C'est drôle, parce que j'ai l'impression que l'auteure a mis des mots sur quelque chose que j'ai traîné une bonne partie de mon enfance.
Je suis partie en colo tous les ans, l'été, pendant près de cinq ans, de mes 9 ans à mes 14 ans je crois. Souvent, les animateurs organisaient en milieu de séjour un grand jeu de rôle où on devait résoudre une énigme par équipe, défendre un territoire, élire un chef, etc... J'adorais jouer à ça. J'étais plutôt réservée, pas bavarde, mais déjà assez arrêtée sur certains principes : à l'époque, je fuyais les garçons comme la peste, parce qu'ils étaient bruyants, mal élevés, et que je ne savais absolument pas me comporter normalement en leur présence.
J'avais donc 10 ou 11 ans, et c'était le matin du grand jeu. On constitue les équipes, généralement c'étaient toujours les garçons les plus turbulents qui étaient désignés pour être chef, parce qu'ils étaient charismatiques, parce que c'était plus simple pour les animateurs de leur donner un pouvoir positif que de les avoir en permanence sur le dos. Je suis choisie dans les dernières. De toute façon personne ne connaît vraiment mon prénom et qu'est-ce que la petite blonde qui ne parle jamais pourrait bien apporter à l'équipe ? Je finis par rentrer dans un groupe, en tirant une tronche de circonstance parce qu'il n'y a que deux filles et je les catalogue immédiatement comme des pestes.
Le jeu commence, il faut trouver des membres de l'autre équipe depuis un poste d'observation avant qu'ils ne s'emparent d'un objet que mon équipe doit défendre. Je suis à fond dans le jeu, j'en repère plusieurs qui s'avancent vers nous mais le chef de mon équipe ne m'entend pas, et je dois tirer la manche de ce grand benêt de 14 ans pour qu'il daigne regarder ce que je lui désigne. On finit par gagner cette manche et je bouillonne de rage en voyant le chef recevoir tout le mérite de ce que j'ai fait. Enfin, les jeux continuent, jusqu'à la dernière épreuve.
Toutes les équipes sont réunies dans un petit bois et doivent suivre les indices qu'ils ont récolté tout au long du jeu pour trouver un totem que les animateurs ont caché. Comme nous n'avons que 12 ans en moyenne, un animateur accompagne chaque groupe sans intervenir pour nous superviser. L'indice parle du rocher du grand cerf, et le chef de mon groupe est persuadé que cela désigne un endroit près du camp principal, là où on avait déjà cherché, je tente de dire, mais personne ne m'écoute et ma voix de crécelle ne fait pas forte impression. Moi, j'ai une idée, je suis sûre de moi, mais personne ne fait attention à moi et quand je tente d'interpeller les autres, on me répond que c'est lui le chef et que c'est lui qui décide. Je bouillais de rage. On allait quand même pas retourner là d'où on venait !
J'enfonce mes deux talons dans le sol, bien décidée à ne pas bouger, quand l'animateur se retourne et me crie de rejoindre le groupe, maintenant ou je suis exclue du jeu. Je me récrie à nouveau, mais les autre se contente d'avancer sans me regarder et j'entends quelqu'un m'appeler "gamine pleurnicharde". Je finis par leur emboîter le pas sur quelques mètres, bouillonnant de rage, puis quand plus personne ne me regarde, je disparais dans les fourrés. Personne ne s'inquiète, le sang tambourine dans mes tempes alors que je cours vers l'endroit. Sans trop de difficultés, je rejoins l'endroit et met la main sur la figurine. Il n'y a personne aux alentours, alors je décide de rester là et de les attendre pour fièrement leur montrer que j'avais raison.
Mais c'est une autre équipe qui arrive, et quand ils me voient avec la figurine, exigent que je leur donne. "De toute façon il est où ton chef, c'est pas toi le chef de ton équipe !" "Peut être que c'est moi le chef !" je lance mais on me répond que les filles ne sont jamais les chefs, alors qu'il faut que je leur donne, parce que je ne mérite pas, etc...
C'était un moment assez terrifiant. Des garçons plus âgés qui se moquaient de moi et se rapprochaient, me rabaissant alors que c'était moi, après tout, qui l'avait trouvé. Je finis par courir, et ils me courent après, leur animateur les rappelant vainement à l'ordre alors que je me sens comme une bête traquée. Je finis par rejoindre mon groupe, mais l'animateur me hurle dessus parce que je suis partie sans permission. Je ne me souviens pas vraiment de ce moment là, tout est flou dans ma tête. Je finis par être punie, et je tends la statuette, les garçons de mon groupe la prennent. Mon équipe a gagné, le chef hurle de joie et est porté en vainqueur par les autres, un animateur me raccompagne à mon dortoir pour que je réfléchisse à mon comportement.
Interdite de veillée, on m'apporte une part du butin de mon équipe dans mon dortoir. Je crois que j'ai passé cette soirée là à pleurer de rage et à martyriser mon oreiller. J'y repense et la colère est encore terrible, je me souviens des éclats de joie que j'entendais depuis mon lit alors que j'étais punie. Je me souviens de ce sentiment d'injustice si féroce.
J'aurais tellement aimé avoir le répondant que j'ai aujourd'hui à cette époque, et aussi la confiance en moi nécessaire pour élever la voix. Mais à la place je me suis fendue de quelques bredouillements furieux à travers mes larmes face à un animateur sceptique, qui a finit par me laisser seule ruminer mes pensées meurtrières, dans un dortoir vide. Les jours qui ont suivi, le jeu était fini et l'équipe dissoute, mais aucun de mes "coéquipiers" ne m'a reparlé. Je me souviens que quelques jours après, je tirais férocement les cheveux d'un garçon qui s'amusait à me voler mes frites par dessus mon épaule et qui me riait au nez quand je m'insurgeais. L'animatrice qui m'avait séparé de lui m'avait alors dit "si un garçon t'embête, c'est qu'il t'aime bien, faut que tu le laisses faire. Et puis tu sais, aucun garçon n'aime les filles qui se battent". Je crois que je ne cesserai jamais d'être en colère quand j'y repense.