Franchement je trouve ce communiqué lamentable et je pèse mes mots.
J'ai été bénévole brièvement au Genepi il y a bien longtemps, et mon expérience en prison est restée très limitée car la prison dans laquelle j'intervenais était vraiment pas très coopérative, donc on a mis 9 mois à obtenir l'autorisation d'intervenir... Du coup, j'ai dû y aller max 2 ou 3 fois, et mon expérience du Genepi, c'était surtout la vie associative. Et ça, je peux témoigner que c'était vraiment extrêmement important.
Je suis de tendance anti-carcérale et c'est en grande partie grâce au passage par le Genepi, parce qu'une grosse partie de la vie associative consistait à participer à des formations avec des acteurs de la prison, juges, avocats, policiers, anciens prisonniers, etc., à débattre entre nous, recevoir des ressources sociologiques, politiques, juridiques, etc. sur la prison. Bien sûr, si j'avais rejoint le Genepi, c'est que j'étais déjà sensible à la question des prisons mais l'association m'a surtout donné l'opportunité de mieux saisir ce qu'est la prison.
En quoi c'est important? C'est important parce que l'Etat fait tout pour cacher ce qu'il se passe dans les prisons, nous faire oublier les prisonniers et ne les considérer que comme des nuisibles. C'est une question majeure de droits humains et parce que comme disait Robert Badinter, la prison est représentative de l'état de notre société, parce qu'aucune société n'accepte que ses prisonniers soient mieux traités que les autres citoyens, donc c'est très révélateur sur jusqu'où on est prêt à aller dans le traitement d'un être humain sur notre sol. Or, on fait tout pour ne pas nous faire réfléchir aux prisons, pour qu'on ait un avis hyper simpliste et schématisé sur un endroit qui nous parait mystérieux et fantasmé quand on a la chance de ne pas avoir de proche qui y soit enfermé. Le Genepi, c'était pour moi surtout un moyen d'arracher une partie du rideau pour pousser les jeunes citoyens à se demander si tout ce qu'on leur vend sur la prison est vrai et pour pousser à s'intéresser au traitement des prisonniers, à demander une réforme voire une alternative à la prison.
Quand je suis passée au Genepi, je n'ai jamais eu l'impression que les militants se donnaient bonne conscience ou pensaient qu'ils allaient changer l'univers. L'idée, c'était avant tout d'essayer de s'informer sur la prison, et notamment en allant échanger avec les premiers intéressés tout en permettant à ces derniers d'avoir un lien avec l'extérieur et notamment avec un profil d'intervenant différent des intervenants habituels, car souvent plus proches de leur âge (beaucoup de détenus sont très jeunes) et ayant un regard tout neuf sur la prison. Et oui, il y avait une partie de jeunes privilégiés qui allaient faire un tour en prison, parce que justement une des idées, c'était que c'était très compliqué pour les prisonniers de se faire entendre alors que les étudiants auraient potentiellement accès à une position sociale où ils seraient entendus, c'était une façon de servir de relai. Pour ceux qui connaissent Nanterre, c'est d'ailleurs assez frappant cette division étudiants/détenus. La prison est juste à côté de la fac de droit, et les deux populations n'interagissaient pour la plupart que par l'intermédiaire du Genepi.
Pour avoir bossé dans le domaine des droits humains dans différents pays, le Genepi avait quelque chose d'unique dans son rôle d'association étudiante et d'association de sensibilisation/plaidoyer. La prison est souvent un sujet vu comme trop peu glamour pour intéresser les jeunes, alors ceux qui s'intéressent à la prison sans avoir de proche détenu sont généralement des assos religieuses ou des militants expérimentés qui sont arrivés à s'intéresser à la prison après avoir milité longuement sur un sujet connexe (droit des migrants, droits humains, etc.). Ouvrir la réflexion sur le sujet auprès de jeunes sans attendre qu'ils aient des années d'investissement militants, c'est à mon sens indispensable et assez unique, et c'était aussi intéressant pour les détenus d'avoir des jeunes qui ne soient pas des professionnels et qui n'aient aucune opinion particulière sur eux qui viennent de temps en temps proposer des échanges, ça changeait les perspectives.
Bref, je trouve que le radicalisme est essentiel dans les luttes et la réflexion militante, parce que même quand on est en désaccord profond ou qu'il nous met mal à l'aise, il secoue nos préconptions et notre vision des choses. Un radicalisme comme celui qui transparait du communiqué, on en a besoin.
Là où je trouve que ce radicalisme est problématique, c'est quand il se croit supérieur aux autres positions au point d'aller investir une association construite par des milliers de gens sur plusieurs générations puis la détruire en une poignée d'années parce qu'il n'est pas d'accord avec son principe. Je ne vais pas devenir membre du Parti socialiste pour le dissoudre, ça n'aurait aucun sens. Si jamais il me vient l'idée de devenir membre d'un Parti qui me parait en conflit avec mes convictions, j'essayerai éventuellement de le faire changer de ligne directrice ou de le quitter, mais certainement pas de le dissoudre, je ne comprends vraiment pas le principe.
Et même si je trouverais ça discutable, il y aurait certains cas de figure où je trouverais compréhensible de procéder ainsi. Par exemple, si un groupe de femmes noires radicales prenaient le contrôle d'une association anti-raciste qu'elles jugent trop "bourgeois blanc". Mais là franchement, ce sont des détenues qui ont pris cette décision? Non. C'est une décision qui a été prise parce que des détenus le souhaitaient? Non. Ce sont juste des "meufs" comme elles disent qui ont estimé que leur position politique était supérieure à celle des toutes les autres personnes qui depuis plus de 40 ans ont contribué à l'association. Ce communiqué aurait été absolument valable et pertinent s'il avait été un communiqué de DEMISSION des membres, mais comme communiqué de dissolution, je le trouve vraiment choquant.
Pour moi aussi, ce communiqué reflète de nombreux aspects problématiques de certains types de militantismes radicaux - et il suffit de voir les tweets agressifs et insultants que le compte du Genepi a liké depuis la publication du communiqué pour se donner une idée de l'esprit réel du communiqué. Ce sont les problématiques de la "pureté militante" où toute action qui ne soit pas 100% conforme au dogme et à l'idéologie à laquelle on adhère est forcément à détruire. C'est facile d'avoir les mains propres et la conscience claire quand on arrête tout dès qu'il y a un compromis à faire. Philosophiquement, je comprends l'idée, mais je trouve ça hyper facile de faire la révolution en provoquant la dissolution d'une association militante qui était sur le principe du côté de notre cause. C'est carrément plus facile que de vraiment dissoudre la prison en tout cas
Certains essayent d'avancer en faisant des compromis et si on est pas d'accord avec ça, je ne vois pas pourquoi on va mettre des bâtons dans les roues à leur action plutôt que de simplement s'en dissocier. C'est bien présomptueux pour une petit groupe d'étudiantes de croire que leur solution va tellement être plus impactante qu'on peut dès maintenant empêcher les autres d'agir à leur manière. Et puis il y a aussi cette notion que si on n'est pas d'accord avec la position radicale, c'est qu'on fait partie du système et notre avis n'a donc aucune importance : c'est très problématique d'un point de vue idéologique je trouve de se moquer des critiques de cette manière, avec des termes et des concepts tout faits, ça empêche de pouvoir corriger le tir si éventuellement on s'est trompés parce qu'on s'enfonce dans sa position.
En tout cas, en s'attaquant aux personnes qui veulent changer le système prison-justice, c'est le système prison-justice actuel qui y gagne. Franchement, ça me rappelle certaines guéguerres de militants en ligne qui s'accusent les uns les autres de pas être assez parfaits pour la cause, je pensais pas que ça pourrait avoir un impact aussi concret dans la vie réel, ce genre de positionnement du mépris et de la condescendance militante sous couvert de radicalisme.