Je remercie la modératrice pour son intervention afin d’assainir le débat. Je souhaite le poursuivre en raison des sujets très actuels qui sont abordés mais finalement peu discutés, et qui me touchent tout particulièrement.
Tout d'abord, pour clarifier certains points, je n'utiliserai plus le vouvoiement si c'est l'usage ici, mais il ne s'agit pour moi que d'une façon polie de s'adresser à des gens que l'on ne connait pas.
Signaler mon travail d'historienne n'explique que mon point de vue, il ne sert pas à imposer un argument d'autorité : j'estime que l'histoire n'a pas besoin d'être rétablie, seulement étudiée. Malgré ma formation d'ethnologue, plus récente, j'ai toujours un peu de mal à comprendre que les groupes militants n'aient pas conscience qu'ils travaillent sur de la mémoire, non de l'histoire, qui est une matière inerte et complexe d'abord, à aborder avec force de relativisme et de pincettes.
Cette occupation médiatique des conflits de mémoires sont d'autant plus douloureux pour moi que, me sentant assez féministe, je me trouve très isolée dans mes positions, assez proches de celles de Badinter. J'estime que les militants doivent s'occuper des vivants, non des morts, et que ce féminisme qui ne s'attache qu'à des mesures qu'elles estiment symboliques -mais qui ne constitue qu'une manipulation de l'histoire ou de la langue, qui ne sont rien d'autre que des traces du passé neutres- est particulièrement contre-productif.
Pour en revenir sur la question des méthodes de l'histoire qui a été abordé dans le message précédant,il convient avant tout de rappeler qu'il s'agit d'une science humaine. Ce qui fait l'histoire, et son aspect scientifique, c'est qu'elle se base sur des sources, qui peuvent être de toute nature (archive, épigraphie, document iconographique, sonore, architecture...). L'une des premières données qui fait que la façon d'envisager l'histoire à travers le temps change, c'est que les sources aussi changent :
on en découvre de nouvelles (soit la la découverte de sources inconnues, soit on a droit à consulter de nouvelles sources, tout n'est pas toujours accessible pour les sources contemporaines pour des raisons légales),
ou on utilise d'autres connues de façon différentes (ce n'est que depuis récemment que les historiens travaillent à partir de minutes de notaires ou de rapports de polices pour reconstituer l'histoire des mœurs).
Pour bien illustrer à quel point les sources sont importantes, je citerai un exemple bien connu des féministes, Carlo Ginzburg, qui a révolutionné la méthode historique dans les années 1980 avec l'invention de la micro-histoire, qui consiste à suivre un individu lambda au travers des archives, et plus uniquement à travailler sur les diverses chartes, ou chroniques historiques. Il a notamment travaillé sur les procès de sorcellerie, et, plus que de prouver une oppression des femmes comme ses travaux ont été interprétés à posteriori, il montre l'important décalage entre la religion savante des inquisiteurs et la religion populaire de l'époque, dont nous ignorons tout faute de traces. Il s'agit en effet de véritables procès, avec présentation des preuves, défense et accusation, les sorciers et sorcières jugés innocents sont relâchés. Le plus souvent, les sorcières condamnées le sont vraiment, elles pratiquent réellement des cultes populaires (vision de la Vierge ou assimilé, pratiques rituelles visant à ensorceler ou désorceler dans leur intérêt ou pour le compte d'autres personnes...), qui nous sont peu connus, et ninte les accusations des inquisiteurs résultant de cultures savantes (participation à des sabbats, copulations diaboliques...).
Plutôt que de n'y voir qu'une question de domination genrée assez anachronique (si domination il y a, elle est sociale entre la paysannerie et l'institution de l'Eglise), il me semble plus intéressant, en creux, d'étudier qu'elle pouvait être cette religion populaire et rurale à l'Epoque médiévale et moderne.
Comme il a été signalé, l'histoire ce n'est pas que des sources, c'est aussi une question d'interprétation, et c'est là que la composante "humaine" intervient, cependant, l'histoire est une matière plus longue que l'anthropologie -où l'interprétation des faits observés tient une place capitale dans la discipline-, les historiens savent que l'interprétation est une donnée fluctuante et c'est pour cela que l'interprétation d'une même source peut changer selon l'époque.
C'est aussi pour cela que les historiens, qui s'embêtent à faire un travail rigoureux, qui tentent le plus souvent de rester prudent et de d'être le plus honnêtes intellectuellement possible, apprécient modérément que des politiques et divers groupes de pressions veuillent leur apprendre leur travail, voir les contraindre dans leur propos à travers des lois mémorielles. Des historiens qui ont travaillé sur l'esclavage, notamment en Afrique, Pétré-Grenouilleau je crois, on ainsi été traduits en justice par des associations noires.
Les groupes militants n'ont besoin de s'en prendre ni à l'histoire, ni aux historiens pour arriver à leurs fins, qui, je l'espère, n'est que d'obtenir l'égalité réelle entre les personnes ici et maintenant.