Je me suis inscrite presque spécialement pour cet article (en réalité, c'est surtout parce que c'est le dernier en date qui m'a fait réagir, que j'ai vu des réponses nettement moins stupides que sur le reste du net, mais bon) qui m'a donné envie de témoigner sur l'importance de la visibilité asexuelle&grey-A.
Je ne suis pas asexuelle, mais demisexuelle ou Grey-A comme mon pseudo l'indique. Je suis également panromantique. Ces étiquettes que je me suis collées pour faire comprendre mon expérience par rapport à la norme (qui, comme vous l'avez dit, est la source du problème) signifient que je n'éprouve que très rarement de l'attirance sexuelle pour une personne avec laquelle j'ai déjà un lien intime (non sexuel) et que je peux potentiellement tomber amoureuse de n'importe qui (homme, femme, trans, non binaire, intersexe).
Les grey-A ou demisexuel-le-s sont souvent accueilli-e-s à tort comme des prudes et sont accusé-e-s, tout comme les asexuel-le-s, de slut-shaming car les gens comprennent « Je peux ressentir du désir, mais seulement si j'ai un lien fort » comme « je ne fais l'amour que quand je suis amoureux », ce qui est une norme imposée sur le comportement sexuel des gens, surtout des femmes.
Il n'en est rien.
J'ai 23 ans et je ne suis tombée amoureuse qu'une fois dans ma vie, d'une femme. Il m'a fallu plusieurs mois pour ressentir une attirance sexuelle pour elle, ce sont avant tous ses qualités intellectuelles qui m'ont plu de manière platonique et ce n'est que quand j'ai commencé à me sentir intime (mentalement) avec elle que mon désir est né. C'était il y a 5 ans, ça a duré un peu moins d'un an et c'est comme cela que j'ai compris que je n'avais été attirée sexuellement par quelqu'un avant. J'ai aussi cru naïvement que ma sexualité « d'adulte » se révélait tardivement et que j'allais avoir de l'attirance pour d'autres personnes plus souvent. Je peux vous dire que c'est le calme plat depuis.
Quel est le problème ? Honnêtement, je le vis plutôt bien et me suis affirmée plus d'une fois auprès de ma famille (qui a tout de même tendance à penser que je leur cache mes relations, à me plaindre ou à me dire d'entrer au couvent) et, ayant essayé de me forcer à vivre une relation parce que tout le monde me disait de le faire, j'ai vite pris confiance en moi en acceptant mes désirs : être libre d'apprécier ma sexualité même si cela implique de ne la partager avec personne.
Le vrai problème, c'est que, depuis l'adolescence, j'ai été rejetée de plusieurs communautés LGBT et accusée de slut-shaming lorsque j'expliquais mon ressenti sur ma sexualité. Mes amis le savent, je suis farouchement opposée au slut-shaming et très « permissive », mais le simple fait d'avoir expliqué que je ne ressentais presque jamais de l'attirance pour les autres et que j'étais vierge a toujours suscité des réponses que je trouve désagréables :
-moqueries (prude shaming, etc.),
-fausse empathie (tristesse pour moi qui ne connait pas le plaisir, blablabla),
-attaques personnelles (« tu fais du slut-shaming », « tu te sens au-dessus des autres avec ta bonne morale », « tu t'assumes pas en tant que LGBT », « va voir un psy » et j'en passe)
-parallèles foireux avec une expérience personnelle (« moi, je suis très timide et je vis mal mon célibat », « j'ai aussi un copain qui a un problème avec le sexe », « plus tu baiseras, plus tu en auras envie. »).
Je tiens à mettre les choses au clair : les asexuels n'ont pas plus de problèmes avec le sexe que les autres et ne pas être asexuel ne garantit en rien le fait de ne pas avoir de problème avec le sexe. Je n'ai pas de problème avec le sexe, j'en avais un à l'époque où je ne savais pas que d'autres personnes vivaient la même chose que moi et où je me croyais obligée de coucher avec un inconnu pour me débloquer et devenir normale.
De même, je n'ai aucun soucis de libido et je ne suis pas dépressive. Il m'arrive régulièrement d'avoir envie de sexe, ça fluctue dans le mois et je peux avoir des envies très fortes, mais elles ne sont jamais dirigées vers quelqu'un. Étant demisexuelle et ayant fait l'expérience du désir de l'autre, je peux très clairement affirmer qu'il y a une différence entre avoir envie de sexe et avoir de quelqu'un. Par ailleurs, lors de ma tentative de me trouver quelqu'un pour m'envoyer en l'air, mon non désir des autres a été au point de me couper tout désir de sexe parce que ce n'est pas spécialement agréable ni désagréable de se toucher ou s'embrasser sans désir, c'est juste très chiant.
Les asexuel-le-s et demisexuel-le-s sont parfois mal vus dans les communautés queer et beaucoup de personnes semblent penser qu'il n'est pas important de nous donner une visibilité parce qu'on n'a « juste pas envie de baiser ». Le soucis, c'est que si nous ne subissons certainement pas la même chose que les homosexuels, nous subissons tout de même pas mal de haine et d'incompréhension dues à notre non visibilité. (Et je ne préfère pas parler des personnes qui s'approprient le terme grey-A alors qu'ils ont très facilement du désir, mais ne font pas souvent l'amour par choix). Il est inacceptable que nous soyons ridiculisés et rejetés des communautés Queer même en n'étant pas hétéroromantique parce qu'elles ne sont pas capables d'imaginer que nous cherchions à assumer notre désir faible ou absent pour les autres. Il est inacceptable de lire des propos comme ceux que vous pourrez trouver en commentaire de plusieurs articles aujourd'hui, ces blagues sur le « mariage tout seul », ces critiques de notre visibilité, ces pleurs sur notre pauvre vie sans richesse.
Si j'avais eu le choix, j'aurais eu une sexualité « normale », sans nécessairement être hétérosexuelle, car cela m'aurait évité certains rejets et insultes de la part des communautés, mais ce n'est pas le cas et je pense qu'il est important que les asexuel-le-s et grey-A deviennent visibles pour que les plus jeunes sachent que c'est possible, que ce n'est pas toujours une phase, que ce n'est pas une anomalie et qu'on peut très bien le vivre.
Après tout, on fait souvent trop de raccourcis sur les dépressions qui touchent les LGBTQIA+ en oubliant qu'elles sont trop souvent causées par une société hostile et normative.