Ce qui est certain, c'est que la parentalité est devenue, qu'il soit chiant ou non, un sujet de conversation à part entière au fil du temps. Mais le problème est que ce sujet est embarqué dans plusieurs formes de discours qui ne cohabitent pas toujours très bien : je voudrais m'intéresser ici à : qui parle des parents? Pour classifier un peu les discours de chacun :
1) le discours issu de l'expérience personnelle des parents : dans une première idée, ce sont les parents qui parlent des enfants. Ils ont des enfants, les élèvent tant bien que mal ; n'ont pas forcément de diplômes liés à la petite enfance. Ils sont des parents et revendiquent leur droit à être imparfaits ; ils sont forcément investis dans les débats qui les concernent de près ou de loin. Ils sont aussi aux prises avec des mythes, des fantasmes, des peurs : le mythe de la bonne mère, la théorie de l'attachement, mais aussi des fantasmes horrifiques : la pensée obsédante de faire mal à son bébé, peur de ne pas l'aimer....ils sont partagés entre l'image du parent qui aime son enfant plus que tout et celle du parent qui vendrait son rein pour parfois passer du temps sans ses enfants...
2) le discours issu de l'expérience professionnelle : il existe tout un univers autour de la petite enfance : infirmières puéricultrices, auxiliaires de puériculture, éducateurs spécialisés, professeurs des écoles, ass mat, les psy, la pmi....ces gens sont formés et ont des diplômes dans "la petite enfance", et leur avis est un mélange de théorie et de pratique ; c'est une pratique moins à fleur de peau ou sensible que celle des parents (enfin en principe). Ces gens là éduquent/élèvent/soignent/s'occupent des enfants des parents, non pas parce qu'ils les aiment de façon innée, mais parce que c'est leur métier.
Il y a forcément une interférence entre l'univers du 1) et du 2), cette interférence peut être harmonieuse mais parfois aussi conflictuelle puisqu'il peut y avoir des désaccords entre les parents et les professionnels sur certains sujets. Il en a été question dans ce sujet. A titre personnel, j'apprécie la neutralité et le professionnalisme dont fait preuve le monde de la petite enfance. Il me fait beaucoup de bien (ma fille va à la crèche). Un phénomène que j'ai constaté en revanche ces derniers temps, c'est débordement du 2) sur le 1). Je m'explique : il existe de plus en plus une forme d'injonction à la professionnalisation des parents. L'idée que les parents ne doivent pas être imparfaits mais doivent eux aussi respecter des courants, des guides, des idées fortes pour élever leurs enfants au mieux. L'idée répandue que tel acte engendrerait telle conséquence irréversible. On a déjà bcp parlé, sur ce forum et surtout sur Rockie, des conséquences, parfois, de l'éducation bienveillante poussée à son paroxysme ; chez certaines mères vulnérables ou en mal de repères, peut parfois naître l'idée que l"on peut "casser" son enfant si on s'éloigne ne serait-ce qu'un peu de la voie tracée de la bienveillance : une punition, un cri, par exemple. Cette injonction à la professionnalisation je la vis parfois comme un signe du recul de l'autorité des soignants et des professionnels (je trouve qu'ils sont de plus en plus défiés et remis en cause) et la volonté de bien des parents de "faire leur recherche eux-même". Les confinements multiples ont crée un repli des mères sur elles mêmes et l'éloignement des aînées (soeurs, mères, grand-mères) n'a pas toujours facilité les choses. Mais ce n'est. que mon avis !
3) le discours issu des childrees : des personnes revendiquent leur droit et leur volonté de ne pas vouloir d'enfant. Si certains n'ont absolument pas envie de parler de ce sujet, d'autres au contraire le souhaitent pour s'emparer de la parentalité d'une autre façon, en défendant une autre image: celle d'une parentalité que l'on ne veut pas subir, celle d'une parentalité qui bien souvent asservit la mère, en bref c'est la défense d'une liberté de choix et de volonté pour.
Il y a une interférence entre l'univers du 3) et du 1) qui est pour moi parfois conflictuelle, mais salutaire. Les parents ont besoin des childfree car cela leur permet de comprendre que la parenté ne doit jamais être une fin en soi dans la vie d'une personne (et surtout d'une femme). Cette interéference est conflictuelle lorsque les émotions de chaque camp ne sont pas pas toujours bien gérés ; le childfree peut se sentir jugé car il ne veut pas d'enfant (il serait égoïste, passerait à côté de quelque chose) ; le parent peut se sentir jugé car il est parent (il serait égoïste aussi, mais pour d'autres raisons). Mais pour moi les débats entre parents et childfree sont ce que j'apprécie le plus sur les forums.
4) le discours de santé publique/ordre public, bref de l'Etat : s'il existe bien évidemment une liberté du parent qui s'exprime à travers l'autorité parentale, il existe aussi des règles et des obligations à respecter qui s'appliquent aux parents et peuvent parfois remettre en cause leur liberté : obligation vaccinales, interdiction de la déscolarisation, et bien sur respect de l'intégrité physique et morale de l'enfant, interdictions de violences, etc. etc. Ces interdictions/réglements existent soit pour protéger l'enfant, soit pour préparer l'enfant à la collectivité (c'est-à-dire la société) Ce discours est bien sur en intérférence avec le discours des parents (1) et plutôt en harmonie avec le discours de la majorité des professionnels de la petite enfance (2), ces derniers devant même parfois prendre des mesures pour protéger le mineur contre ses parents....Les univers du 1) et du 4) sont souvent complémentaires (il suffit de voir toutes les aides mises en place par l'Etat aux parents), parfois contradictoires (pour les parents anti vaccins ou pro éducation à la maison, par exemple). Il s'agit de règles légales souvent et donc bien établies, contrairement au courant que j'ai décrit dans le 2) de professionalisation des parents qui est plus insidieux (des courants, des théories, des bonnes ou mauvaises pratiques) si bien que les parents peuvent parfois s'y perdre.
5) le discours de la société (j'aurais pu y intégrer le 3) ; là c'est un peu plus confus....j'aimerais plutôt que de parler de la société en son entier parler de celle qui nous ressemble le plus ici (en tant que membres du forum). Je ne peux pas m'empêcher de constater qu'il existe aujourd'hui à travers les articles, les blogs, les comptes instagram, une construction identique et systématique d'un discours que je lis très fréquemment : un discours qui voudrait déconstruire l'image de la bonne mère/ou plutôt de l'injonction à être une bonne mère. L'idée que tout sujet lié à la maternité serait tabou. L'idée qu'il faudrait parler de tout ce qui va mal pour aider les mères justement. Le post partum les premiers jours du bébé, le burn out parental, les peurs de faire du mal au bébé...en ressort une déconstruction de la maternité idéale qui est telle qu'elle engendre a son tour la construction d'une image d'une maternité subie, difficile, en elle-même négative. Je m'interroge parfois sur cette époque que nous vivons et les mots qui sont employés. Si on parle autant, aujourd'hui, comme on a jamais parlé, des aspects négatifs de la maternité, peut-on continuer à dire qu'il s'agit d'un tabou? Est-ce que ce discours permanent peut transformer l'image de la mère? Et surtout, peut-on continuer à dire qu'il existe une figure de la mère idéale qui serait la mère au foyer ou la mère sacrificielle ? Je ne sais pas du tout...
Tous ces propos ne sont que mon avis et surtout, sont des pistes de réflexions lancées en réaction aux lectures sous ce post. Je ne prétends détenir aucune vérité. Et surtout, pour donner cette espèce de "typologie des discours sur la parentalité", je suis consciente d'avoir sans aucun doute utilisé plein de clichés et d'images qui sont très certainement beaucoup plus nuancées !!! Donc agree to desagree avec tout le monde.