Une Vie de Moldue
Une Vie de Moldue, sorti en salles le 17 août 2022, est un véritable ovni dans le paysage cinématographique. Dans ce premier film de ce qui a été annoncé comme une nouvelle trilogie du monde des sorciers (après
Harry Potter et
Les Animaux Fantastiques), pas de potions magiques ni de duels de sortilèges mais un monde que nous connaissons bien, celui des moldus. Le concept de ce long métrage, adapté du livre fictif
Vie et Moeurs des Moldus de Grande-Bretagne, est le suivant : Teresa, sorcière de son état, prend sa caméra et va à la rencontre des moldus pour percer les mystères de leur civilisation, mal connue des sorciers britanniques repliés sur eux-mêmes.
C’est donc un documentaire qui se révèle à travers le regard curieux et bienveillant de Teresa, digne héritière de Levi-Strauss, en immersion dans la vie la plus quotidienne de moldus comme les autres. Les premiers jours, la sorcière de 32 ans manifeste un enthousiasme certain à la découverte des technologies moldues, en particulier un lecteur MP3 dont elle fait l’acquisition. Cependant, après le dépaysement initial, Teresa doit se rendre à l’évidence : « Finalement, ils sont comme nous », constate-t-elle face à la caméra à la onzième minute du film.
C’est à ce moment-là que l’aventure ethnologique bascule vers une exhibition de la banalité, une exposition impudique et triviale d’un quotidien brut. L’ennui s’installe, on a le sentiment d’avoir déjà vu les mêmes scènes cinq minutes plus tôt. On a déjà vu ce café grisâtre pris dans un mug Ikea à la pause de 10h30. On a d’ailleurs probablement le même mug dans son placard.
Une des dix-sept scènes de repas du film
A la vingt-cinquième minute, alors qu’on hésite à quitter la salle, le voyeurisme s’immisce entre l’apathie et la somnolence lorsque Teresa, après avoir englouti trois ou quatre verres d’alcool pour tromper l’ennui, filme ses voisins en pleins ébats sur le canapé à travers leur porte-fenêtre. On découvre alors un coït plan-plan, les yeux des protagonistes faisant des va-et-vient entre leur partenaire et le journal télévisé.
Au bout d’une heure, tandis qu’on calcule qu’il reste encore quatre-vingt-dix minutes de film, on est réuni avec Teresa dans ce qu’on pourrait appeler une communion des ahuris, cette dernière contemplant d’un œil hagard le plafond d’une chambre dont elle s’est déjà amusée à compter les lattes de parquet. Tiens, un papillon de nuit. Il a l’air mort.
N’ayant pas réussi à transférer sur son lecteur MP3 son CD des Bizarr’ Sisters, notre sorcière invente de nouveaux passe-temps mentaux. Elle énumère tous les mots qui se terminent en -ule : minuscule, majuscule, pustule, clavicule, virgule… funambule… renoncule… pédoncule ? Alors qu’elle s’assoupit, on soupire. Elle se retourne sur le lit et on entrevoit sa culotte, rose à pois blancs. On réalise que c’est le passage le plus intéressant depuis trente bonnes minutes et on est saisi d’un rire nerveux. Se détachant de nous-même, on s’écoute rire. « Hin hin hin ».
Teresa fait le ménage trois fois par jour pour tromper l’ennui
Un quart d’heure plus tard, une moldue prénommée Jodie a aidé Teresa à copier-coller les chansons des Bizarr’ Sisters sur son MP3. Elle comme nous passons le reste du film à écouter l’album, l’œil vitreux, une goutte de bave perlant aux commissures des lèvres.
Teresa offre un verre à Jodie pour la remercier pour son coup de main
Enfin, le générique arrive et on s’interroge : qu’est-ce qu’on vient de regarder ? Etait-ce d’un ennui mortel, ou est-on passé complètement à côté du propos du film ? Le film avait-il un propos, d’ailleurs ? Combien existe-t-il de mots en -ule dans la langue française ? Combien de choses plus intéressantes aurait-on pu faire pendant les deux heures et demie qu’on a passées dans la salle obscure ? Et surtout, que pourront contenir les deux films suivants ? A nouveau, a-t-on vraiment compris le film ? Pour répondre à cette question, il faudrait retourner le voir, et on n’en a pas le courage. Mais vous, vous pouvez y aller. Vous nous direz.