Pour être autiste, avoir suivi de loin la polémique et avoir vu le film, je pense que vous êtes quand même très mesurés dans vos propos par rapport à l'insulte que ce film a représenté pour les personnes autistes en général.
Le problème de Maddie Ziegler étant une actrice neurotypique n'est en vérité qu'une goutte dans l'océan par rapport aux véritables problèmes soulevés par la communauté à l'égard de ce film et de Sia.
Si cela avait été le seul problème et que Music avait été une bonne représentation, la communauté autiste aurait été infiniment plus indulgente à l'égard de cette production (regardez par exemple comment a été accueilli Billy, le Power Ranger autiste du film Power Rangers, qui est pourtant joué par un neurotypique. Les spectateurs autistes sont presque unanimes sur la qualité de sa performance et de son personnage).
Commençons par démentir un de vos propos : Sia a bien affirmé qu'elle allait retirer les scènes où le personnage de Music se faisait violemment restreindre durant l'une de ses crises. Pour avoir vu le film une première fois en streaming ET avoir revérifié sur OCS après votre article, cela n'a pas été fait. Pas d'avertissement non plus, comme cela avait pu être suggéré. Donc, on a gardé des scènes dangereuses, montrant comme normales des méthodes ayant déjà tué des personnes autistes par le passé. Magnifique.
Secondo, Sia s'est montrée incroyablement méprisante envers la communauté autiste tout le long de la production du film.
Elle a menti sur ses intentions premières d'engager une actrice autiste après des critiques à ce sujet (alors que, des années auparavant, elle avait bien dit s'atteler à l'écriture et la réalisation d'un film avec Maddie en tête, et que les premières images de production aperçues par les médias montraient bien Maddie), s'est tournée vers des associations qui, dans le monde autistique, sont reconnues comme eugénistes, abusives et dangereuses (cette même association s'est d'ailleurs désolidarisée de Sia par la suite, pour dire à quel point le propos du film est puant) et a directement insulté des acteurs/actrices autistes qui ont fait savoir qu'ils auraient été tout à fait prêts et capables de jouer Music si nécessaire (personnes à qui elle a dit qu'elles n'étaient probablement pas de "si bonnes actrices" si elles n'avaient pas le rôle, en gros).
Elle a également pris part à des interviews où elle a ricané lorsque la journaliste a comparé le personnage de Music à une plante verte ou un meuble, et a mis une énorme pression sur les épaules de Maddie Ziegler quand celle-ci a craqué et avoué, pendant le tournage, qu'elle n'était pas à l'aise avec son jeu d'actrice et avait peur que les personnes autistes pensent qu'elle ne se moque. Elle avait 15 ans à l'époque, rappelons-nous, et Sia a une énorme influence sur elle depuis des années (il y a des vidéos youtube plutôt intéressantes sur le sujet, par ailleurs).
Sia a également ragé sur ceux et celles qui dénonçaient le trailer de son film, dans le tweet suivant qu'elle a supprimé par la suite : "Grrrr, Fuckity fuck, why don't you watch my film before you judge it?". Au passage, regarder le film s'est avéré encore pire que regarder le trailer, et je vais rapidement expliquer pourquoi.
Le film commence avec une scène de danse très colorée supposée représenter le mode de pensée de Music, aka d'une personne autiste (alors, je vous l'assure, dans ma tête, il n'y a pas un clip de Sia à chaque minute de la journée). Les couleurs sont extrêmement criardes, il y a des flashs lumineux de manière irrégulière, c'est bruyant, confus... Bref, extrêmement difficile à supporter pour une personne autiste, dont le handicap est notamment défini par une hypersensibilité au bruit et à la lumière.
J'ai grimacé à la première de ces scènes et j'ai difficilement tenu jusqu'au bout, avec des tremblements dans les mains, tant cela a été une expérience douloureuse pour moi. Un film qui représente l'autisme ne devrait pas être aussi douloureux à regarder pour une personne autiste...
Par la suite, j'ai vite réalisé que, bien que le film porte le nom de Music, Music n'est pas le personnage principal du film. C'est sa grande soeur, Zu. Music n'est qu'un prétexte pour permettre à Zu d'évoluer et de grandir en tant que personne, alors que Music elle-même ne traverse aucune évolution, aucun changement, rien du tout. Elle reste statique de bout en bout du film. Sia avait évoqué le désir de faire un film "feel good" à la Rain Man, et c'est exactement ce qu'elle a fait.
Comme dans Rain Man, Music sert uniquement à mettre en valeur les personnages qui l'entourent. On ne sait rien d'elle, de ses aspirations, de ses envies, de ses qualités, de ses défauts. Comme si elle n'était qu'une coquille vide. Je peux vous dire que c'est une représentation extrêmement blessante.
Et pour ceux et celles qui argueraient que c'est parce qu'il s'agit d'un personnage autiste non verbal, qu'il est difficile de transcrire ce que le personnage pense et est dans ces conditions, je peux vous dire que j'ai vu d'autres oeuvres qui mettent en scène ce type de personnages ET leur donnent une personnalité, un véritable personnage : je pense notamment à Zen du film Chocolate et Harlan de la saison 2 de The Umbrella Academy.
Je voudrais rappeler que des études ont identifié le suicide parmi les trois principales causes de mortalité prématurée chez les personnes autistes et que ce groupe est neuf fois plus susceptible de se suicider que ceux sans TSA. Qu'une étude a prouvé que près de 66% des personnes autistes ont des pensées suicidaires, un pourcentage dont je fais partie.
Alors, non, je n'ai pas envie de plaindre Sia, qui fait indéniablement partie de ceux et celles qui, sous couvert de bonnes intentions, oppressent ma communauté.
Si son film avait été un succès, pouvez-vous imaginer les conséquences que cela aurait pu avoir ? Des parents ignorants qui, désemparés devant les crises de leurs enfants, les auraient écrasés comme dans le film, au risque de les tuer ? La représentation de l'autisme qui aurait fait un bond en arrière, engendrant film sur film sur le même schéma que Music ?
Bref, vous allez peut-être me trouver dure, mais étant donné que je lutte en permanence contre le validisme, que je dois sans cesse produire plus d'efforts que mes congénères pour prouver que je mérite de travailler quelque part, d'habiter quelque part, de faire partie de quelque chose, je n'ai pas le temps ni l'envie de prendre en pitié quelqu'un comme Sia.