« L'existence n'est pas quelque chose qui se laisse penser de loin : il faut que ça vous envahisse brusquement, que ça s'arrête sur vous, que ça pèse lourd sur votre c?ur comme une grosse bête immobile - ou alors il n'y a plus rien du tout. Il n'y avait plus rien du tout, j'avais les yeux vides et je m'enchantais de ma délivrance. » J-P. Sartre.
(un clin d'o3il)« Mónica m'expliqua un jour que le corps humain est un système soumis à l'entropie, autrement dit qu'il tend à fonctionner avec le moins d'énergie possible. J'en trouvais l'illustration dans ma propre dépression. Cela m'aurait tant coûté de sortir de cette situation, d'affronter mes démons et mes peurs, de m'armer de courage et de faire quelque chose par et pour moi-même, que je préférais passer tout mon temps libre à pleurer, blottie sous ma couette, aspirée vers le fond de moi-même par une houle noire de souvenirs et de pensées négatives, à boire mes propres larmes. » L. Etxebarría.
« La vie n'est pas ce que tu crois. C'est une eau que les jeunes gens laissent couler sans le savoir, entre leurs doigts ouverts. Ferme tes mains, ferme tes mains, vite. Retiens-la. Tu verras, cela deviendra une petite chose dure et simple qu'on grignote, assis au soleil. » J. Anouilh.
Ce que les parents appellent expérience n'est rien d'autre qu'une tentative couronnée de succès et conduisant souvent au cynisme, de renier tout ce qu'ils avaient éprouvé de pur, de vrai, de juste dans leur jeunesse. Eux-mêmes ne remarquent pas l'épouvantable cynisme qui réside dans ces propos constants sur "l'expérience" présentée comme le but le plus élevé de la vie. Ils remarquent "le manque d'expérience" chez leurs enfants, c'est-à-dire une forme d'inexpérience qui s'appelle pureté et loyauté. Cela les irrite. Lorsqu'ils sont irrités, ils passent leurs irritation sur les enfants. Cela s'appelle élever les enfants ; car, qu'est-ce que l'éducation sinon un effort de parents irrités pour étouffer ce qu'ils ont étouffé de meilleur en eux-mêmes ? S'ils ne sont pas irrités, ils prennent alors des airs supérieurs, supérieurs parce qu'avec leur fierté hypocrite, ils tirent vanité de leur grande expérience de la vie, exactement comme si c'était particulièrement honorable et extraordinaire de détruire le meilleur de soi-même.
ET
Il fait presque noir dans l'antichambre mais il n'allume pas. A présent il a peur de la lumière.
Mais ce qui arrive ne lui fait pas peur. Car en nous, nous portons tous l'image d'une chose terrible qui nous arrivera une fois quand il fera très sombre, l'image de quelqu'un que nous rencontrerons un soir de pluie et de grand vent, l'image de quelqu'un que nous trouverons debout derrière la porte en entrant dans une chambre. C'est pourquoi nous ne sommes pas vraiment effrayés le jour de la terrible rencontre. Car chaque soir, à la nuit tombante, nous l'avons attendu. Le terrible sentiment d'un accomplissement fatal, c'est tout ce que nous éprouvons.
Elle avait enduit son visage de crème et sa peau luisait, telle la peau d'une créature qui vient juste d'émerger de la mer ; ou peut-être avait-elle pris au sens littéral du terme les mots inscrits sur le flacon de crème - Vanishing - et se l'était-elle appliquée comme un prélude à l'invisibilité
Peut-être est-ce ma mère, songea Erlene.
Non, il n'y a pas d'objectivité possible dans un monde de salauds ! Ni science possible, ni littérature, ni art, ni amour, dans ce monde de popotins ! Il n'y a rien de vrai, tout est fabriqué, salopé ! Se pencher là-dessus avec une sérénité d'entomologiste est plus qu'une faute, c'est une lâcheté !
ET
A moi le roman du XIIème siècle ou les commentaires sur Phèdre ! A moi la vase des développements, la salade des reconstitutions, la suave diarrhée du baratin ! ... Je regarde Boivin, Salignon, Serindoux, Chennebault, spécialistes de la crotte annuelle, accumulant les certificats de bonne digestion pour obtenir une planque officielle, comme voie de garage, tout cela ne dépasse guère la hauteur des intestins...
Quant à moi, ayant encore plus mal dans le corps des autres que dans le mien, il y a longtemps que j'ai dû y renoncer
Il était une fois. Sur les bords sablonneux du grand océan Pacifique.
Un village, un endroit mystérieux. Où la lumière était dorée à la surface de l'eau. Où le ciel était d'un noir d'encre la nuit, tout clignotant d'étoiles. Où le vent était chaud et doux comme une caresse.
Où une petite fille arriva devant un Jardin enclos ! Le mur était de pierre et haut de six mètres et couvert d'une belle bougainvillée d'un rouge flamboyant. A l'intérieur du Jardin enclos on entendait des chants d'oiseaux, de la musique, une fontaine ! Et des voix inconnues, des rires.
Jamais tu ne pourras escalader ce mur, tu n'es pas assez forte ; les filles ne sont pas assez fortes ; les filles ne sont pas assez grandes ; tu as un corps délicat et fragile de poupée ; ton corps est une poupée ; fait pour être admiré et caressé par les autres ; fait pour être utilisé par les autres, pas par toi ; ton corps est un fruit appétissant fait pour que d'autres y mordent, et le savourent ; ton corps est pour les autres, pas pour toi.
La petite fille se mit à pleurer ! La petite fille avait le coeur brisé.
Alors sa bonne fée vint et lui dit : Il y a une entrée secrète au Jardin enclos !
Il y a une porte dérobée dans le mur, mais tu dois attendre comme une gentille petite fille que cette porte s'ouvre. Tu dois attendre patiemment, et tu dois attendre en silence. Tu ne dois pas frapper à la porte comme un vilain garçon. Tu ne dois pas crier ni pleurer. Tu dois gagner à ta cause le gardien de la porte - un vilain vieux gnome à la peau verte. Tu dois retenir l'attention du gardien de la porte. Tu dois t'en faire admirer. Tu dois t'en faire désirer. Et alors il t'aimera, et fera ce que tu ordonneras. Souris ! Souris, et sois heureuse ! Souris, et déshabille-toi ! Car ton Amie magique du miroir t'aidera. Car ton Amie magique du miroir est quelqu'un de très spécial. Le vilain vieux gnome à la peau verte tombera amoureux de toi, et la porte dérobée du Jardin enclos s'ouvrira pour toi, rien que pour toi, et tu entreras en riant de bonheur ; à l'intérieur du Jardin enclos il y aura des roses épanouies, des colibris et des tangaras, de la musique et une fontaine jaillissante, et tes yeux s'écarquilleront d'émerveillement, car le vilain vieux gnome à la peau verte était en réalité un prince victime d'un maléfice, et il s'agenouillera devant toi et te demandera ta main, et vous vivrez éternellement heureux dans le royaume de son Jardin ; jamais plus tu ne seras une petite fille seule et malheureuse.
Tant que tu resteras avec ton Prince dans le Jardin enclos.
Joyce Carol Oates - Blonde.
Je regarderai mon père par-dessus le bord de mon verre de vin. Je me verrai moi-même. Regardant mon père, je reconnaitrai la cruauté et la traîtrise que je porte en moi. Quand je regarderai les mains de mon père, un rouage se mettra en branle dans mon esprit, car mon père porte toujours en lui la graine de la grandeur, mais cette graine s'est étiolée à cause de la cruauté et de la traîtrise que je connais si bien, et qui - je m'en aperçois toujours trop tard - se développent aussi en moi. Mon père surprendra ce sentiment dans mon esprit, sa découverte jaillira dans ses yeux pour que je la reconnaisse, il verra la même arrière-pensée dans mon regard, et nous n'aurons pas assez de cran pour soutenir le regard de l'autre, laisser nos yeux s'affronter et tuer cette arrière-pensée qui rodera dans nos têtes.
Une autre atmosphère règnera autour de la table, dont nous ne saurons que faire, car nous la méprisons, et ce sera la honte. Nous la sentirons, elle nous blessera, mais nous n'aurons plus de mains pour la cogner ou la caresser. Nous regarderons donc ailleurs en nous observant à la dérobée. Et je sais qu'il en sera toujours ainsi, et mon père le sait aussi. Mon père continuera de remplir mon verre, et ensemble nous boirons, et sans cesse nous sentirons cette parenté qui est un ravin qu'aucun de nous ne pourra franchir.
_____ Eh bien, voilà ce qu'il dut faire. Il remonta chez lui et il tint le coup jusqu'après la soupe. Il attendit que Saucisse ait pris son tricot d'attente et que Delphine ait posé ses mains sur ses genoux. Il ouvrit, comme d'habitude, la boîte de cigares, et il sortit pour fumer.
_____Seulement, ce soir-là, il ne fumait pas un cigare : il fumait une cartouche de dynamite. Ce que Delphine et Saucisse regardèrent comme d'habitude, la petite braise, le petit fanal de voiture, c'était le grésillement de la mèche.
_____Et il y eut, au fond du jardin, l'énorme éclaboussement d'or qui éclaira la nuit pendant une seconde. C'était la tête de Langlois qui prenait, enfin, les dimensions de l'univers.
_____Qui a dit "Un roi sans divertissement et un homme plein de misères" ?
Dans Marie Chazottes nous ne trouvons pas l?abondance de sang que nous trouvons chez Ravanel (qui fut guetté), chez Delphin (qui fut tué), mais nous trouvons la qualité du sang, le vif, le feu ; je ne veux pas parler du goût. Je n?ai, comme bien vous pensez, jamais goûté le sang de personne ; et aussi bien je dois vous dire que cette histoire n?est pas l?histoire d?un homme qui buvait, suçait, ou mangeait le sang (je n?aurais pas pris la peine, à notre époque, de vous parler d?un fait aussi banal), je ne veux pas parler du goût (qui doit être simplement salé), je veux dire qu?il est facile d?imaginer, compte tenu des cheveux très noirs, de la peau très blanche, du poivre de Marie Chazottes, d?imaginer que son sang était très beau. Je dis beau. Parlons en peintre.
Il y a l?S dont la forme autant que le sifflement me rappelle, non seulement la torsion du corps près de tomber, mais la sinusoïdalité de la lame ; UI, qui vibre curieusement et s?insinue, si l?on peut dire, comme le fusement du feu ou les angles à peine mousses d?un éclair congelé ; CIDE, qui intervient enfin pour tout conlure, avec son goût acide impliquant quelque chose d?incisif et aiguisé.
Toute ma représentation de la vie en est restée marquée : le monde, plein de chausse-trapes, n?est qu?une vaste prison ou salle de chirurgie, je ne suis sur terre que pour devenir chait à médecins, chairs à canons, chair à cercueil ; comme la promesse fallacieuse de m?emmener au cirque ou de jouer à faire la cuisine, tout ce qui peut m?arriver d?agréable en attendant n?est qu?un leurre, une façon de me dorer la pilule pour me conduire, plus sûrement, à l?abattoir où, tôt ou tard, je dois être mené.
Bien qu'obligé de travailler (...), je dispose d'un certain confort ; je jouis d'une assez bonne santé, je ne manque pas d'une certaine liberté et je dois, à bien des égards, me ranger parmi ceux qu'il est convenu de nommer les "heureux de la vie".
Pourtant, il y a peu d'événements dans mon existence que je puisse me rappeler avec quelque satisfaction, j'éprouve de plus en plus nettement la sensation de me débattre dans un piège et - sans aucune exagération littéraire -, il me semble que je suis rongé.
Paula Fonss avait seulement un sourire résigné devant cette monotonie sans vie, mais celle-ci rendait Ellinor visiblement nerveuse, non pas nerveuse avec vivacité, irritation, mais d'une manière lasse et geignarde comme on peut l'être quand il a plu toute une journée et que toutes les pensées tristes semblent aussi pleuvoir en vous, ou quand on écoute le tic-tac stupidement consolateur d'une pendule alors qu'on est incurablement las de soi-même, ou que l'on regarde les fleurs de son papier-peint et que la même trame de rêves éculés se dévide malgré vous dans votre tête pour se nouer, se défaire et se renouer en une ronde sans fin, nauséeuse. Elle était physiquement affectée par ce paysage qui la conduisait sur le bord de la défaillance, et aujourd'hui ces effets se conjuguaient avec les réminiscences d'une espérance déçue, de rêves vivaces et tendres qui n'étaient plus qu'écoeurement et langueur, des rêves dont le souvenir la faisait rougir de honte et qu'elle ne pourrait cependant jamais oublier. Et tout ceci n'avait rien à voir avec cette région, le coup l'avait frappée bien loin d'ici, dans un cadre familier au bord du détroit aux eaux moirées, sous les frondaisons des hêtres au vert lumineux, et cependant chaque ondulation des collines d'un brun pâle semblait ici vouloir lui en parler et chaque maison aux volets verts en garder le secret.
C'était ce vieux chagrin des jeunes coeurs qu'elle avait rencontré sur son chemin, elle avait aimé un homme et cru être aimée en retour, et brusquement il en avait choisi une autre ; pourquoi, pourquoi donc ? que lui avait-elle fait ? en quoi avait-elle changé, n'était-elle plus la même ? et toutes ces éternelles questions qu'elle retournait sans fin. Elle n'en avait pas soufflé mot à sa mère, mais sa mère en avait compris le moindre détail et avait été tellement gentille pour elle ; mais elle aurait voulu crier devant cette gentillesse qui savait et n'aurait pas dû savoir, et cela, sa mère l'avait aussi compris, et elles étaient parties en voyage.
Tout ce voyage n'avait d'autre but que d'amener l'oubli.
Paula Fonss n'avait pas besoin d'effaroucher sa fille en scrutant son visage pour savoir où partait sa pensée ; il lui suffisait de fixer des yeux la petite main nerveuse posée à ses côtés qui se crispait impuissante sur les lattes du banc, à tout instant changeant de position tel un malade fiévreux qui ne tient pas en place sur sa couche brûlante ; rien qu'en regardant cette main, elle savait avec quelle lassitude de la vie les jeunes yeux fixaient le vide devant eux, avec quelle expression tourmentée le visage délicat frissonnait de chacun de ses traits, avec quelle pâleur maladive la souffrance faisait sallir le bleu de ses veines sous la peau transparente des tempes.
Cela lui faisait si mal de voir ainsi sa petite fille, et c'est bien volontiers qu'elle l'aurait serrée contre son coeur pour déverser sur sa tête tous les mots de consolation qu'elle aurait pu trouver ; mais elle avait la conviction qu'il y a des chagrins qui doivent mourir en secret, auxquels on doit refuser le droit de crier leurs phrases même entre une mère et sa fille, afin qu'un jour en de nouvelles circonstances, lorsque tout se trouvera rassemblé pour construire la maison exaltée du bonheur, ces phrases ne soient pas une sorte d'entrave, quelque chose qui oppresse et retienne parce que celui qui les a dites, croit les entendre chuchotées dans l'esprit d'un autre, croit les comprendre chez un autre mal comprises et déformées.
Et il y avait aussi la crainte qu'elle avait de nuire à sa fille en lui rendant la confidence trop facile, elle ne voulait pas qu'Ellinor ait à rougir d'elle-même, elle ne voulait pas, quel qu'en put être le soulagement, l'aider à surmonter l'humiliation qu'il y a à ouvrir les coins les plus secrets de son âme aux regards de quelqu'un d'autre, bien au contraire, et quoique cela rendit leurs rapports plus difficiles, elle se réjouissait de retrouver la noblesse d'âme qui était en elle, dans une certaine raideur de bon aloi chez sa jeune fille.