Je me retrouve bien dans cet article. J’ai toujours été fine, 1m70 pour 48-50kg. J’ai un estomac de moineau, j’ai les os très fin et j’amasse peu de graisses, ça depuis petite, donc même en pratiquant du sport (en particulier la danse qui a tendance à allonger le muscle plutôt qu’à le gonfler), je reste fine.
Petite et jusqu’à ce qu’on déménage chacune à un bout du pays, ma cousine m’appelait « la grosse », parce qu’elle a toujours mal vécu le fait que je sois plus fine qu’elle, alors qu’elle a pourtant de superbes formes (elle correspond plus aux normes infligées par la société que moi). Ce comportement m’a en quelque sorte rodée à ce qui se passerait avec ma mère.
Elle avait le même corps que moi, élancé, un peu musclé, c’était moi avec 10cm de moins. Puis on a eu un gros accident de voiture et elle a passé 6mois en fauteuil roulant. Plus de danse ou de jardinage pour elle, ses muscles ont fondu, on a habité chez mes grands-parents jusqu’à ce qu’elle puisse se débrouiller en béquilles, donc pas le même régime alimentaire, et elle a commencé à prendre un peu de poids. Puis elle a rencontré quelqu’un chez qui on a vécu et chez qui les repas étaient encore différents, où il fallait finir le plat plutôt que garder les restes, où elle n’était pas vraiment heureuse, et entre son âge qui avançait, l’accident et sa rupture elle est passé de 55 à 75kg environs, pendant que moi je n’avais pas bougé d’un gramme. J’ai quitté la maison pour les études et c’est la que ça a commencé. Elle s’inquiétait que je mange à ma faim, que je maigrisse, puis j’ai eu une mauvaise pilule contraceptive qui m’a fait prendre un peu et elle m’a lancé le fameux « tu es malade? tu es grosse » puis quand j’ai retrouvé mon poids « tu es maigre »... comme j’habitais dans le sud et elle dans le nord on se voyait pas beaucoup, donc j’évitais la question. Et l’an dernier quand elle m’a rendu visite on a fait les magasins, et en sortant de chaque boutique elle faisait la tronche puis elle a fini en pleurant. Et elle a admis qu’elle se reconnaissait pas dans son corps, qu’avant elle était comme moi et que maintenant elle est « comme ça ». Tout ce que j’ai su lui dire c’est que moi je ne la trouvais pas grosse ni moche, et qu’avant de se rendre folle a faire régimes drastiques sur régimes tordus, ce serait peu être pas mal qu’elle essaie d’accepter que son corps n’est pas un ennemi, elle vit avec et lui vit avec elle, que ce n’est pas parce qu’il est imparfait à ses yeux qu’il faut le négliger.
Depuis quelques années elle en prend plus soins, elle ne s’attarde pas sur les vêtements qui ne lui vont pas mais sur ceux dans lesquels elle se sent plus jolie, elle reprend des bains de temps en temps où elle prend soins de ses cheveux, de sa peau, elle se maquille à nouveau, elle a repris goût à la marche, et à Noël elle m’a dit qu’elle avait perdu 5kg, elle a ajouté « cette année mon objectif petit c’est encore 5 et mon objectif grand c’est 10, comme ça si je suis entre les deux je serait pas déçue. Et il faut pas dire « perdre » du poids, parce que perdre c’est un mot de deuil donc on est pessimiste ». Elle m’a dit qu’elle aimait l’époque où elle avait mon corps mais qu’à son âge elle ne pourrait pas l’avoir, qu’il faut qu’elle en ait un qui lui plait et pas qu’elle se compare à moi (je lui ai dit que tant mieux parce que dans 25ans je risquerai pas d’avoir mon corps d’aujourd’hui non plus, on serait deux à regretter la loi de 30ans).
Je suis super fière d’elle et du chemin qu’elle a fait avec son corps, elle sait que j’ai des complexes et que j’ai décidé de m’aimer malgré eux, elle a appris à faire pareil et elle a l’air tellement plus épanouie. « Grosse » ou « maigre » ma mère je l’ai toujours trouvée belle (sauf quand je me faisais engueuler), et plus elle s’aime plus je la trouve belle.
Maintenant elle m’embête beaucoup moins avec mon physique, elle se penche plus sur mes qualités que sur ses inquiétudes ou ses projections, et c’est génial pour moi mais surtout pour elle, elle a 55ans et j’ai l’impression que grâce à tout ça elle se fait une deuxième jeunesse. Et même si j’ai pas envie de vivre les mêmes épreuves, j’espère que j’aurai autant de forces qu’elle pour aimer mon corps quand j’aurai son âge.