Je suis particulièrement vindicative en matière de harcèlement scolaire. Je pense que les sanctions ne seront jamais à la hauteur. Beaucoup de gens s'émeuvent d'un collégien arrêté en cours, et combien ont parlé du suicide de Nicolas ? Du torrent de merde du recteur qui demande à ses parents d'arrêter leurs accusations "diffamatoires" ? Quelles mesures ont été prises contre ce recteur ?
Combien faudrait-il encore de Marion, Matteo, Lucas, Nicolas, Evaëlle, Lindsay, Maëlle, Jonathan, et tou.tes les autres qui ont décidé de se donner la mort à cause de sacs à merde qui les harcelaient ?
On aurait pu rajouter "Laura" en 2006 à cette liste. Parce que Laura a été harcelée pendant trois ans au collège. Frappée. Insultée. Humiliée. Rejetée. Crachats. Gifles. Casse des affaires scolaires. Colle forte dans le cartable. Poussée dans les escaliers. Exclue en groupes de sport. Appels anonymes à la maison. Menaces sur MSN. "À la rentrée, tu vas prendre cher". "On t'attendra derrière le portail". "On va te crever". Un soir, Laura a appelé sa meilleure amie pour lui dire adieu. Sa meilleure amie est restée en ligne et a en même temps appelé la mère de Laura, qui est rentrée plus tôt. Les réunions avec les profs ne donnaient rien. "C'est des histoires d'enfants". "Des conneries". "Ça leur passera". Les pions voyaient. Les profs voyaient. Le principal a vu. Les CPE ont vu. Qui a bougé ? Une prof de maths. Et à part elle ? Personne. Est-ce que ça a donné quelque chose ? Non. Laura pleurait quand même tous les soirs. Elle se levait pour aller vomir. Aujourd'hui, Laura a toujours l'impression qu'elle est débile, laide, qu'elle "sert à rien", que tout ce qu'elle fait est mauvais, elle essaye de gagner en confiance, mais le regard des autres est toujours une souffrance, une crainte. Anxiété sociale. Isolement pendant cinq ans. Dépression.
Laura, c'est moi. C'est ma vie tout ça. Mes séquelles de ces "histoires d'enfants", de ces "conneries". Moi, au moins, je suis toujours là pour en parler. Pour me faire la voix de celles et ceux qui ne sont plus là.
Le harcèlement scolaire revient souvent dans l'information comme un marronnier. On parle de la rentrée, du harcèlement, de la "journée de lutte", "semaine de sensibilisation". Ok cool. Je me souviens très bien avoir eu deux personnes d'une asso qui sont venues nous dire un jour "le harcèlement c'est mal". Et je me souviens très bien de mes harceleuses qui se sont regardées et qui ont répondu à voix basse dans mon dos "ouais mais elle, elle l'a cherché".
Les profs m'ont demandé si je voulais changer de collège. Normal. On change toujours la victime. Histoire qu'elle se retrouve en milieu d'année dans un collège inconnu, peuplé de gens qui se connaissent tous depuis X années, et qui vont la persécuter parce que c'est "la nouvelle". Je n'ai pas changé de collège. J'ai vécu trois ans d'enfer quotidien. Même pendant les vacances. Et une seule chance : les réseaux dits "sociaux" n'existaient pas.
Bastien, Véronique, Elodie, Marine, Jordan, Emilie, Romy, Gérôme, Harmonie, Loris ; vous m'avez peut-être oubliée, moi non. Et je ne vous oublierai jamais. Pas même quand vous essayez de vous racheter une conscience en devenant "psychologue spécialisé dans l'aide aux victimes", "professeure d'EPS", ou que vous avez des avis sur Google mettant en valeur votre "immense gentillesse". Je ris. Le karma vous attend. Si c'est pas déjà fait, vous allez le prendre le retour de bâton. Dommage, c'est pas moi qui aurait la satisfaction de vous le mettre où je pense. Vous ne m'avez jamais demandé pardon. Vous ne demanderez jamais pardon. Mais vous avez détruit ma vie.
J'en ai fait des thérapies, vous m'avez coûté cher. Hypnose, psychologue, EMDR, tout juste si j'ai pas consulté un chaman pour me désenvoûter. Je devrais vous envoyer des demandes de remboursements. Cinq ans de thérapie à 50€ la séance, à raison d'une seance par semaine pendant trois ans, et deux séances par mois depuis deux ans, j'aurais pu m'en payer des choses. J'aurais pu l'économiser cet argent. Mais je l'ai dépensé pour essayer de vivre avec le calvaire de mes souvenirs. Parce qu'en plus, malheureusement, vous avez harcelée une hypersensible hypermnésique. Je travaille pour oublier. Mon cerveau ne sait pas oublier.
Depuis un moment je réfléchissais à intervenir, à faire de la prévention contre le harcèlement. Mais je savais que j'allais avoir des potentiels harceleurs/leuses en face de moi. Et c'était trop dur. Trop dur de contenir ma rage, de ne pas exploser et tout casser comme j'aurais dû le faire quand j'étais collégienne. Je sais que je devrais écrire un livre sur le sujet. Mais combien de livres ont été écrits déjà. Ceux d'Emmanuelle Piquet, entre autres, une grande dame dont on parle si peu. J'avais même pensé à aller la voir, mais elle est si loin et si occupée.
Y a des nuits où je rêve que je retourne au collège. Des nuits où j'entends encore ce que vous m'avez dit. Où je ressens encore la douleur, la souffrance. J'étais heureuse avant. Pourquoi vous m'avez fait ça ?