@salvia : c'est cool quand même, parce que sur ce forum, même quand on n'est pas d'accord, on arrive à avoir des conversations posées et construites ! (Ou alors les modérateurs passent leur vie à filtrer les trolls, je sais pas !
) Mais en tout cas, je voulais commencer par dire que cette discussion est vraiment intéressante.
Je vais répondre à certains points de ton message, qu'ils me soient destinés ou pas :
Il faut bien évidemment condamner les actes violents, mais ce n'est malheureusement pas suffisant. C'est s'attaquer aux
conséquences d'une société encline à la violence contre les femmes - il faut s'attaquer aussi à la source du problème. C'est pourquoi il est également important de condamner les propos violents.
Qu'Orelsan pense mot pour mot ce qu'il a écrit n'a que peu d'importance ici. Ce n'est pas un procès d'intention, mais un procès sur la teneur de ce qu'il a mis sur la place publique. Qu'il soit dangereux ou pas personnellement n'est pas le sujet - on n'est pas dans Minority Report à se dire qu'il pourrait potentiellement frapper ou violer une femme.
On ne dit pas non plus qu'Orelsan est à lui tout seul responsable de la violence faite aux femmes, et qu'après avoir entendu ses chansons, ses fans masculins vont se dépêcher d'aller mettre une bonne raclée à leurs copines.
On dit que cela participe à un truc bien plus large, qu'on appelle la culture du viol. Je te conseille de lire, si tu ne l'as pas déjà fait, cet article
résumé-concentré du problème, ou encore
celui-ci sur des exemples dont tu as peut-être entendu parler.
En article révélateur (et pas mal déprimant, au passage), il y a aussi
ce très bon dossier sur les mythes sur le viol, et comment les idées reçues sur le viol participent à créer un climat et une culture où le viol est très fréquent et
très rarement condamné.
Oui, bien sûr, il faut condamner tout ce qui participe à cette culture du viol.
Mais évidemment, il y a condamner et condamner :
1. Condamner comme dans : faire remarquer les contenus problématiques dans les médias, et engager un débat, une critique de ces problèmes.
2. Condamner comme dans : pour les cas extrêmes d'incitation à la violence et à la haine, aller jusqu'au procès si besoin.
Entre la dictature et la condamnation d'incitations à la haine et à la violence, il y a un monde. Parce que la liberté d'expression, toute nécessaire et merveilleuse qu'elle soit, possède des limites. Ces limites, ce sont les incitations à la haine et à la violence basée sur toute forme de discrimination. C'est la loi française.
Oui, toi et moi, on a notre part de responsabilité dans la culture dans laquelle on vit. C'est pour ça qu'il est nécessaire de se poser des questions, de s'éduquer autant que faire se peut, et se remettre en question soi-même et d'accepter qu'on peut faire des erreurs. Et qu'on peut faire des conneries.
Sauf que toi et moi, notre impact sur la société est bien moindre que celui d'un Orelsan, d'une Christine Boutin ou d'un
Seth Rogen.
Ce que je comprends dans ton interrogation, c'est que tu dis qu'il ne fait que décrire une réalité, tu ne comprends pas pourquoi dire "il existe des gens qui sont cons et violents et pensent ceci" est problématique.
Mais dans un contexte où tu te mets en scène en train d'exprimer toi-même ces idées, oui, il faut être très prudent. Parce que quand
rien dans le contenu du média diffusé n'indique que tu prends des distances avec ces idées, alors ce n'est pas étonnant qu'on te les attribue.
Et dire dans une interview plus tard : "je ne le pensais pas vraiment" n'est pas suffisant. Parce qu'une personne qui entend la chanson ne va pas être directement redirigé vers cette interview.
Les deux sont nécessaires, oui. Les deux.
Ce que tu appelles "la censure", encore une fois, c'est l'application de la loi sur les incitations à la haine et la violence. Cette application de la loi n'a pas pour but d'être consensuelle et de convaincre tout le monde de son bien-fondé, mais juste de rappeler que le loi existe et doit être appliquée.
Lors de l'affaire DSK/Diallo/Banon, on a eu une libération de la parole machiste assez impressionnante. Depuis que la loi sur le mariage pour tous a été proposée, on a eu une libération et une radicalisation de la parole homophobe. Est-ce que cela veut dire pour autant qu'il n'aurait pas fallu en parler ? J'aurais plutôt tendance à penser que chaque débat de société, lorsqu'il se fait plus sonore, permet d'entendre un peu mieux les paroles de haine. Et de se rendre compte un peu mieux de l'étendue du boulot qu'il reste à faire.
Je n'ai jamais parlé de la qualité des chansons d'Orelsan. Je n'ai pas dit non plus qu'Orelsan n'est pas un artiste - je ne connais pas son travail, et je ne me permettrai pas de juger la qualité artistique de son travail.
Je disais juste que de façon globale, dans le milieu artistique, c'est effectivement difficile de mettre des limites entre expression de l'artiste et incitation à la haine, certes - mais que dans le cas des chansons qui nous intéressent, Sale Pute et Saint Valentin, la distance n'est vraiment, vraiment pas claire du tout. Surtout dans Sale Pute, avec le moment où il "laisse la parole" à la fille en question pour continuer à la démolir encore plus. Si cette chanson est censée provoquer une réflexion, la seule que je trouve, c'est ce que je disais : un mec trompé peut devenir fou de rage et violent, et la fille l'a bien cherché.
Voici un passage assez poignant du superbe documentaire de Raymon Depardon,
10ème chambre instants d'audience. On y entend le témoignage d'un homme qui a harcelé sa copine après leur rupture, et surtout celui de la fille en question, qui donne sa version des faits. Voilà le genre de réalité qu'Orelsan décrit dans sa chanson. Parce que c'est réel. Et que décrire cette réalité-là dans toute son horreur sans prendre de recul, oui, c'est problématique.