J'ai également porté plainte il y a trois ans, et depuis je regrette chaque jour amèrement de l'avoir fait. Soit je n'ai pas eu de chance, soit la justice de ce pays est complètement foutue, mais voilà :
- Premier contact dans un commissariat, quatre jours après les faits. On me donne un rdv pour porter plainte et pour être auditionnée 15 jours plus tard. 15 jours. Allô les gens il s'agit d'une question de survie, là, pas d'un objet perdu ou d'une insulte dans la rue !
- Second contact le même jour dans une brigade de gendarmerie, en pleine campagne. Bon accueil, mais je n'ai pas eu le choix et malgré ma demande de parler à une femme je n'ai pu avoir à faire qu'avec un interlocuteur masculin. Heureusement il a géré.
- Les gendarmes m'envoient aux urgences pour un examen et des tests de dépistage. Après 3h d'attente (dans un tout petit hôpital de campagne, et alors qu'il n'y a personne en salle d'attente), un médecin vient nous voir (j'étais avec ma mère), et passablement énervé nous envoie paitre en nous disant qu'on est pas dans un dispensaire et que ce n'est pas le lieu pour faire ça. Pas de dépistage pour ce jour-là, donc.
- Le dossier est transmis de la petite brigade à la gendarmerie de la préfecture. On est toujours en pleine campagne, mais c'est déjà un peu plus grand. Prise en charge efficace. Les gendarmes m'accompagnent pour faire les prises de sang en laboratoire d'analyses, et récupèrent les vêtements que je portais le jour de l'agression pour les mettre sous scellé et les envoyer au labo.
- Les gendarmes m'accompagnent chez un médecin légiste pour un examen physique. On a parlé de GHB, probablement utilisé par mon agresseur à ce moment-là de l'enquête. Il m'a demandé de me déshabiller mais ne m'a pas touchée, sous prétexte que comme les faits dataient de 5 jours, il ne pourrait rien trouver. 3 ans après j'ai toujours des problèmes physiques liés à cette agressions et il faudra probablement une opération chirurgicale pour que ça aille mieux. Cette absence d'examen n'a jamais été notée dans mon dossier (où il est écrit que j'ai été examinée et qu'AUCUNE trace d'agression n'a été relevée).
- Un gendarme me coupe des mèches de cheveux pour des examens toxicologiques, afin de trouver avec quoi j'ai été droguée. Ces analyses ne donneront rien, mais comme me dira plus tard un policier, on ne peut trouver que les quelques produits que l'on cherche. Les autres sont invisibles. Ces tests sont la plupart du temps totalement inutiles, quoi.
- Le dossier est transmis au commissariat de la ville où se sont déroulés les faits (dans la même région mais pas le même département). Premiers rendez-vous catastrophiques dans ce commissariat.
- Je me retrouve avec une femme pour parler et répéter une énième fois et dans tout les détails ce que j'ai vécu, alors que tout est écrit dans ma déposition. Mais non, il faut encore parler. Sauf que les 3 portes du bureau sont ouvertes, des policiers passent en permanence devant nous, j'ai beaucoup de mal à parler, je me sens atrocement mal, je suis considérée comme de la merde.
- La policière qui m'écoute me dit que la résolution de l'affaire prendra plus de temps que prévu parce qu'ils sont sur une affaire de proxénétisme. Je ne vois pas le rapport, je vais de plus en plus mal, mais je tiens bon quand même.
- 6 mois après, on m'annonce par téléphone que les pièces à conviction (mes vêtements, donc) ont été perdus lors du transfert avec la brigade de campagne. On ne les retrouvera que plusieurs mois plus tard, fort heureusement car les analyses permettront de trouver l'ADN de mon agresseur qui nie formellement m'avoir jamais rencontrée. Première bonne nouvelle, plus d'un an après.
- Convocation au commissariat pour reconnaitre mon agresseur derrière une vitre sans teint. J'apprends que pendant l'année et demie qui s'est écoulée depuis les faits, mon agresseur n'a JAMAIS rencontré le moindre policier, et n'a jamais su que j'avais porté plainte. Il aurait pu disparaitre dans la nature, partir à l'étranger, ou pire, recommencer mille fois et détruire mille autres vies, mais ça ne semble poser de problème qu'à moi. Soit.
- Je me rends à la convocation avec une amie. Je reconnais formellement mon agresseur derrière la vitre sans teint, parmi les 3 personnes que l'on me présente. Première fois depuis le viol que je le revois. On a beau être forte, ça fait vraiment bizarre quand même. Je suis étonnée de ne ressentir aucune haine, aucune soif de vengeance. Ce n'est que de moi dont il est question, donc ce n'est pas bien grave. En revanche, si il avait violé quelqu'un d'autre, j'aurais été capable de le tuer.
- Je me rends dans un bureau avec mon amie et une policière qui me dit que je vais rester là un moment parce que l'agresseur, accompagné de son traducteur (il parle mal le français), doit voir plusieurs personnes et va donc circuler dans les bureaux, à quelques mètres de moi. On a beau être dans un commissariat, ça ne rassure pas vraiment.
- Un quart d'heure après, je peux enfin sortir. Entre le bureau et ascenseur, j'ai 3 mètres à faire, mais non, ça suffit quand même pour le croiser. Je l'ai vu, il m'a vue, et le regard de haine et d'incrédulité qu'il m'a lancé alors m'a presque autant détruite que le viol lui-même. Toute tremblante, je retourne dans le bureau, et je dis à la policière que je viens de le croiser. Ca ne l'émeut pas plus que ça, ce sont des choses qui arrivent, de toute façon je ne crains rien. Oui mais bon, quand même !
- On me confirme que mon agresseur va être placé le soir-même en détention provisoire dans l'attente du procès. J'apprends par téléphone quelques jours plus tard que le juge n'a pas jugé la détention provisoire nécessaire, et que mon agresseur se balade en liberté dans la ville. Depuis cette date, depuis donc plus d'un an et demi, je peux le croiser n'importe où, la ville n'est pas grande, mais encore une fois ça ne semble gêner que moi.
- Entre temps, la juge qui devait s'occuper de se dossier et pour qui, selon l'avocate que les policiers m'ont attitrée, n'a aucun doute sur la culpabilité de mon agresseur, est mutée et est remplacée par un nouveau juge apparemment beaucoup plus austère, et l'avocate m'annonce que mon dossier a probablement été remis en bas de la pile, comme ça arrive souvent dans ces cas-là. Depuis septembre, alors qu'on est en mars, je n'ai aucune nouvelle, et mon avocate est extrêmement évasive quand je l'appelle.
Non, vraiment, je commence à penser qu'il faut être taré(e) pour porter plainte en pareil cas...
Désolée pour le roman, j'ai quand même essayé de faire court, mais merci sincèrement de m'avoir lue.