Je suis super contente qu'il y ait ce genre d'initiative sur madmoizelle, ça me force à écrire!
Surtout que j'ai toujours adoré ça, mais en ce moment j'ai plus du tout le temps, du coup ça faisait une éternité que j'avais pas pris le temps d'écrire un truc de bout en bout pour le plaisir (et du coup je me rends compte que c'est bien pourri… J'espère que participer régulièrement va m'aider à retrouver ma facilité pour l'écriture
)
Donc voilà ma petite contribution! (je me sens un peu pouilleuse après ShinyPony du coup, mais bon, faut bien se lancer)
J'ai toujours aimé cet instant où la pensée s'éveille avant la vue. Où, pendant quelques secondes, nous sommes comme aveugles et vivons en secret, à l'insu du monde qui nous croit assoupis. C'est un plaisir plein de frisson, de ne pouvoir percevoir ce qui nous entoure : on joue à s'effrayer ou bien à se réjouir, en explorant à tâtons milles situations possibles, on mêle nos souvenirs et nos espoirs ensembles, on rêve un peu enfin.
Comme Proust, on s'interroge, et on remonte le temps à la recherche d'un souvenir, d'un sentiment, d'une sensation … Celle de notre peau contre ces draps glacés, ce coussin étranger et ce lit inconnu qui nous cache à l'aurore.
Le premier n'est qu'un souvenir artificiel, ces souvenirs que l'on se crée soi-même après les avoir appris de l'extérieur, par une image ou un un récit, mais qui se confond avec les autres dans un tourbillon de réel et d'illusions mêlées : un berceau d'hôpital froid et rigide, des tuyaux et de perfusions, loin de l'être dont on vient de quitter le ventre…
Et puis le lit des premières nuits, des premiers pas, des premiers rires. Un terrain qu'on conquiert dans nos jeux, tour à tour château ou bien champ de bataille, mer immense et agitée ou Sahara fantasmé...
Ensuite, le lit sous l'autre lit, celui de la fraternité superposée, entre nid douillet surplombé par son cadet et occasion de donner, entre perfidie et complicité, de grands coups de pieds dans le matelas de ce dernier.
Puis le lit de la solitude, le lit du retour à Paris après une enfance tendre et naïve à la campagne. Le lit des premiers chagrins. Des premiers espoirs aussi. Ce lit mezzanine dont la hauteur sert d'étalon : comme on est heureux, surexcité, quand on se cogne la tête sur la barre de métal! On a grandi, enfin! Alors on souri en réalisant qu'aujourd'hui, l'échelle n'est plus utile pour monter dans ce vieux perchoir...
Le lit suivant, on n'y pense plus. C'est le lit de l'incendie. Brûlé dans les flammes comme la radio, les photos, les dessins, les livres, le cochon d'inde... Et mon enfance.
Il y a aussi les lits de passages. Les lits d'amies d'un jour, d'assoupissement d'une soirée, les lits d'amis d'une nuit. Les canapés, les tapis, les coins de table ; les sacs de couchage partagés, oubliés, abandonnés.
Enfin le lit de ce matin. Une histoire à écrire, des draps à réchauffer, et bientôt à abandonner… Mais qui sait? N'ouvre pas les yeux…