Ah ben il aura fallu ça pour que je dépose mon premier post ici, tiens. Et c'est même pas pour commenter l'article, que je trouve malin et bien écrit .
Non, c'est juste que je rentre du boulot là et que je lis ça : "les personnels de l'éducation nationale [...] vous faites rien pour éradiquer le harcèlement scolaire, l’échec scolaire, la précarité des élèves etc“.
Et du coup, j'ai un peu envie de pleurer.
Parce que je rentre du boulot, mon boulot de prof d'histoire-géographie-EMC en REP, mon boulot que j'exerce littéralement au cœur d'une cité qui est en ébullition en ce moment, où on brûle des arbres devant le collège (hier soir), où les "personnels de l'éducation nationale" se font insulter en sortant (hier après-midi), fracasser leur bagnole (la semaine dernière). Où il n'y a pas de présence policière et il n'y en aura pas. Où les gamins guettent à 12 ans et dealent à 14 et où le toit fuit, parce qu'on n'a même pas l'heur d'être en région parisienne et qu'on a zéro moyens. Où les profs donnent des cahiers à certains élèves qui n'en ont pas, où la direction cherche des solutions pour une famille SDF.
Mon boulot où j'essaie (et mes collègues avec moi) d'apprendre aux gosses un autre langage que celui de la violence, celui de chez eux et de la rue. Où je mets en place des choses exigeantes et rigoureuses pour leur donner des armes pour la vie, tout en combattant tant bien que mal l'absence totale de quoi que ce soit pour les élèves récemment (ou pas du tout) francophones. Où j'apprend à des ados ébahis qu'il existe des athées, que je suis française d'origine française et que si ça existe, qu'il y a des choses et des façons de faire en dehors des logiques de leur microcosme. Où j'enseigne des choses terribles et des choses belles, où on apprend la critique du monde et de soi-même. Où on organise des cours de remise à niveau en août. Où les profs se battent pour faire l'aide aux devoirs, parfois payée, parfois pas. Où on monte des clubs, jamais payés.
Mon boulot où j'utilise l'écriture inclusive, où je corrige des copies où apparaît de plus en plus le point médian. Où j'ai lancé un projet parité qui démontera, quelques heures par an sur les quatre niveaux, les stéréotypes de genre. Où nous organisions des médiations, des rencontres avec des professionnels, des projets pour essayer d'enrayer la violence qui a envoyé un gamin à l'hôpital l'autre jour - une bagarre entre 6èmes. Pour lutter contre le harcèlement.
Rouge à lèvres ? Shorts ? On aimerait bien. Mais à mon boulot, une fille qui oserait le rouge à lèvres ou le short, il faudrait que ce soient nous, les "personnels de l'éducation nationale", qui la défendions contre les autres. Qui affirmions son droit à le faire. Parfois vis-à-vis de ses parents.
Encore une fois, ce n'est vraiment pas l'article que je vise. Il m'a fait du bien, jusqu'à la fin et à ce tweet.
Je vise ce twittos qui, en deux phrases et sans ponctuation, du haut de son ignorance de ce qui se passe vraiment dans les écoles, chie sur mon travail. Et à qui, pardonnez mon langage, je voudrais bien cordialement pisser à la raie.
L'éducation nationale a du chemin à faire, beaucoup, et une autocritique à réaliser. Mais le problème de l'école, c'est que sous prétexte que tout le monde dans ce pays y est passé un jour, tout le monde dans ce pays se sent qualifié pour en proposer une analyse. Même si ça fait vingt ans que le contact avec l'école se limite à une réunion parents-profs par an et une signature de temps à autre sur un contrôle. Même si LES écoles et LES personnels de l'éducation nationale sont aussi diverses et multiples et changeants que LES élèves. Même si ces personnes n'ont qu'une idée très vague de ce que les profs font avec leur liberté pédagogique, qui est immense et précieuse.
Critiquez-nous, poussez-nous à faire mieux. Nous sommes avides de ça, parce que si nous nous plantons c'est notre souffrance et celle des gamins qui nous regardent avec attente et, souvent, avec confiance. Aidez-nous à nous améliorer, comme avec ce genre d'article.
Mais par pitié, arrêtez de chier sur un travail dont vous ne connaissez rien.