Les idées reçues sur le viol gangrènent toute la société : le grand public mais aussi ... la police, les avocats, les magistrats et le corps médical. Je ne dis pas que la totalité des policiers, avocats, médecins, etc perpétuent les mythes qui entourent le viol,
ce serait très faux, mais une partie d'entre eux le fait sans se remettre en question, et c'est dramatique car ils ouvrent de nouvelles plaies émotionnelles béantes dans le psychisme des victimes auxquelles ils sont censés apporter leur aide. Il y a des dinosaures sexistes, bornés, violents verbalement et arriérés dans les commissariats de police. Il y a des médecins aveugles et maltraitants dans les hôpitaux psychiatriques, qui refusent d'actualiser leurs connaissances, ils sont toxiques pour leur patientèle et ne s'en rendent même pas compte. Il y a des juges (hommes ET femmes) coupés de ce qui fait la réalité des crimes sexuels en France et qui planent à 10 000 km du contexte des affaires où ils ont autorité.
C'est dramatique quand la première question d'un policier, en déposition, c'est "
comment étiez-vous habillée / aviez-vous consommé de l'alcool ?". C'est dramatique quand un policier ne tique pas lorsqu'une fellation est évoquée, quand on s'aperçoit que sa définition du viol ne saurait inclure autre chose que le pénis d'un homme dans le vagin d'une femme qui se débat. C'est dramatique quand un policier accuse une femme violée de mentir, puis de déposer plainte parce qu'elle regrette la relation sexuelle de la veille, puis d'avoir un peu fait sa salope quand même, puis de l'avoir cherché à cause de son aspect physique, de l'impression qu'elle donne à l'OPJ qui l'auditionne, de son habillement ou du comportement qu'elle a / n'a pas / aurait dû adopter pendant le viol. C'est dramatique quand aux Assises l'avocat d'un violeur estime que "
il a été dépassé par l'ampleur de son désir sexuel" est un argument recevable. C'est dramatique quand l'avocat d'une victime ne connait pas le mécanisme de sidération traumatique qui sous-tend un grand nombre de viols et que cet avocat assimile de prime abord, pour cette raison, l'absence de réaction de cette victime à une zone floue au niveau du consentement. C'est dramatique quand un psychologue impute un viol à "
votre apparence physique et votre style de vie" (WTF). Les exemples de ce type sont innombrables. Il est effrayant de constater la quantité d'anecdotes de ce genre qu'on se retrouve à devoir assimiler lorsqu'on écoute les victimes de viol, ou juste parce qu'on est dans un parcours de soin soi-même et qu'on est donc amenée à côtoyer d'autres victimes, et à les entendre parfois livrer des bribes de leurs propres histoires traumatiques. C'est à vomir. Des victimes intériorisent elles-mêmes certains clichés, certains mythes, et c'est un élément dissuasif supplémentaire qui les empêchent de porter plainte.