Témoignage touchant, et dans lequel je me reconnais un peu, même si ma situation a sans doute été à la fois moins dramatique et plus insidieuse.
Personnellement, ce n'est pas d'une mère alcoolique que j'ai dû m'occuper, mais surtout de mon frère dépressif.
Mon frère a 3 ans de plus que moi, et on est que deux dans la fratrie. Mes parents s'entendent bien, et ils nous aiment.
Seulement, mon frère a ce qu'on appelle un trouble déficitaire de l'attention (avec hyperactivité) et est surdoué. Moi, je suis surdouée aussi mais j'ai aussi une sensibilité extrêmement forte à mon environnement, une très, très forte empathie. Au point d'avoir une boule au ventre dès qu'une personne assise à côté de moi (même une personne que je ne connais pas) est stressée...
Cette empathie, c'est un don et une malédiction. Peut-être que je suis trop gentille, mais comme j'ai toujours senti les personnes qui allaient ''mal'', c'est toujours de ces personnes que j'ai cherché à m'approcher, pour les aider. Depuis toute petite. Pratiquement tou(te)s mes ami(e)s avaient des problèmes familiaux type divorce/dépression.
Alors quand mon frère avait peur de dormir seul dans sa chambre quand on était enfants, on demandait à être dans la même chambre. Quand il a commencé à être victime de pas mal (beaucoup) de moqueries à l'école, il a changé d'école primaire et je l'ai suivi l'année d'après. J'ai sauté une classe tandis qu'il avait des difficultés scolaires, je passais mes récrés à ses cotés plutôt qu'avec mes camarades. Mes parents ont choisi de l'envoyer dans un collège privé où il serait mieux suivi, et j'ai à nouveau suivi pour le soutenir.
En parallèle, je n'avais aucune difficulté scolaire (je m'ennuyais même profondément), je comprenais très vite les notions et les comportements des gens. Pour moi, cette empathie était normale et je ne comprenais pas pourquoi les autres n'avaient pas la même compréhension. Pourquoi il ne voyait pas qu'un enfant faisait ça parce qu'il est triste et pas juste pour embêter les autres, etc. Et comme mon frère avait besoin de plus d'aide que moi, mes parents m'ont plus ou moins délaissée. Je ne leur en veut absolument pas, que ce soit clair. Ils me proposaient régulièrement de l'aide pour mes devoirs, etc. Mais comme je pouvais me débrouiller seule, je refusais. Quand mon père m'a proposé de couvrir mes livres, je lui ai demandé de me montrer comment faire à la place.
Au final, j'étais très autonome et fière de mon indépendance, et je voulais m'occuper de mon frère parce que je sentais qu'il en avait besoin.
Puis pendant mon collège, ma mère a fait une dépression. Mon père l'a très bien soutenue, elle a reçue de l'aide. Ca a été long et dur, mais elle a fini par aller mieux et reprendre le travail, dans une nouvelle équipe qu'elle appréciait beaucoup. Mais ça a quand même été très dur de sentir sa dépression au quotidien, et de voir mon frère continuer à aller de plus en plus mal sans que personne ne semble le remarquer (vu les circonstances, c'était sans doute inévitable).
Et puis, alors que j'étais en fin de quatrième et mon frère en fin de seconde, alors que ma mère allait mieux, mon frère a craqué.
Il avait de plus en plus de difficultés au lycée, il était toujours victime de moqueries parce qu'il était ''bizarre/différent''. Il faisait un stage/job de 2-3 semaines au club d'équitation où on allait tous les samedis, et c'est là que mes parents ont commencé à voir le problème. Et où mon frère a cessé de réussir à gérer tout ça.
Très vite, il a développé une dépression, à laquelle se sont ajoutés des TOC (Troubles Obsessionnels du Comportement). A cause de ces TOC, il n'était plus capable, mentalement/psychologiquement, de monter à cheval, puis d'écrire, de ranger un paquet de pâtes dans le placard ou même de monter les escaliers sans sauter 3 marches sur 4.
Après pas mal de consultations, le diagnostic de trouble de l'attention, compliqué d'une grave dépression et de TOC a été posé.
Mais c'est une chose de savoir, et c'en est une autre de comprendre. J'ai compris, tout de suite, parce que je voyais et ressentais sa douleur au quotidien. Ma mère, qui est psychiatre et sortait à peine de sa dépression, n'a pas pu accepter que son fils était devenu comme certains de ses patients. Mon père s'est efforcé de comprendre et d'aider, mais il a mis beaucoup de temps avant de réaliser la profondeur de la dépression et de la douleur de mon frère. Pendant presque un an et demi, j'ai été son seul soutien moral dans la famille. J'ai joué à l'interprète entre lui et mes parents, j'ai renoncé à mes ami(e)s pour le soutenir davantage au collège-lycée. Et je faisais semblant d'être forte, parce qu'il avait besoin d'aide, alors que j'étais moi-même au bout du rouleau. Plusieurs fois par mois, j'étais dans un tel état d'épuisement mental que le simple fait de me coiffer me faisait fondre en larmes. L'infirmière du lycée devait régulièrement appelé mon père et me renvoyer chez moi parce que je n'étais pas en état de suivre les cours.
Le pire jour de cette période a été un samedi. Le midi, mes parents et mon frère se sont engueulés : mes parents trouvaient qu'il ne faisait pas d'efforts pour aller mieux, qu'il exagérait ses problèmes, et mon frère n'en pouvait plus d'être au fond du trou et de ne pas arriver à remonter. Quand ils sont retournés au travail, mon frère a passé ses nerfs sur un balai (qui a fini à la poubelle en pièces détachées) puis m'a demandé, sincèrement, si les choses seraient plus simples s'il se suicidait. Je ne sais pas comment j'ai fait pour ne pas pleurer devant lui. Quand on a dû sortir tous les deux et longer une route un peu passante sur 3km, j'ai passé l'intégralité du trajet à me demander s'il allait se jeter sous une voiture.
Honnêtement, s'il n'avait pas été ''officiellement'' chargé de m'accompagner, je pense qu'il l'aurait fait. Ou au moins envisagé sérieusement.
Le soir-même (sans doute en partie grâce au balai explosé), mon père a enfin compris que mon frère n'exagérait rien et il a longuement discuté avec lui pour comprendre les TOC dont il souffrait. Ils ont fait le tour de toute la maison ensemble, et mon frère lui expliquait que pour lui c'était comme si chaque dalle, marche, objet, emplacement, etc avait un nom, et que selon ces noms il pouvait y toucher ou pas. Du coup, faire quelque chose de ''non-autorisé'' lui demandait un véritable combat mental et un raisonnement pas à pas. En moyenne, il lui fallait 20 minutes pour poser le paquet de sucre à sa place habituelle, une fois le placard ouvert.
A partir de là; les choses ont commencé à aller mieux doucement. Ma mère avait toujours du mal à accepter la situation et a fait plusieurs rechutes de dépression, mais dès que mon frère a commencé à vraiment aller mieux, cette expérience commune les a rapproché et ils ont pu beaucoup parlé.
Et moi ? Je n'ai pas dit à mes parents que mon frère avait parlé de suicide, que c'était cette situation qui m'épuisait (j'ai subi une flopée de tests biologiques à cause de mes crises de fatigue), et que je m'enfermais régulièrement dans ma chambre pour pleurer, que je m'étais complètement coupée du reste du monde parce que j'étais incapable de supporter plus que la douleur de mon frère. Même une émotion positive.
Quand je suis entrée au lycée, j'avais complètement renié mon droit à avoir des émotions en présence d'autres personnes. Je faisais semblant de rire, d'être de bonne humeur ou énervée. Sur le plan émotionnel, j'étais apathique.
Deux ans plus tard, quand j'ai fini le lycée et que mon frère allait vraiment bien pour la première fois depuis 5 ans, j'ai enfin parlé à ma mère. Mais uniquement du fait que ma fatigue (que je trainais encore, même si les crises avaient cessé) était la conséquence de tout ça. En fait, c'est ma mère qui a abordé le sujet. En deux ans, nous avions toutes les deux pris du recul et pris conscience de pas mal de choses. C'est le temps qu'il m'a fallu pour réaliser que, même si mon frère allait bien, je n'étais plus capable de m'ouvrir aux autres. Même ma famille.
J'ai fait plus attention à mes amitiés pendant mes études, à être dans des relations où il y avait un partage et pas uniquement une volonté d'aider une personne en détresse. Parce que j'avais souffert émotionnellement dans ma famille, j'ai cherché à m'éloigner et j'ai donc quitter le domicile parental dès ma première année post-bac puis j'ai choisi une école à plusieurs centaines de km. Malgré tout, j'ai continué à soutenir ma mère lors de ses rechutes régulières et mon père lorsqu'il a eu pas mal d'ennuis au boulot.
Le résultat, c'est que je suis incapable de considérer mes parents ou mon frère ainé comme des soutiens. A tort ou à raison. Je suis incapable de leur demander conseil, même si je sais rationnellement qu'ils pourraient m'apporter des réponses. Et même si ça fait maintenant 5 ans que j'ai réalisé mon apathie émotionnelle, j'ai encore énormément de mal à m'ouvrir. Désormais, c'est devenu un système de défense réflexe : dès qu'une situation risque de provoquer des émotions fortes (rencontre, dispute, flirt...) je me détache émotionnellement, je m'empêche de ressentir et chacune de mes expressions est le résultat d'un raisonnement (comment la personne veut-elle que je réagisse et pourquoi ? Dois-je montrer cette réaction ou une autre ? etc).