Jour 2!
Je n'ai jamais pensé à aimer mon corps. Il est fonctionnel. Il est censé m'être utile - et je ne l'aime pas quand il se rappelle à moi, quand il touche à ses limites, d'énergie, d'endurance, de taille, de force et de forme aussi. Je n'aime pas quand il me dit ne pas pouvoir persévérer, parce que bien souvent, il le faut quand même, et le prendre en compte me complique la vie. Je n'aime pas non plus m'en rappeler ni me rappeler ce qu'il a été par le passé.
J'ai beaucoup cherché quelque chose à aimer.
Et j'aime bien ma voix. Je ne sais pas si ça compte? Je trouve que ma voix est jolie. Je trouve que ma voix est débrouillarde, aussi, j'ai du l'entraîner un peu (parce qu'à la puberté, quand elle mue et descend dans les graves, elle le fait pour toujours, et si je veux une voix qu'on genre au féminin il me faut la rééduquer) mais du coup, même si je ne serais jamais une chanteuse d'opéra, je peux faire énormément de choses avec, et puis je peux toujours chanter.
Ma voix me protège. Quand les gens hésitent dans la rue, elle les pousse à m'appeler madame. Quand au téléphone on donnerait plus de crédit à un homme, elle me donne ce crédit (et j'use sans vergogne de mes tons graves et du petit bout de privilège masculin qu'ils me donnent si j'ai besoin qu'on m'écoute). Et puis avec le temps je sais comment faire pour moduler les tons, paraître moins fatiguée, moins faible que je ne le suis vraiment. Cela me demande un effort, et quand je ne peux pas le faire je redeviens la jeune fille monotone et fatiguée à la voix cassée que je suis vraiment. Mais même monotone je l'aime.
Et je crois que j'aime bien parler. J'aime les sons que je peux former, j'aime la façon qu'elle a eu de s'adapter face aux sons qu'elle ne pouvait pas former, jamais je ne saurais faire de th anglais ni de r roulé mais c'est pas très grave, c'est rigolo quand même, et j'ai un peu d'accent français quand je parle en anglais, à ce qu'il paraît. J'aime chanter, et j'aime faire des bruits et des vibrations, et sentir l'intérieur de mon corps participer à l'effort, et caser la voix dans le torse ou dans la gorge, la remonter jusqu'en haut du cou, et la redescendre ensuite, c'est plutôt rigolo même si à l'oreille le résultat est étrange. J'ai des jeux avec moi-même.
Row, row, row your boat!