Ton témoignage m'a touchée, il est bien écrit et je m'y reconnais vachement... Française d'origine Algérienne, j'ai grandi dans une bulle toute rose dans laquelle j'ai toujours pensé que le racisme existait, mais qu'il était très rare et perpétué par certaines personnes très méchantes... en gros, dans ma petite tête : j'étais susceptible d'y être confrontée, mais vraiment si j'avais pas de bol quoi ! Mes parents je m'en ont jamais réellement parlé (je pense qu'ils n'en étaient pas conscients, mon père étant né en France et bosseur comme le tien, et ma mère tout juste arrivée d'Algérie, elle n'a pas pu anticiper ces défis que connait aujourd'hui notre génération à mon avis). Mes amis étaient surtout Français "pure souche" comme toi, et comme toi, on ne faisait pas de différence à cet âge là !
Puis l'adolescence : j'entendais parler de racisme autour de moi, mais je continuais à me voiler la face. Je pensais que si on se mélangeait avec tout le monde - j'ai grandi en banlieue parisienne, les origines et les couleurs, c'est pas ce qui manque ! - en étant ouvert d'esprit, en ne parlant pas de ses origines pour ne pas se mettre à l'écart, il n'y avait pas de raison. Bonne élève, j'étais loin des problèmes qu'avaient certains "enfants d'immigrés" autour de moi : cela se résumait à des mauvaises notes, et des soucis d'orientation scolaire. Moi, dans mon groupe de copines toutes sages, en filière Scientifique, avec mes félicitations : on ne pouvait pas me rejeter !
Puis est arrivé l'âge adulte avec son lot de désillusions. C'est là que j'ai pris conscience que je n'étais pas comme mes copines. Premièrement, en faisant de nouvelles rencontres (souvent lors de soirées par exemple), j'avais souvent droit à des questions qu'elles n'avaient pas, et auxquelles je ne savais moi-même pas répondre parfois. Questions de religion, questions de culture, questions politiques... enfin, des choses auxquelles je n'avais moi-même pas réfléchi ! Pourquoi est-ce que l'on doit sans arrêt se justifier pour tout, alors que comme tout le monde à notre âge, on ne se connaît même pas encore complètement ? J'ai vite vécu cela comme un "rituel de passage" pour être acceptée par les gens. Il fallait faire bonne figure, prouver que je n'étais pas un stéréotype de "banlieusarde maghrébine" que les gens avaient en tête, pour qu'ensuite on s'intéresse réellement à moi ! C'est là que j'ai commencé à sentir qu'au premier abord, je véhiculais une image dont je n'avais même pas conscience, à cause de mes traits, mon teint mât et mon nom.
A l'université, j'avais un groupe de copains / copines avec qui tout se passait très bien, mais qui balançaient parfois quelques remarques racistes sur d'autres personnes, avec le discours du "mais ne t'inquiète pas, toi je t'apprécie bien, tu n'es pas comme les autres" à mon égard. De quoi me mettre en rogne. A l'époque, je ne disais rien face à ce genre de situation. Je ne voulais pas être la source d'un malaise. Et ne surtout pas être la provocatrice que ces personnes pleines de préjugés pouvaient s'attendre à avoir en face d'eux... aujourd'hui, si c'était à refaire : je leur fermerais le clapet fissa !
Malheureusement, plus le temps est passé, plus j'ai découvert le monde des adultes, et plus j'ai été confrontée au racisme : quand je cherchais mon premier emploi, quand un SDF légèrement alcoolisé m'a insultée dans le train devant tout le monde, quand mon maître d'apprentissage m'a fait des remarques désobligeantes, et j'en passe.
C'est désagréable, vexant, injuste quand tu passes ton temps à essayer de prouver que tu es "comme les autres". Mais au bout d'un moment, j'ai fini par en parler à de nouvelles amies qui avaient pu vivre la même chose. Car mes amies d'enfance n'auraient jamais pu comprendre (selon moi du moins, je n'ai pas osé aborder le sujet, une sorte de honte m'en empêchait...). En découvrant ces autres filles, j'ai compris que je n'étais pas la seule. Je me suis décomplexée là-dessus. Après tout, le racisme, c'est comme pas mal d'autres défauts humains. Notre fardeau à nous, c'est ça, il faut donc le contrer, passer au-dessus et aller de l'avant. Je suis persuadée que cela finira par s'estomper, puisque dans notre beau pays, on est de plus en plus habitués au mélange des origines.
Je n'hésite plus à remettre en place une personne qui aurait un comportement raciste vis-à-vis de moi. Tout en restant calme et polie, car je m'interdis de devenir aussi stupide qu'eux. Cela me rassure moi-même : je ne serai pas ce qu'ils veulent que je sois !
Car aujourd'hui, je parle de mes origines sans complexe. J'en suis même fière. Elles ne font pas de moi une fille de tel ou tel genre. Elles font de moi ce que je suis, un point c'est tout. J'apprends la culture algérienne, tout comme j'apprends encore de jour en jour la culture française. Et tout cela ne m'empêche pas d'être comme tout le monde : le résultat de mon caractère, de mon éducation, de mon vécu, de mon entourage, de mes émotions, de mes goûts et couleurs, et plein d'autres choses encore !
Certes, il y aura encore des moments où je devrais, comme toi, me donner 2 fois plus que n'importe qui pour obtenir quelque chose. Je m'y attends, et ça ne me réjouit pas du tout, mais j'essaie d'en garder le bon côté : cela fait de moi une battante, et j'ai du mérite, c'est gratifiant ! Et aujourd'hui, j'ai 26 ans et certains de mes amis/amies d'origine française comprennent tout-à-fait les défis auxquels je fais face parfois. Cela me fait du bien : s'ils ont cette qualité, c'est que des tas d'autres personnes l'ont !
(Sowy pour la longueur de ce message, je n'avais jamais rien posté sur ce forum mais tu m'as inspirée
)