Ce projet de loi comprend des dispositions pour lutter contre la fraude. Or la fraude est un vol et le vol est déjà puni ailleurs dans la loi. Si l'argument du sénat est que tout texte qui propose des dispositions adaptées à un type d'acte et à un domaine précis fait double emploi avec une règle d'ordre plus général et doit donc être retiré du droit, il faudrait renoncer également à mentionner le problème des fraudes, voire supprimer tout personnel formé pour les réprimer. Plus généralement, toute loi d'application spécialisée devrait être bannie. Cette loi qui porte aussi sur les actes terroristes dans les transports n'aurait alors pas lieu d'être parce que le meurtre, on sait déjà que c'est pas très bien, en fait. Je n'ai jamais fait de droit (donc corrigez moi), mais l'argument me semble très fumeux.
Si on revient aux fraudes, dans quasi tous les métros, trains, trams et bus du pays, on ne se contente pas de former un personnel initialement engagé pour des tâches de vente ou de conduite à une fonction supplémentaire de contrôle. Non, parce que ça, c'est important, donc on a des contrôleurs dédiés, avec un joli uniforme prévu pour l'occasion. A Paris, la police est même parfois sur place avec eux pour emmener au poste les resquilleurs qui ne peuvent pas prouver leur identité (ça évite que les gens donnent un faux nom et ne paient pas l'amende). Je ne comprends pas : on accepte d' embaucher des gens et de mobiliser la police, donc l'Etat, pour éviter des pertes monétaires, mais on ne se soucie pas du fait que les usagers se fassent insulter ou tripoter par des sexistes (et des racistes) ? Je trouve que les transports justifient une disposition spéciale parce que ce sont des lieux confinés, où le harcèlement est très fréquent, et où, contrairement à ce qui se passe dans la rue, on aurait des moyens d'agir et de mesurer directement les infractions.
Si les sénateurs sont en mesure de comprendre la nécessité d'un dispositif concret et adapté aux transports pour éviter que la SNCF et la RATP perdent de l'argent, qu'est ce qui leur cache la vue quand il s'agit de la liberté de circuler des citoyens et des citoyennes ?
Vous croyez que je peux écrire ça, avec moins d'ironie, à un sénateur ?
J'ai un témoignage récent si vous voulez.
Plus tôt cette année, deux mecs s'asseyent en face de moi dans le métro. Je lisais un livre, et visiblement le type en face a trouvé que j'étais pas assise de façon assez féminine : j'avais les jambes un peu écartées histoire d'être bien relax, et je portais un jean. Du coup, il écarte ses guiboles autant qu'il peut histoire d'en faire plus que moi (?!), et il commence à parler avec son pote de comment il a mis un coup de poing à sa copine qui lui manquait de respect. Honnêtement, je pense que c'était juste une fiction pour essayer de me faire peur, mais battre sa compagne ne le gênerait sans doute pas dans le principe. Son ami y allait à coup de fausses remontrances du genre "ah mais quand même, taper une femme, c'est mal" et ils ricanaient. Au début j'étais pas bien sûre d'avoir compris, donc je n'ai rien dit.
Mais après ils ont commencé à parler de moi, en disant qu'il fallait me montrer qui était le mec ici. Ils ont ajouté que j'étais certainement juive et qu'on allait m'enlever mon pantalon et ma culotte comme ci ou comme ça. Tout ça en ne s'adressant pas directement à moi. Ca a confirmé ce que je pensais depuis le départ, donc je leur ai demandé si c'était de moi qu'ils parlaient et je les ai engueulés. Et là j'ai eu l'impression d'être devant des cancres : ils riaient comme s'ils avaient passé une heure à balancer des boulettes de papier. J'ai déjà réagi aux propos et aux actes de quelqu'un dans le métro, mais d'habitude, les gens ne continent pas à se marrer à ce point quand on leur parle fort et devant tout le monde. Bref, ils m'ont demandé si j'étais "pas jeune" pour pas trouver ça drôle, et là, le ridicule m'a tué : j'ai dit "Nan je suis pas jeune !" hyper fort, alors que j'ai une tête de gamine absolue. Je ne sais pas pourquoi, je suis restée par ailleurs plutôt polie, en leur disant qu'ils manquaient de respect aux femmes, tout ça.
Ils n'ont pas arrêté de me demander si j'avais peur, s'ils avaient l'air de pervers violeurs (quand on parle comme ça, oui). Le fait est que j'étais trop en colère pour ressentir de la frayeur. Ca a donné un truc ridicule où je disais des trucs polis, énervés, décousus et absurdes, du genre : "J'ai pas peur souvent moi !" "Oui, vous êtes des pervers ! " (mot employé pour la dernière fois en ce sens au collège). Bref, ça n'allait pas dans leur sens parce qu'ils auraient voulu que je tremble d'effroi, mais ça les a bien fait marrer quand même. Quand je suis descendue à ma station, ça a donné l'impression que je voulais fuir, du coup ils ont jubilé en prétendant qu'ils allaient me suivre (Ce à quoi j'ai répondu par un bravache "Bah venez !", quand je vous dis que je suis débile).
En vrai, j'ai bien pleuré une fois rentrée chez moi, mais je pense vraiment que c'était surtout de la rage, d'avoir dû entendre des trucs aussi humilants, et surtout de ne pas avoir été crue par ces mecs quand je leur disais que je n'avais pas peur. Les types étaient tellement persuadés que je ne pouvais pas faire autre chose que me recroqueviller que j'aurais pu dire n'importe quoi pour leur montrer le contraire, ça ne passait pas. Vraiment ils ne pouvaient pas me prendre au sérieux parce que ça ne rentrait pas dans leurs cases. Ce qui est "rigolo" c'est qu'ils avaient commencé à essayer de m'effrayer en parlant de mettre un coup de poing à une femme, alors que je rentrais d'un cours de boxe.
(Par "un" coup de poing, je n'entends pas diminuer la gravité de la violence conjugale. Toute violence domestique est grave, qu'elle consiste en une pluie de coups ou en un seul. C'est juste qu'au niveau purement physique, même si une droite peut être dangereuse, il faut vraiment y aller pour blesser. La différence est dans le contexte/consentement : dans une salle de sport, tout le monde est d'accord, pas dans la rue ou à la maison, où on cherche à faire souffrir, dominer, ou "punir". -- Je ne veux pas non plus dire qu'on ne doit pas avoir peur des harceleurs ou des coups. Je suis un peu inconsciente, parce que dans un gymnase les gens sont mille fois plus gentils que dans la vraie vie).