Lea prochain.e scientifique qui me dit qu'iel fait de la science (en sciences naturelles et info) parce que c'est pas politique, je lui fous une claque.
Coucou, doctorante en chimie quantique au rapport
Avant que tu ne me foute une claque, tu pourrais m'expliquer en quoi tu considère que mon domaine d'étude est politique?
Merci!
Tout est politique : le fait qu'on choisisse de s'intéresser d'abord à tel ou tel domaine, le fait qu'on mette des moyens dans tel ou tel domaine... Pour parler de ce qui concerne spécifiquement ton domaine à toi que je ne connais pas du tout, je dirais, l'influence de la chimie dans des domaines réels comme la R&D.
@shigurette dit quelque chose d'intéressant à ce sujet, c'est que c'est sans parler de la sociologie des sciences qui parlent des rapports entre qui, dans celleux qui font la recherche, sont vu comme légitimes. En gros : les recherches de certain.es chercheureuses peuvent être perçues comme plus ou moins légitimes par leurs pairs sur des bases qui ne sont pas uniquement scientifiques et factuelles, mais à cause de biais comme le genre ou la race.
Par ailleurs, le choix et la façon de poser les questions ne sont sûrement pas 100% neutres.
Je tiens à nuancer : si la décision de financer tel ou tel domaine scientifique est politique, la science elle ne l'est pas.
En particulier, je ne vois pas pourquoi "tout est politique". Le mot "politique" définit un concept précis ; si tu l'utilise à tort et à travers tu le dévalue. Je pense que c'est valable pour n'importe quel concept d'ailleurs.
Exemple absurde : dire "toute couleur est verte" non seulement ne renforce pas la notion de "vert", mais annihile complètement la notion même de couleurs.
Je ne suis pas tout à fait d'accord !
Il n'y a pas que le financement de la science qui puisse être politique. La science l'est parfois elle-même.
Parfois, aux "origines" d'une science, il y a un (ou plusieurs) enjeu politique. (on pourrait dire aussi "combats")
De même que parfois, derrière la pratique du scientifique, il y a un (ou plusieurs) motif politique.
Peut-être moins maintenant (je ne sais pas), mais avant souvent.
(Par "avant", j'entends surtout l'époque moderne, puisque l'histoire des sciences que j'ai étudiée la concernait particulièrement.)
Je pense que ça va vraiment dépendre des sciences
Je vois assez peu comment on peut mettre de la politique dans les maths, la chimie ou la physique (on peut mettre de la politique dans les financements, sur la recherche par exemple, mais si la recherche sur la fusion nucléaie a été politique fût un temps, la découverte et la compréhension de la fusion nucléaire n'est pas politique)
Par contre, dès qu'on touche à la biologie, sociologie, etc, là, les sujets d'études, la manière dont s'est étudiée, les conclusions données peuvent être politique.
Ce que
décrivent les maths n'est pas politique, mais le
discours (donc la mathématique) l'est. Ca se manifeste de plein de manière : le système décimal, le fait d'utiliser des lettres grecques et latines, le fait d'avoir développé tel aspect des maths avant tel autre (parce que telles techniques étaient disponibles dans la société qui a découvert telle règle mathématique par exemple, ça aussi c'est politique). Toutes ces choses font partie du
discours. Vous voyez la nuance ? La mathématique, ce n'est pas une essence. C'est un
discours sur une chose, qu'on peut grossièrement résumer à : "les nombres".
Si ça vous intéresse vraiment :
- Auguste Comte, Cours de philosophie positive
- Auguste Comte, Discours sur l'esprit positif
- Emmanuel Kant, Critique de la raison pure
Le discours positif (au sens
positivisme) qu'on trouve aujourd'hui, dans la science contemporaine, est très, très basé sur Auguste Comte. Il est à mettre en perspective quand même parce qu'il fait une hiérarchisation entre les disciplines scientifiques par exemple.
Je pensais à l'épistémologie de un parce que c'est un truc qui m'intéressait de base... et de deux je suis aussi directement concernée pour parfois vivre de plein fouet des dynamiques sociétales. Le truc tient dans ce que j'ai dit plus haut, dans le fait d'avoir des privilèges. Oui moi aussi j'aimerais bien pouvoir "juste" parler de science avec mes collègues, mais quand on me micro-agresse au quotidien, bah non je peux pas prétendre que la science c'est cet environnement trop cool pas raciste/transphobe/sexiste et j'en passe. Au niveau productivité (puisque c'est souvent le truc), alors clairement ça m'affecte puisque c'est pas comme si c'était kiffant de se faire insulter dès son café matinal
(...)
Et y a un bouquin qui vient de sortir, je crois astronomy and wars, qui retrace bien à quel point les liens sociétaux ne sont jamais loin, la recherche, dont la recherche fondamentale, n'a jamais autant progressé que par les retombées des efforts de guerre...
(il faudrait que je remette des liens une fois
)
Si je peux me permettre, il y a beaucoup de références académiques sur comment la science (y compris les mathématiques*) est historiquement et socialement située. Plus récent et (à mon sens) plus pertinent que Comte, il y a
Léviathan et la pompe à airde Shapin et Schaffer, ou
La construction sociale de quoi ? de Ian Hacking. Ou même les travaux de Thomas Kuhn.
Séparer "la Science" des personnes et institutions qui la font me semble une position difficile à tenir, aujourd'hui.
* Edit : Y a pas de maths dans mes références. Donc par exemple
Itinéraire d’un texte mathématique. Les réélaborations d’un mémoire d’Evariste Galois au XIXe siècle de C. Ehrhardt
.
Pour enfoncer le clou de la science qui serait politique, comme tous les domaines humains : les sciences sont influencées par les moeurs et les idées dominantes d'un époque, ça influence à la fois l'orientation des recherches mais aussi leurs interpretations.
Pour donner un exemple qui ne tienne pas du personnel, j'aime bien citer l'histoire de l'Homme de Piltdown : c'est un canular archéologique qui date de la premiere moitié du XXe siecle. Des archéologues ont "découvert" dans une carrière des crânes humains qui semblaient contemporains, associés à des mâchoires inférieures semblables à celles de singes. Ces restes ont été estimés vieux d'un demi million d'années, ce qui les aurait rendu contemporains de l'homme de Pékin (fossiles d'homo erectus qu'on a retrouvé en Chine). Selon Stephen Gould, de qui je tiens l'histoire (il est paléontologue et la plupart de ses livres de vulgarisation traitent de l'histoire sociale des sciences, justement), le canular aurait du sauter aux yeux de la communauté scientifique européenne de l'époque, puisque n'importe quel anatomiste aurait pu témoigner de l'incongruité de cette découverte (certains l'ont fait, mais n'ont pas été écoutés) , et puisque cette disposition (gros crâne + mandibule de singe) ne correspondait pas à des fossiles qu'on estimait de la même époque et qui avaient plutôt la disposition inverse (petit crâne, mandibule humaine). Seulement, l'homme de Piltdown confortait les attentes des scientifiques à ce moment là : déjà, on avait quasi pas trouvé de fossiles en Grande-Bretagne, il y avait donc une sorte d'enjeu patriotique pour les paléontologues anglais à posséder "leur" fossile. Et surtout, il confortait des thèses raciales.
Contrairement à l'homme de Pékin, qui semblait être un humain au sens où la plupart de ses caractères simiens avaient disparus (il était bipède, avait une machoire semblable à celle des hommes d'aujourd'hui...) malgré son petit crâne => donc petit cerveau, l'homme de Piltdown lui laissait supposer qu'à cet endroit de la planète le cerveau des humains s'était développé avant la bipédie, et confortait donc l'idée que chez l'homme européen l'intelligence avait précédé le reste de son développement physique.
Pour faire cour, qu'en Chine on a d'abord été des bipèdes stupides comme des singes, tandis qu'en Europe on aurait d'abord été des singes intelligents comme des humains.
La méthode scientifique ne sert que de garde fou imparfait, et d'ailleurs Stephen Gould en parle : il faut se garder de croire que ce genre d'erreurs scientifiques ne sont possibles que parce que la science était alors faillible et imparfaite. Les chercheurs ont depuis très longtemps cherché l'objectivité, seulement c'est impossible et le principe des biais est qu'ils s'appliquent de toute bonne fois : à une époque on pensait de toute bonne fois qu'un individu mâle, le plus gros possible, devait être le membre le plus représentatif de son espèce. Ce n'est pas un manque volontaire d'objectivité, juste une question qu'on ne se posait pas, et dont la réponse semblait évidente.
Team sciences humaines, j'ai cherché quelques sources qui expliquent pourquoi derrière chaque science dure il y a des biais (ainsi que le disait
@Etp ). Dans notre spé, c'est toujours un débat-combat d'actualité
Je recommande la série docu "Regards sur la psycho sociale expérimentale", notamment celui où on prouve en laboratoire, scientifiquement donc, les effets de l'étiquetage des individus sur la perception. Les biais, les préjugés qui construisent la réalité de tout individus.
On ne perçoit pas la réalité mais une construction de la réalité, une représentation.
Il y a aussi :
- Les épistémologies constructivistes de Le Moigne,
- Car la culture donne forme à l'esprit de Bruner qui explique comment la culture, la théorisation inconsciente, influent sur les individus. Bruner est le pionnier de la psycho culturelle et un des pères fondateurs de la psycho cognitiviste. La méthode devrait plaire aux défenseurs de la neutralité des sciences dures
- Ce qui nous fait penser. La nature et la règle de Changeux et Ricoeur
- Pour l'histoire de la psycho (Comte et les autres, l'opposition entre science naturelle et science humaine), Histoire de la psychologie de J Marmion, Histoire de la psychologie générale de Mariné et Escribe
Voilà, au pire, j'espère que ça intéressera quelqu'un
Parce que vraiment, il y a des questions qu'on doit se poser sur notre position au monde.
Édit: Je rajoute un docu YouTube :
Les pharaons noirs, ou comment des biais racistes ont poussé des archéologues à réfuter l'importance historique du royaume de Koush (actuel Soudan). Royaume qui a sauvé Jérusalem entre autres.
EDIT D'ETP : Si vous voulez que je retire votre identification c'est pas un soucis, je vous remplacerai par "Anonyme".
EDIT 2 : J'ai enlevé les spoilers persos, non pas parce que c'est inintéressant... Mais parce que c'est perso justement et vous avez sûrement pas envie de vous retrouver affiché.e ici sans contrôle dessus :/