait les femmes de créer des communautés de femmes, et que ça les poussait à chercher partculièrement l'approbation des hommes.
Selon elle, ça venait du fait qu'en France, les femmes de la haute société tenaient salon aux siècles passés : les intellectuels se pressaient chez elles et les mêlaient à leurs échanges et leurs discussions, tandis qu'en Angleterre, les hommes se réunissent dans des clubs masculins interdits aux femmes. Ainsi, les femmes anglaises ont été poussées à s'unir pour se rebeller et réclamer les mêmes droits que les hommes car elles ne pouvaient pas être acceptées parmi eux, tandis que les femmes françaises ont été poussées à tout faire pour susciter l'admiration des hommes et leur plaire afin d'être acceptées parmi eux : les communautés de femmes ne servaient pas à grand-chose pour se faire une place sociale.
Selon cette auteure australienne, cette mixité qui a pu sembler favorable à une époque fait que les femmes françaises ne se sont jamais rebellées autant et qu'elles ont pris beaucoup plus l'habitude de composer avec les oppressions masculines. Je trouve que cette analyse est assez frappante dans le cas de DSK, même si elle n'est pas la plus sociologique qui soit.