J'ai une manière un peu différente de voir la chose, étant donné qu'en Belgique, le vote n'est pas qu'un droit, mais aussi un devoir, une obligation civique. Tu ne te demandes pas si tu vas aller voter : tu DOIS aller voter, point, si t'y vas pas, tu as une amende. Ce ne sont donc pas uniquement les personnes désireuses d'aller voter qui le font, mais tout le monde. Du gars qui fraude avec le chômage au PDG qui gagne de l'or en barre (pour n'illustrer que des extrêmes économiques).
Je pense que c'est une bonne chose parce qu'on peut être sûr que la scrutin reflète l'opinion de la population. Même si les résultats ne me plaisent pas, même si je suis persuadée que bon nombre de personnes ne savent pas exactement pour qui/quoi ils votent, cela reflétera au moins leur manque d'implication. En Belgique, tu peux pas dire "ouais mais c'est parce que statistiquement, y'a que 20% de la population qui a voté que X est premier ministre". Tout le monde vote, donc le vote reflète la population. (Après, comme tout le monde s'en rend compte, il y a des coalitions qui démolissent un peu le vote, qui font qu'un gouvernement -quand gouvernement il y a- n'est jamais franchement de gauche, ou franchement de droite, ou franchement du centre, mais c'est un autre sujet).
L'ennui, c'est qu'on peut parfois prendre le vote comme une corvée. Crayonner le petit rond et puis voilà, personne ne connaît le programme politique exact, juste ce qui en ressort de façon flagrante, ce que j'appelle le côté marketing des campagnes politiques et qui ne donne pas spécialement une image réaliste de la situation. Et je crois, malheureusement, qu'à 16 ans, c'est surtout ce côté-là qu'on remarque. En Belgique, à l'exception d'une montée fabuleuse des partis d'extrême-droite néerlandophone, tant pis si la population vote n'importe quoi : les coalitions feront qu'un gouvernement sera toujours modéré, et le cordon sanitaire tacite évite une montée en puissance des partis extrémistes. En Belgique, le vote sera reflété sur le choix du premier ministre, éventuellement sur l'opposition (éventuellement, j'insiste), mais quoi qu'il en soit, le gouvernement sera modéré.
Mais en France, ce n'est pas le cas. Les voix viennent de personnes désireuses d'aller voter, donc a priori informées (a priori), et le vote compte. Si la France vote à droite, elle aura un gouvernement de droite. Si elle vote à gauche, elle aura un gouvernement de gauche. Vous êtes beaucoup moins mitigés que mon plat pays. Traduction : votre vote a une réelle implication.
D'un côté c'est bien, c'est ce que j'appelle de la démocratie pure et dure, et d'un côté, ça peut mener à des dérives importantes (montée des partis extrémistes, pour ne citer que la plus courante ; je tiens à préciser que lorsque je parle d'extrémisme, je pense aussi à l'extrême-gauche, qu'on oublie souvent, et qui ne se manifeste pas que sous forme de communisme, branche politique que l'on estime trop souvent éteinte -selon moi). Je crois que donner le droit de votes aux plus jeunes (ceux de 16 ans donc) peut donner naissance à des gouvernements qu'ils ne maîtriseront plus. On n'est pas toujours très lucide à 16 ans, on voit surtout les données sociales, on oublie les données économiques. On oublie que social et économie sont bien évidemment liés. On oublie que si on donne de l'argent pour Y, on va en perdre pour X, qui ne va plus pouvoir générer l'argent qu'on donnait à Y ou à Z, et la boucle est bouclée.
Je pense qu'à 16 ans, on est très sensible et très lucide pour certaines choses, et moins pour d'autres. J'crois qu'il est utile de sensibiliser davantage les jeunes à la politique, sans les prendre pour des imbéciles immatures. J'ai tendance à croire qu'on devient intelligent et mature quand on s'adresse à vous comme à une personne intelligente et mature, et non comme à un enfant de trois ans (raison pour laquelle je crois aussi qu'il faut parler à un enfant de trois ans comme s'il avait un cerveau mais c'est un autre sujet). Mais lancer maintenant, comme ça, tout de go, le droit de vote aux plus jeunes, je pense que ça va faire beaucoup de dégâts.
(Parole d'une fille qui a 17 ans, et qui peut donc également manquer de lucidité, amen.)
(Et si tu m'avais proposé de voter à 16 ans, je n'aurais pas voté. J'écoutais pourtant La Première tous les matins, je lisais Le Vif / L'Express, je n'étais donc pas complètement une oie ignorante ; mais si j'avais la capacité d'analyser plus ou moins une situation politique et d'avoir un avis dessus, je n'aurais pas estimé avoir assez de recul, assez de connaissances sur la vie. Je pouvais certes confronter les propos des politiciens, je pouvais voir vaguement ce qu'allait engendrer la libéralisation du marché de l'énergie, mais j'étais incapable de traduire tout ça concrètement, sur la facture qu'on recevait à la maison. La politique théorique, c'est bien, mais ce n'est pas tout. La grande échelle, l'économie nationale, c'est bien, mais ce n'est pas tout. Il y a aussi le quotidien, payer les factures, aller à l'hôpital quand il faut. Et ça, non, je maîtrisais très peu.)