Je vois ce que tu veux dire, merci de développer tout ça, il est clair que le racisme est une forme de violence institutionnalisée, je suis la première à le penser/dire par ailleurs.
mamiecaro;4467885 a dit :
Le problème, c'est que tant qu'on se base sur l'idée que savoir si quelque chose est raciste, c'est un débat, et que chacun peut y apporter ses propres arguments sur un pied d'égalité et que tout le monde sera entendu uniquement sur la validité de ses arguments et pas en fonction du côté de l'oppression où il se trouve, qu'est-ce qui se passe ? Surprise, ce sont ceux dont la parole a le plus de poids dans la société qui sont entendus.
En fait je ne pense pas qu'il y a matière à débat non plus, je crois que je ne partais pas de la question "qu'est-ce qui est raciste?" mais "qu'est-ce que le racisme?". Je pense que "qu'est-ce qui est raciste?" est effectivement, comme tu le dis, exclusivement une question de sensibilité et de ressenti et qui touche donc les premiers concernés (ou les personnes qui s'identifient aux premiers concernés, par sentiment d'appartenance), et que cette question mène à une pensée générale et où le débat s'ouvre de "qu'est-ce que le racisme", dont la matière première sont effectivement les témoignages du groupe qui subi les violences racistes (à prendre comme des faits), mais où la méthode et la réflexion (la recherche des causes) sont avant tout humaines et où toute forme d'intelligence apte à penser tout ça est bonne à prendre.
Mais en fait c'est ce que je voulais dire par "argument", pour moi "je ne le ressens pas donc ça n'existe pas" n'est pas un argument (si ce n'est un argument en faveur de la violence qui nie le ressenti d'autrui
.), alors qu'un témoignage (et a fortiori de multiples témoignages) du ressenti de violence sont un argument. C'est l'exemple qui soulève le problème qui prime. C'est pour ça que j'oppose pas forcément les blancs et les noirs, parce que je pense d'une part qu'un noir peut tout à fait se fondre dans l'institutionnalisation du truc (et même ressentir la honte et le sentiment d'infériorité dont parle Franz Fanon dans
les Damnés de la Terre) et d'autres parts qu'un blanc peut connaître cette situation et prendre en compte les témoignages d'autres personnes. En somme je pense pas que ça soit nécessaire d'être le premier concerné pour que la parole ait plus de poids tant qu'on soulève le problème, même si statistiquement quand on est le premier concerné, on est souvent le premier que ça dérange, et ça explique pourquoi les groupes militants regroupent souvent surtout les premiers concernés. Et je comprends aussi la démarche d'estimer que la parole des gens "favorisé" est biaisée (même si je pense que ça dépend beaucoup trop de l'expérience personnelle pour parler en termes de "toujours" et "jamais"), et la démarche d'empowerment.
Bon en fait pour dire les choses autrement, un discours qui pense des groupes sociaux (avec positionnement oppresseur/opprimé) me paraît souvent inadapté pour parler de réalités individuelles, parce qu'on nie justement l'individu quand on pense les choses à l'échelle de groupe. Alors je ne dis pas que la pensée du racisme/sexisme/capitalisme sont des discours inintéressants, au contraire, je pense qu'on s'est suffisamment croisées pour que tu saches que ça m'intéresse beaucoup
Mais simplement que je prendrais des pincettes en me disant qu'il s'agit de discours généraux, et que notre personnalité ne se résume pas à notre appartenance (ethnique/sociale/genre/etc.); dans le cadre d'un débat, je pense qu'ils sont à garder à l'esprit bien sûr (il s'agit pas non plus de complètement les abstraire de la réalité) mais qu'il est important de garder une forme de souplesse, parce que parfois une personne issue d'un milieu favorisé
et consciente du problème peut mettre à profit le temps et les moyens qu'elle dispose en tant que favorisé à la cause qu'elle défend et peut théoriser la cause qui les touche indirectement (type Marx comme auteur du
Capital) et c'est bon à prendre à un certain moment. Après je ne veux pas
non plus dériver en syndrome du white savior, on ne peut pas émanciper une personne opprimée contre son gré sans que ça soit aussi une forme de domination, donc ultimement, au moment de l'action, la réappropriation du pouvoir (/des moyens de production) doit revenir au groupe dominé pour qu'il y ait empowerment. Après, au moment du dialogue, il me semble important d'écouter tout le monde (le discours du ressenti du groupe opprimé primant, on est d'accord, mais les arguments de tous étant à part égale s'ils viennent éclairer le problème et non le nier).
Malgré ma position (qui est sûrement due à mon individualisme en fait), j'admire les appels à l'empowerment et les mouvements comme les Black Panthers, et des personnes comme Malcolm X ou Stokely Carmichael. Donc je suis quand même sensible à tes idées.
Je comprends le danger d'étouffer les paroles/témoignages dans les discours éclairés (parce que formés) des sympathisants. Mais en même temps, j'imagine que c'est mon coté un peu Bisounours, mais je trouve les symboles d'alliance et de communautés interraciales égalitaristes (le mouvement des Freedom Riders par exemple) vraiment séduisantes; et les messages de paix, d'alliance et d'égalité main dans la main, ça m'émeut quand même.
En fait dans ma pratique perso je suis plus "team Martin Luther King" parce qu'en idéaliste, je rêve du moment où on aura dépassé les conflits et où on fera face à des individus et pas à des groupes généralisants quand on fera face à X personne. Dans la théorie je suis un peu divisée, j'entends tes arguments (et les arguments de l'empowerment par le groupe dominé) mais j'ai du mal à penser tous les rapports et toutes les causes (sociales mais aussi historiques, culturelles, politiques, religieuses, anthropologiques, psychologiques, etc. et en métropole, en périphérie, dans les lieux de rencontre entre les deux, etc.) qui interviennent à l'échelle globale et je ne sais pas à quel point il vaut mieux diffuser un message d'union et d'ouverture (auquel j'ai été éduquée, donc j'imagine que j'y suis plus sensible) ou un message de division et de prise d'armes intellectuelles ou réelles dans une logique de lutte des classe/groupes (j'y suis très hostile dans le cadre du féminisme par exemple, plus hésitante dans le cadre du racisme).
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Je reviens à un autre de tes propos rapidement (y aurait beaucoup de choses à dire, je ne propose que des suggestions parce que je ne suis pas très calée même si ce sont des questions intéressantes), mais pour Marine Le Pen, je crois que c'est très compliqué parce qu'elle fait justement appel aux sentiments d'une autre catégorie d'opprimés (les laissés pour compte sociaux, apparemment la majorité de ses électeurs sont des ouvriers ou des personnes exclus des centres de décision quoique blanches). Bref justement il y a un conflit entre deux groupes de dominés (même si les Le Pen instrumentalisent ça en se faisant passer pour des non dominants), leur peur, la violence sociale que subissent ces électeurs rend facile est transformée en violence raciste - mais aussi par exemple en rejet des élites - pour tenter de les fédérer. Justement dans cet exemple, je crois que le sentiment de frustration et de violence reçue mériterait d'être pensé et réfléchi suffisamment pour se rendre compte que l'immigration n'est pas la première menace pour ces personnes.
Et d'ailleurs, voilà, dans l'exemple qui nous préoccupe à la base, y a une mauvaise compréhension des causes globales quand les féministes nient le problème raciste.