Comme d'autres avant moi, et étant bi moi-même, cet article me met très mal à l'aise. Mon impulsion première après sa lecture avait d'ailleurs été d'écrire un commentaire un peu salé, mais je me suis freinée et je suis allée prendre l'air. Je l'ai relu depuis deux-trois fois à tête plus reposée, mais je suis toujours autant mal à l'aise et pleine de questions.
Comme l'a souligné une autre madz, on dirait que le patriarcat, dans ce témoignage, c'est vraiment quelqu'un qui a agi à la place de cette personne à la façon d'un marionnettiste, et du coup c'est comme si en le dénonçant, ça lui ôte à elle la responsabilité de ses actes et de ses choix... surtout quand on connaît l'impact d'une société patriarcale sur, justement, les femmes lesbiennes
ET bies.
Du coup je vais essayer un peu de décortiquer pourquoi j'ai été gênée, même si je ne suis guère douée pour ça. Ca risque d'être surtout des explications un peu brouillonnes et emmêlées.
Déjà, l'article commence par cette phrase :
Aujourd’hui je peux le clamer haut et fort :
je suis hétérosexuelle.
Non, il ne m’a pas fallu un courage immense ni lutter contre de violentes oppressions pour affirmer cela aujourd’hui, à 26 ans.
Personnellement, ça m'a braquée tout de suite
La façon dont la phrase est formulée + le fait que l'article commence par ça, j'avais envie de répondre "j'espère que ça a pas été trop difficile pour toi d'assumer ton hétérosexualité". Toutefois, on nous a promis une "analyse des dynamiques et injonctions sexistes", du coup je poursuis ma lecture et garde mon sel pour mes chips.
L'introspection que l'autrice fait sur son comportement vis-à-vis du corps des autres femmes, c'est intéressant : les femmes laides quand ne rentrent pas dans les stéréotypes, belles quand si, la neutralité du corps des hommes, ok. C'est un biais sexiste qui frappe la majorité des gens et qui est une des bases qui nourrit le mouvement "body positive" (ainsi que ses critiques récurrentes de pourquoi ce sont des femmes qui correspondent à certains critères de beauté qui sont le plus mises en avant dans ce mouvement).
Le passage sur "embrasser une femme pour exciter un homme", associé au fait que ça donne une image de femme libéré à l'autrice, c'est également un biais sexiste, effectivement, surtout dans les années 90 et début des années 2000 avec cette ambiance "sex positive" qu'il fallait adopter pour être perçu.e comme "cool", mais ce qui n'est guère précisé, c'est que c'est aussi un biais biphobe (l'analyse de la biphobie dans la société est passée à la trappe). L'autrice explique que dès le moment où ça se passe, elle trouvait ça agréable de voir l'effet que ça faisait sur l'assistance (quand elle embrassait une fille)... mais pas l'effet que ça lui faisait à elle. Du coup, dès ce moment-là, en d'autres termes, elle s'est rendue compte qu'elle était plus excitée par être vue en train d'embrasser une fille, que le fait même d'embrasser une fille.
Ensuite petit passage sur le porno, découvert vers ses 17/18 ans, ok, je poursuis la lecture.
Et là, l'autrice explique que son questionnement s'est immiscé en elle. J'avoue j'ai pas compris : c'est se masturber sur des vidéos où elle voyait des femmes (mais en relation hétérosexuelle, si je comprends bien le passage) qui l'a fait se questionner ? Quid de toute son analyse précédente où elle explique bien qu'elle s'est rendue compte qu'elle faisait ça car elle aimait être vue le faire, et non pas car elle aime tout simplement ça ? Peut-être qu'on me trouvera dure, mais honnêtement, l'autrice avait 18 ans à ce moment-là, déjà une expérience sexuelle et romantique, également une sociabilisation avancée si je saisis bien son témoignage, donc je ne comprends pas comment c'est le simple fait de mater du porno qui lui a fait s'immiscer sa graine. J'ai dû louper ou mal interprété quelque chose ? Pour moi, qui sans avoir eu d'expérience romantique et sexuelle, j'ai compris que j'étais bi vers mes 13/14 (et n'en ai parlé que six à sept ans plus tard), je trouve ça particulier ce cheminement de pensée, mais pourquoi pas.
L'autrice a une première expérience sexuelle avec une femme et commence à se poser sérieusement la question, ce qui est compréhensible. Par contre, elle nous a expliqué précédemment qu'elle avait déjà des clés de compréhension bien avant ça (son adolescence où elle embrassait des filles pour le kiff, sa non-attirance sexuelle pour les femmes, le fait qu'elle était plus avide d'expériences qu'autre chose, le fait qu'elle n'ait pas ressenti grand chose). Pourquoi pas retenter l'expérience avec une autre femme, c'est même sûrement la façon la plus radicale pour savoir si on est attirée ou non par des femmes (même si on peut rencontrer 1000 femmes qui nous laissent de marbre, et 1 qui nous fasse chavirer).
Mon malaise, j'avoue, s'est accentué avec l'idée d'un plan à 3 et le fait que ça fasse meuf ouverte d'esprit, car j'imagine qu'à cette période-là, elle s'affirmait bisexuelle auprès de ses copains ? En tout cas, ça renvoie clairement à des clichés biphobes, que du coup elle a nourri de sa propre initiative, clichés qui impactent également les lesbiennes (le nombre de lesbiennes qui se font proposer des plans à 3 avec un mec, sans tenir compte de leur orientation sexuelle ...), clichés qui ne sont pas juste des moqueries, ou des tentatives de drague, mais peuvent clairement impacter de façon très négative les femmes bies (et lesbiennes), que ce soit de l'intimidation à la violence sexuelle (elle est bie donc elle voudra, elle est bie donc elle aime tout, elle est bie mais je vais la rendre plus hétéro etc.).
A ce point-là de l'article, et avec l'âge de l'autrice qu'on connaît, lire
Je n’en avais encore une fois pas conscience, mais je jouais le jeu du patriarcat, de l’hypersexualisation des femmes et des relations sexuelles entre femmes.
me fait grincer des dents, vu ce que l'autrice a raconté de la façon dont elle ressentait les choses dès son adolescence... Vraiment, aucune idée de l'impact de ses actions ? Pourquoi pas, mais pour ma part, je suis directement ciblée par cette hypersexualisation en tant que femme bi, et j'avoue que ça pique un peu.
Je trouve que c'est assez brouillon dans l'article, cette idée entre "je ne savais pas ce que je faisais car je ne suis pas déconstruite mais maintenant, si !" et le "j'étais consciente que je faisais ça car ça m'excitait qu'on me voit comme ça, plus que parce que la chose en elle-même me plaisait" : ça se chevauche et je ne sais quoi en penser, à quel moment exactement elle se rend compte qu'elle fait ça car ça lui plaît (d'être vue ainsi) ?
En plus, le patriarcat façonne nos représentations du monde, notre culture, notre façon de nous appréhender nous, notre place en tant qu'individu, dans une communauté d'autres individus, certes, mais il ne nous ôte pas notre réflexion...
Après, peut-être l'autrice s'est-elle perdue dans sa recherche d'expérience entre ses désirs, sa curiosité, ce qu'elle pensait que "la société lui dictait", c'est tout à fait possible. Sauf que, quitte à se déconstruire et poser des mots, allons-y : ce n'est pas juste le patriarcat qui a influencé sa manière de voir les relations avec les femmes (et les hommes), mais aussi la
biphobie :
Tout à coup j’en étais persuadée : j
e suis hétérosexuelle, pas bisexuelle, et ne pas être excitée par les femmes en tant que telles n’était pas grave, ça ne faisait pas de moi une meuf moins désirable ou moins « ouverte ». C’était juste comme ça.
Voir les femmes bies comme un ticket d'ouverture d'esprit, de désirabilité dans le regard masculin, c'est biphobe (et réifiant). Pas juste sexiste.
Ce qui me gêne, grossièrement :
- je ne comprends pas quelle portée l'autrice veut donner à son article ? quel est son but en, non pas seulement rédigeant cet article, mais en l'envoyant à un magazine pour qu'il soit publié ? ;
-la bisexualité, c'est pas un chemin pour se rendre compte qu'on est soit hétéro soit lesbienne ;
-où est la remise en question de ses propres agissements en tant qu'individu ? (le système est profondément raciste, transphobe, homophobe, biphobe, sexiste, validiste... et il influence nos façons de nous comporter, de percevoir les autres, de nous intégrer en société...
mais cela n'ôte pas la responsabilité individuelle qu'on a sur nos paroles et nos actes, cela ne nous rend pas totalement soumis à ce système et donc de ce fait dédouanable) : ainsi, quitte à se considérer comme déconstruite et à avoir analyser son vécu, et surtout, quitte à dire qu'on prend du recul sur son vécu... où est sa responsabilisation ? ;
-au niveau du recul, pourquoi ne faire qu'une analyse anti-patriarcale, et ne pas intégrer l'analyse anti-biphobie, vu que l'autrice parle quand même de bisexualité. Les femmes bies sont des femmes
ET elles sont bi, ce croisement fait que pour analyser l'impact d'un système sur cette orientation bisexuelle, il est nécessaire de se renseigner et prendre du recul sur 1/ la biphobie portée par ledit système ; 2/ sa propre biphobie... donc pourquoi n'avoir fait le choix que de parler d'influence sexiste, et pas biphobe ? ;
-l'argument "la faute au porno" (grosso modo), il m'est totalement incompréhensible, je ne vois pas en quoi mater du porno à 18 ans et voir des femmes se faire pénétrer te fait te questionner à ce point-là sur ta sexualité, mais là j'avoue, j'ai dû rater une subtilité dans le témoignage ;
-je trouve que c'est assez malaisant, voire peut-être légèrement humiliant, cet article pour les personnes bies, en tout cas je le ressens ainsi et je serai ravie d'avoir des retours de personnes bi et pan qui ne le ressentent pas de cette façon. Ça donne du grain à moudre aux hommes pour continuer de sexualiser les femmes bies et lesbiennes (après tout, ça permet à d'autres femmes de mieux comprendre leur sexualité, quelque part, so let's go), et ça donne aussi du grain à moudre à la biphobie des personnes gay et lesbienne (la bisexualité c'est pour la fame, c'est l'expérience, ce sont des hétéro inflitré.e.s) (je rajouterais ainsi que cette double biphobie, de la part des hétéro et de la part des homosexuel.le.s, ça a un impact direct sur 1/ la santé mentale et sexuelle des personnes bisexuelles et pansexuelles ; 2/ les ressources que les personnes bies et pan peuvent trouver, càd que si tu es éjecté des deux communautés monosexuelles, tu vas pas trouver beaucoup de soutien) ;
-il n'y a pas d'injonction à la bisexualité comme on pourrait le lire en filigrane dans l'article, dans le sens où, certes, les femmes bies sont si sexualisées que, oui, ça se répercute sur les femmes lesbiennes qui reçoivent des propositions d'hommes et sur les femmes hétéro qui apparemment le font pour être désirables, mais in fine, ce que l'homme hétéro veut, c'est une femme pour son désir à lui, donc forcer toutes les femmes à coucher avec lui (= injonction à l'hétérosexualité) ;
Je vais finir mon commentaire, que j'espère pas trop brouillon ni mal rédigé, ici... Je trouve que je n'ai même pas réussi à retranscrire le pourquoi de mon malaise à la lecture du témoignage.