"Cis" et "trans" ne renvoient pas per se à des rapports individuels au corps. On n'a pas besoin de faire une transition pour être trans, en soi.
En fait, à la naissance, qu'est-ce qui se passe? Lae docteur regarde ton entrejambe. Si tu as un pénis, iel va dire "c'est un garçon", si tu as un vagin iel va dire "c'est une fille" et si c'est trop ambigu, en gros, iel va faire pression pour qu'on te charcute de façon à ce que ça ressemble à soit un pénis soit un vagin avant de dire, respectivement, "c'est un garçon" ou "c'est une fille". Cette affirmation initiale est l'attribution du genre à la naissance, avec tout ce qui s'ensuit : l'inscription de ce genre dans les actes de naissance, le M ou le F sur les papiers d'identité, et puis toute la construction sociale qui vient avec (le prénom masculin ou féminin, les vêtements comme ceci ou comme cela, et les injonctions à rentrer dans les normes correspondant au genre assigné qui commencent très tôt, tout ça).
Les personnes cis sont les personnes qui sont d'accord avec cette affirmation initiale. On a dit à leur naissance "c'est un garçon" ou "c'est une fille" et il se trouve que c'est vrai. Très souvent (dans l'écrasante majorité des cas en fait) leur corps correspond aussi à ce qu'on attend d'une personne de leur genre (les garçons développent de la barbe à la puberté, les filles des seins, tout ça tout ça). Ces personnes n'ont jamais vraiment de problèmes à faire reconnaître leur genre ; elles peuvent être mal à l'aise avec les injonctions qui viennent avec, ça peut leur poser problème que parce qu'elles sont garçons elles doivent pas pleurer ou que parce qu'elles sont filles elles doivent être effacées, pour prendre un exemple un peu grossier, mais fondamentalement, ça ne les dérange pas d'être garçons ou d'être filles et elles ne cherchent pas à changer ça.
Les personnes trans sont les personnes qui ne sont pas d'accord avec cette affirmation initiale. Ca les dérange d'être catégorisées comme garçons ou comme filles, et ça n'est pas qui elles sont. Elles s'identifient à un autre genre que celui qu'on leur a donné à la naissance, et qu'on leur impose de force tout au long de leur vie. Et les termes ne sont pas là dans un sens faible : quand je parle d'identification, je veux dire que les personnes trans ne grandissent pas comme les personnes cis, et intègrent les messages genrés de l'éducation et de la société d'une manière différente (à cause du décalage entre ce qui devrait s'appliquer à soi et ce qui est imposé à la place) et se construisent une image d'elles-mêmes différente de leur pairs cis, et souffrent toutes à divers degrés de la violence avec laquelle on nie leur identité pour les faire rentrer de force dans une case qui n'est pas la leur.
Le rapport au corps des personnes trans est différent selon les personnes, et souvent on le lie au genre, à comment on s'identifie (comme homme ou femme ou non-binaire) alors qu'en fait ça n'a rien à voir. Ca, c'est parce que le discours cissexiste de la société (le discours qui ne reconnait que l'existence des gens cis et efface l'existence des gens trans, qui dit que les personnes trans ne devraient pas exister et qui fait tout pour qu'elles n'existent pas - pour la société, mieux vaut des morts que des trans, franchement) tient une vision essentialiste des corps : les femmes ont forcément des seins et un vagin, les hommes ont forcément un pénis. Toute personne qui sort de ce modèle-là subit beaucoup de violences, tant symboliques ou au niveau des représentations, dans l'image qu'on donne des gens à la télé et dans le monde, et qui nie son existence, que concrètes : on est violent avec les personnes trans tout court, dans l'espace public quand on les reconnait comme trans on tente de les frapper ou on les frappe, et cela est d'autant plus vrai quand ces personnes trans se retrouvent dans un lieu où elles ne "devraient" pas être, comme les toilettes ou les vestiaires, où leur existence et leur présence remet en question de façon plus criante encore le mensonge du discours cissexiste de la société.
Et une personne trans qui rentre très bien dans le moule, une femme trans qui a des boobs et un vagin, et que personne ne soupçonnerait d'être trans, reste trans quand même : parce que son existence reste précaire. Naviguer des espaces genrés comme les toilettes publiques reste et restera toujours dangereux pour elle. Elle aura toujours des problèmes avec l'administration publique qui va se battre pour ne pas avoir à reconnaître son genre. Et puis elle aura toujours un passé. Elle aura toujours grandi dans un environnement transphobe, elle aura toujours du composer avec, elle aura toujours fait des diplômes, des cours à l'école, des choses, n'importe quoi, dans le genre qu'on lui avait imposé, et ça peut toujours remonter, et surtout, elle se sera toujours construite et elle aura toujours grandi en sachant que son identité n'était pas la bienvenue dans la société, et elle saura que tous les discours transphobes de la société et de son entourage s'appliquent à elle, même si son entourage n'est au courant de rien.
C'est un peu beaucoup fouilli, j'en suis désolée
je m'excuse aussi si le ton semble un peu sec ou dur, je ne suis pas fâchée, juste fatiguée (à cause de difficultés actuelles dans ma vie) mais le sujet m'intéresse et j'avais envie de participer tout de même, même si je ne peux participer qu'à la hauteur de mes moyens actuels, et que je ne peux pas faire un post aussi clair et lisible que d'habitude. N'hésitez pas à demander si certains points vous paraissent encore obscurs.