Ce sujet est dédié aux réactions concernant cette actu : Le Petit Journal en version animée en l’honneur du festival d'Annecy
Donc je suis la seule que ça choque, qu'on embauche des étudiants pour faire un travail de professionnel ?
Je ne critique pas les élèves de participer à ce genre de projets, parce que je comprends tout à fait l'attrait que ça peut avoir et ce qu'on peut vous faire miroiter. Et je ne doute pas que le projet ait pu être intéressant, enrichissant et instructif. C'est ce qu'on est en droit d'attendre d'une école.
Je critique l'école d'encourager ce genre de pratiques qui ne font que dévaloriser notre travail. Les étudiants qui ont participé à ce projet n'ont pas fait moins que des employés qualifiés qu'il aurait fallu payer à ce titre. Sous prétexte de partenariat, de publicité, et tout ce qu'on veut, l'entreprise économise sur des salaires et fait croire que travailler pour eux est une chance suffisamment grande pour ne pas avoir besoin d'une rétribution autre que leur nom sur un CV. Quelle estime on peut avoir de notre travail ?
Si les entreprises savent qu'il suffit de décaler une production de quelques mois pour tomber dans la période où les étudiants cherchent des stages, le travail perd de sa valeur, et les professionnels galèrent pour manger. Toute la profession perd en crédibilité, son fonctionnement devient complètement biaisée, et tout le monde y perd, à part les entreprises qui peuvent se faire plus de marge. Parce que les entreprises se font de l'argent sur ce qu'on a produit gratuitement, pardon, ce que les étudiants ont PAYE pour produire.
J'ai l'impression, et c'est ce qui me dérange, que c'est un problème lié à notre métier plus qu'autre chose, et qui va de paire avec le fait qu'on n'est pas forcément pris au sérieux. "Attends, tu dessines toute la journée sur des projets intéressants pour des boîtes jeunes cools funs et tu voudrais être payé en plus ? Mais ton métier c'est pas un vrai métier !" (on m'a déjà demandé si je jouais comme ça toute la journée. Comment tu veux être pris au sérieux en tant que professionnel ?) Parce que l'image qu'on a des métiers artistiques, c'est une bande de grands enfants qui font des courses de fauteuils à roulettes dans leurs bureaux, se tirent dessus avec des avions en papier et parfois quand ils ont le temps font des petits dessins. Et les studios véhiculent cette image, "regardez comme c'est cool de bosser avec nous, comme on s'amuse tous et comme on est trop une grande famille !" en faisant silence sur la pression, les horaires pourries, les charrettes, la précarité des contrats, la mobilité exacerbée dont t'es obligée de faire preuve, le manque de visibilité que t'as de ton avenir même à court terme, et le fait que bah, métier qui nous plaise et qu'on a eu la chance de choisir ou non, à un moment ou à un autre, on a besoin de manger.
Si tu ramènes ça à n'importe quel métier en dehors du domaine artistique, c'est tellement absurde que c'en est drôle. "Bonjour, étudiants en maçonnerie-électricité-plomberie-métiers du bâtiments dont j'ai même pas idée ! Vous allez travailler sur les nouveaux locaux de Canal, avec un vrai client et les vraies conditions qui vous attendent en sortant ! Quel entraînement ! La chance, hein ? Vous payer ? Noooon... Par contre on va mettre une petite affiche avec le nom de votre école, et vous avez même le droit d'écrire votre nom en tout petit en bas voilà ici."
Bref, tant qu'on ne considèrera pas nous même notre métier comme aussi sérieux et légitime que n'importe quel autre, on continuera à accepter des conditions de travail de plus en plus absurdes jusqu'à ce qu'il disparaisse parce qu'on pourra plus en vivre.
Et franchement, on parle de Canal, pas d'une pme ou d'une association...
Pire que les stages abusifs non rémunérés, les gens qui paient pour être employés...
(une fois de plus, je ne veux en aucun cas agresser les étudiants qui ont participé au projet, juste essayer de mettre en lumière l'absurdité de ce genre de fonctionnement...)