Je me retrouve un peu dans ce témoignage, notamment au niveau du sentiment d'être la mère. Le dernier a maintenant 8 ans, j'en avais 13 quand il est né. Et pour être franche, je n'en voulais pas. Je me souviens même que quand j'ai annoncé sa naissance au collège, ma prof de physique m'avait demandé si j'étais contente. J'ai répondu "non, j'en ai marre des garçons à la maison". Et c'était vraiment sincère.
Mais ma mère était fatiguée (c'était son 8ème enfant), papa était déjà malade, alors je m'en suis occupé, du mieux que je pouvais du haut de mes 13 ans. Parce que même si je m'étais déjà occupée des autres, ce n'était pas de la même manière, vu que j'étais encore un peu jeune pour leur faire prendre leur bain toute seule.
Mais à 13 ans, ils ont estimé que j'étais suffisamment mature pour m'occuper d'Enguerrand. Alors j'ai tout fait : biberons, couches, bains, berceuses, l'endormir, etc. Même que des fois je lui parlais en Anglais pour que son premier mot ne soit pas en Français
Bon, je me suis loupée sur ce point là, mais maintenant quand il me ressort les phrases qu'il apprend à l'école, il a un très bon accent pour un gamin de 8 ans. Et j'en suis super fière! Souvent quand je vais faire les courses et qu'il est avec moi, tout le monde pense qu'il est mon fils, parce que la façon dont je m'en occupe ressemble beaucoup à ça quand même : je le gronde suffisamment fort pour que les gens croient que je suis sa mère, je lui fais des câlins, des cadeaux, je lui donne des ordres, je le couve beaucoup aussi. Même un peu trop des fois. Et évidemment, je prends sa défense devant notre mère. Bon, pas toujours parce que des fois il abuse, mais souvent je trouve à redire. Je ne le faisais pas trop avec papa, parce que j'étais assez d'accord avec lui, mais avec ma mère c'est vraiment un combat pour l'éducation. C'est un gamin plus qu'intelligent, et ma mère ne fait rien pour éviter qu'il suive l'exemple des autres frangins qui n'ont jamais rien foutu à l'école. Je n'assumerai pas que le petit devienne le bouc émissaire de l'école par la faute de ma mère. Alors je le gronde quand il travaille moins bien que d'habitude, je le punis aussi en lui faisant copier des lignes (du genre des articles du Code pénal relatifs au vol quand il dit "eh viens on va piquer ça") et je lui fais faire des opérations, mais c'est pour son bien. Certains trouveront ça très sévère, mais je refuse catégoriquement de voir un enfant si brillant devenir un abruti. Je ne me le pardonnerais pas. Il m'en veut des fois, mais je suis persuadée que plus tard il comprendra que c'était pour lui.
Pour mes études j'ai dû partir à 70-75kms de chez moi, et je ne rentre qu'une fois par mois, et encore. Il trouve le temps long, contrairement aux autres nains. Alors quand je rentre il me colle partout où je vais. Ce lien s'est encore resserré au décès de papa en avril. Ma mère n'était plus que l'ombre d'elle-même, il fallait bien quelqu'un pour tout diriger. Alors j'ai pris ce rôle pour lequel je m'étais déjà bien entraînée pendant des années, sans savoir que ce jour arriverait si vite.
Ensuite, je me reconnais aussi pour la petite soeur décédée. Moi c'était un petit frère, mais c'est pareil, je m'en voulais aussi. J'avais 8 ans, et je croyais que c'était parce que je ne voulais plus de petits frères. Ma mère attendait des jumeaux, seul Adrien a survécu, alors que c'était le plus mal en point. Maintenant avec le recul je sais que ce n'est pas de ma faute, que c'est la nature (et surtout les médecins qui n'ont détecté sa grossesse qu'à 5 mois alors qu'elle passait des examens toutes les 2 semaines à l'époque).
Comme l'auteur, j'ai du mal à dire que j'ai 7 frères et soeurs, alors que quand je donne leurs noms je n'en cite que 6. Mais il est toujours là, dans mes pensées, et maintenant lui aussi a le droit d'avoir son papa auprès de lui. Rémy, Rudy, Adrien (bon il parle pas vu qu'il est handicapé, mais c'est son jumeau), Ségolène, Arianna, Enguerrand et moi, on parle souvent de lui, on se demande s'il ressemblerait beaucoup à Adrien ou pas, s'il aurait le même handicap ou s'il serait moins atteint. Et malgré le chagrin, même plus de 14 ans après on y arrive, on apprend à faire avec. C'est probablement plus simple parce qu'on ne l'a pas connu.
Bref, après ce long pavé, je voulais dire à l'auteur de ne jamais croire qu'elle est une mauvaise soeur, même si elle est loin, même si elle ne peut pas les voir souvent. Et je suis persuadée qu'un jour, quand ils liront cet article, ils seront drôlement fiers d'elle!