Le débat était très intéressant à lire. Quelques remarques en vrac pour ma part... (Je vais faire des bulletpoints, parce que les bulletpoints c'est cool, ça donne un côté professoral faussement intelligent et clarificateur)
- je crois que beaucoup de choses ont été mélangées au cours du débat
* la description objective d'un genre de BD qui existe quoi qu'on en dise (comme d'autres l'ont dit : d'abord un outil marketing, c'est devenu un genre dans lequel des auteurs se complaisent volontiers) : la BD Girly
et
* la connotation péjorative que peut avoir le qualificatif "girly"
- Un genre est un genre, il a des codes qui créent une attente particulière et qui vise un public en particulier. (Comme n'importe quel autre genre, la BD SF, la BD humour, le shonen ou le shojo en manga etc.)
Théoriquement, on n'évalue pas la qualité d'une oeuvre par rapport au genre auquel il appartient. (Comme, théoriquement, on ne devrait pas juger une oeuvre en fonction du sexe de l'auteur, de l'époque dans laquelle elle a été conçue, du pays d'origine etc.) Ce sont des données contextuelles, factuelles ; elles font partie de l'essence de l'oeuvre mais ne la résument pas.
Donc, comme beaucoup l'ont dit, l'article de Maïa avait peu de sens : c'est comme si les auteurs de polar ou de SF dénigraient leur genre, niaient qu'ils usent de codes que l'on peut retrouver dans des oeuvres voisines.
- Je ne connais pas très bien Bastien Vivès, mais de ce que j'ai pu en voir, il me semble qu'il n'obéit pas aux codes Girly. "Girly" ne veut pas dire thématiques féminines comme on a dit (sans quoi, je veux dire,
Madame Bovary c'est de la chick-lit ?
) mais s'attache plus à un stéréotype propre à notre époque (la hipster égotiste, pour aller très vite).
Evidemment, après, les catégories ont toujours quelque chose de flou, les codes sont plus souples qu'on pense. Mais on peut au moins distinguer certains motifs qui permettent des classifications (dont les visées sont purement pragmatiques et marketing. Mais l'homme est ainsi fait, tout ça c'est juste pour gagner du temps avant la mort au fond et pour éviter de sombrer dans le flou des existences artistes. Je m'égare). Et dans le cas du girly comme on a pu dire, il y a la couleur rose, la tendance à une féminité régressive, acidulée etc.
- Il y a une connotation négative propre au terme "girly" (qui ne désigne pas seulement des oeuvres, mais un "style" comme ont pu le dire - comme on peut parler de geek, d'emo, d'hipster, de bobo etc.) Mais cette connotation négative vaut pour toute étiquette de ce type qui décrit un cliché (et donc même si geek c'est à la mode, ça a pu avoir une connotation négative, de même que bobo, hipster, etc.) De même que le polar ou la SF sont des genres considérés comme moins nobles dans certains milieux que la grande littérature parce qu'ils paraissent cloisonnés dans des codes étriqués pour qui ne connaît pas en profondeur la SF ou le polar etc. (Et la "grande littérature" serait plus affranchie des codes, mais bien sûr c'est faux.)
- D'une manière générale on estime que plus une oeuvre s'affranchit des codes sur lesquels elle s'appuie, pour faire parler une voix personnelle, vivante (détachée d'un genre, d'un sexe, d'une nationalité, et tend à l'universel), plus elle est de qualité. Justement parce que se cantonner dans les codes rend forcément le récit plus étriqué et plus impersonnel, car il suffit d'avoir un peu de technique pour arriver à se plier aux codes. C'est comme un mauvais polar de roman de gare qui use des mêmes ficelles éculées alors qu'une grande oeuvre, elle, surprend par son individualité.
Or, la "BD Girly", comme le décrit bien Tanxx, a l'air de se complaire dans ses propres limites, et c'est ce qui peut créer la frustration à la lecture de cet article de Maïa, qui sonne plus comme un éloge de la "médiocrité" (n'essayons pas de faire mieux, essayons simplement de valoriser ce qui se revendique comme médiocre). Je ne suis pas sûre qu'elle ait voulu faire passer ce message, mais le fait est qu'elle a l'air de restreindre la part créative féminine, la littérature féminine au "girly" (tout l'entête de l'article crée cette confusion). Ce qui est franchement désagréable.
Je ne connais pas assez la BD girly, mais pour comparer avec un genre proche, je suis grande fan de Shojo, et il y a des shojos qui se distinguent du lot, qui transcendent le genre et qui arrivent à avoir une portée plus universelle, même si de base y a des fleurs de l'amour et du rose aux joues.
Il est possible de puiser dans un genre pour s'en affranchir et affirmer une véritable personnalité. Que ce soit pour la BD Girly ou autre chose. (Et là, les exemples cités ont pas l'air de s'affranchir de leur cadre, hélas. C'est ce qui est gênant.)
Et puis je pense fondamentalement qu'un mec pourrait faire de la BD Girly, pour moi la question du sexe de l'auteur (comme de sa nationalité, de ses préférences sexuelles, voire de sa vie personnelle) est hors de propos. On continue de confondre auteur et oeuvre, c'est un vrai problème ça. (Même pour les gens qui écrivent, faut croire, qui se sentent attaqués pour ce qu'ils sont, alors qu'on ne fait qu'attaquer ce qu'ils écrivent...
)
Mais bon voilà, les femmes peuvent s'emparer de n'importe quel genre - polar, SF, action, geek, girly, gothique, emo, fantastique, chick-litt - et sublimer le genre, voire le transcender, le dépasser, devenir des individus autonomes et artistes. Ou être médiocres comme des hommes médiocres.
Après, comme on a pu le dire, on cherche pas forcément la qualité en permanence et il n'y a pas à se culpabiliser de se distraire avec du médiocre. (J'entends médiocre au sens "moyen".) Nous ne sommes pas des êtres suprêmes hélas.
C'est simplement triste de résumer la création (ici féminine) à du médiocre.