Bonjour,
Je voulais vous partager une lettre assez personnelle que j'ai écrit pour ma mère. Même si ça me concerne personnellement, ça pourrait parler à certaines d’entre vous.
Je ne lui ai pas encore transmise mon texte, j'appréhende sa réaction.
*Lili est ma petite sœur, son nom a été modifié.
Je voulais vous partager une lettre assez personnelle que j'ai écrit pour ma mère. Même si ça me concerne personnellement, ça pourrait parler à certaines d’entre vous.
Je ne lui ai pas encore transmise mon texte, j'appréhende sa réaction.
Maman,
Je t'écris cette lettre car il est très difficile de te parler de sujets sérieux à vive voix.
Je souhaite te parler de quelque chose qui me concerne personnellement et dont tu es le principal frein:
mon émancipation en tant que femme et l'acceptation de mon corps.
Tu as remarqué que je m'épile de moins en moins ces derniers temps et tu aimes me le faire remarquer de façon agressive régulièrement.
Quand ma puberté a commencé (à la fin de l'école primaire) mes poils ont poussé (ce qui est normal pour une jeune fille de cet âge me diras-tu). Seulement, tout le monde, y compris toi, m'a fait comprendre que ce n'était pas normal, que c'était laid, que j'étais laide...
Cette période a été particulièrement difficile pour moi : je me faisais harceler à l'école pour ma pilosité et toi, au lieu d'être un soutien et au lieu de m'apprendre à aimer mon corps tel qu'il est, tu m'as emmené chez l'esthéticienne à 12 ans (ce que je trouve trop jeune avec du recul)
pour me faire retirer ces poils et me retrouver comme avant la puberté.
Je n'ai donc jamais appris à aimer mon corps, mon corps de femme pubère. Oui, aujourd'hui j'ai 19 ans et je suis une femme.
Cependant tu continues cette sorte d'oppression sur mon corps encore aujourd'hui et tu as des remarques particulièrement blessantes (tu ne t'en rends sûrement pas compte, je pense, comme beaucoup de remarques que tu fais à Lili* et moi). Par exemple, tu m'as dit que tu ne voulais pas que je sorte comme ça sinon tu ne me considèrerais pas comme ta fille. Je ne t'en veux pas totalement pour cette réaction car tu n'es pas cent pourcent responsable. Tu n'es pas sans savoir que nous vivons dans une société faite par les hommes pour les hommes, une société qui exploite et maltraite les femmes et leur impose des dictâtes tout à fait ridicules (ne vient pas me dire que les hommes ont aussi une telle injonction à n'avoir aucun poil : aucun père ne menace de renier son fils parce qu'il ne s'épile pas, aucun homme ne se fait insulter pour une pilosité abondante). Si tu trouves ça laid c'est principalement parce que la société t'as appris à trouver ça laid et même si tu n'aimes pas, ce n'est pas une raison pour me forcer à les enlever de mon corps. C'est mon corps, pas le tien.
Je suis désolée que tu aies intégré cette misogynie qui peut te porter préjudice. Tout le monde intègre les biais discriminants de la société mais certains arrivent plus facilement à s'en déconstruire que d'autres. Seulement tu es une mère aussi, de deux jeunes femmes, alors cette misogynie intériorisée porte préjudice à Lili et moi aussi.
J'arrive à présent assez facilement à me détacher des préjugés et des dictâtes de cette société.
Malheureusement, il m'est bien plus difficile, voir impossible, de me détacher de tes paroles et de tes remarques même amères.
Tes mots me blessent bien plus que les mots de n'importe qui car tu es ma mère et que je te considère plus que tout.
Si tu m'aimes comme tu le prétends je voudrais que tu me soutiennes dans mes choix tant qu'ils n'affectent pas ma santé.
Je voudrais que tu arrêtes de m'imposer tes choix, en particulier vis à vis de mon corps.
Je ne me suis jamais épilée pour moi-même, pour me trouver belle.
Je me suis toujours épilée pour rentrer dans les normes, des normes absurdes d'un point de vue scientifique d'ailleurs (si tu n'es pas convaincue, je peux te trouver des articles qui expliquent pourquoi il est plus intelligent de garder ses poils).
Ce refus de m'épiler n'est pas un caprice, c'est une forme d'émancipation et de réappropriation de mon corps. J'en ai que faire de ce que penseront les gens dehors. J'essaie d'aimer mon enveloppe corporelle et j'aimerais que tu me soutiennes dans cette démarche au lieu de m'écraser sous un tas de remarques offensantes et d'injonctions qui ne font que baisser ma confiance en moi.
Laisse-moi m'épiler ou me raser uniquement quand j'en ai envie.
Laisse-moi disposer de mon corps comme je l'entends pour la simple et bonne raison que c'est mon corps.
Accepte-moi comme je suis, s'il te plait, afin que je puisse m'accepter également.
J'espère sincèrement que tu comprendras. Je t'aime maman.
*Lili est ma petite sœur, son nom a été modifié.
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