"J'ai voulu dire : l'enfer c'est les autres. Mais "l'enfer, c'est les autres a toujours été mal compris. On a cru que je voulais dire par là que nos rapports avec les autres étaient toujours empoisonnés, que c'étaient toujours des rapports infernaux. Or, c'est autre chose que je veux dire. Je veux dire que si les rapports avec autrui sont tordus, viciés, alors l'autre ne peut être que l'enfer. Pourquoi? Parce que les autres sont au fond ce qu'il y'a de plus important en nous-même pour notre propre connaissance de nous-même. Quand nous pensons sur nous, quand nous essayons de nous connaitre, au fond nous usons des connaissances que les autres ont déjà sur nous. Nous nous jugeons avec les moyens que les autres ont, nous ont donné de nous juger. Quoique je dise sur moi, toujours le jugement d'autrui entre dedans. Ce qui veut dire que, si mes rapports sont mauvais, je me mets dans la totale dépendance d'autrui. Et alors en effet je suis en enfer. Et il existe une quantité de gens dans le monde qui sont en enfer parce qu'ils dépendent trop du jugement d'autrui. Mais cela ne veut nullement dire qu'on ne puisse avoir d'autres rapports avec les autres. Ça marque simplement l'importance capitale de tous les autres pour chacun de nous.
[...] beaucoup de gens sont encroûtés dans une série d'habitudes, de coutumes, qu'ils ont sur eux des jugements dont ils souffrent mais qu'ils ne cherchent même pas à changer. Et que ces gens-là sont comme morts. En ce sens qu'ils ne peuvent briser le cadre de leurs soucis, de leurs préoccupations et de leurs coutumes; et qu'ils restent ainsi victimes souvent des jugements qu'on a portés sur eux. A partir de là, il est bien évident qu'ils sont lâches ou méchants par exemple.
S'ils ont commencé à être lâches, rien ne vient changer le fait qu'ils étaient lâches. C'est pour cela qu'ils sont morts, c'est pour cela, c'est une manière de dire que c'est une mort vivante que d'être entouré par le souci perpétuel de jugements et d'actions que l'on ne veut pas changer. De sorte que, en vérité, comme nous sommes vivants, j'ai voulu montrer par l?absurde, l'importance chez nous de la liberté, c'est-à-dire, l'importance de changer les actes par d'autres actes. Et si les gens ne le brisent pas, c'est encore librement qu'ils restent. De sorte qu'ils se mettent librement en enfer. "
Texte dit par Jean-Paul Sartre en préambule à l'enregistrement phonographique de la pièce de 1965.
Je vais le punaiser sur mon mur et le lire tous les soirs. Il m'a fait prendre conscience de beaucoup de choses, je me suis pris une grosse claque. C'est exactement ce que je suis en train de vivre, ce qui me mine et ce qui me menace, ce sur quoi je n'arrive pas à poser mes morts, le marasme quotidien dans lequel je m'enfonce, la souffrance que je me crée moi-même. Je l'ai fais lire à ma mère, elle a eu la même réaction que moi, on a parlé... Je ne crois pas au signe mais je considère comme une grande chance le fait d'être tombée sur ce texte. C'est si réaliste.