Hu, je me suis régalée moi avec tous ces souvenirs d'enfance. C'est drôle comme on en apprend, sur Treize et sur Naïve, pour ma part, ça m'a surprise et émue en même temps.
De mon côté j'ai eu une enfance mouvementée. Papa et maman camés; aller-retour incessants entre Dijon - Genève - Le sud de la France. Papa qui n'est pas là parce qu'il est en cure de désintox. Puis maman qui le quitte. Puis qui revient. Plus de sous pour faire vraiment à manger. Procès entre les familles respectives. Puis Paris. Papa qui a arrêté l'héroïne mais qui boit beaucoup. Les cris, les hurlements, les soirs où il m'emmenait dans les bars et où j'avais peur que ma maman me gronde parce que j'avais pas terminé mes devoirs pour le lendemain; papa à l'hopital, maman à l'hopital, ma trouille de devoir m'occuper toute seule de mon frère; j'ai six ans, lui deux. Divorce de mes parents; ma mère vient pleurer contre mon lit. J'ai sept ans. La grande soeur de Ninon qui me répète que je grosse, tous les jours, à chaque fois que je vais chez elle. Les gens qui disent que je ressemble à un cochon, à une giraffe. Entrée en sixième, je découvre qu'un ciseau peut faire de profondes entailles sur la peau. Je suis de plus en plus moche; on me le fait bien comprendre. Déménagement en cité. Je n'invite plus de copines à la maison parce que j'ai honte. On voit moins mon père; il ne boit plus, il avale juste des tonnes de cachets. La famille a honte, quand on vient en vacances ils nous regardent de travers. Je ne suis pas jolie. On me le dit gentillement. Mes cousines sont belles, elles ont beaucoup d'argent, elles sont bronzés, elles passent leurs vacances en Espagne, je les aime bien même si elles se moquent un peu de moi, moi aussi je me moque un peu de moi. Déménagement dans le Sud de la France. Ma carapace est solide. C'est la délivrance.
A côté de ça, pourtant, j'ai des souvenirs merveilleux. De quand je prenais mon pot pour faire caca sur l'escalier en regardant les images des livres. De ma chambre avec vue sur les toits. Des copains de mon père qui me chatouillent. De ma mère qui m'enferme avec elle dans la salle de bains quand elle développe plein de photos. Des souvenirs de vacances aux bords de la mer aussi. D'autres souvenirs encore, dans ma chambre bleue, je me suis construit une cabane avec une couverture, et j'ai fais une pile de livres à lire pour gagner un concour de lecture. Je suis chez Ninon tous les Mardis, on regarde Melrose Place, on fait des potions en mélangeant des épices, on fait des parfums aussi. Je fais de la danse sur glace j'adore ça; je veux faire de la danse classique mais on me dit de faire du théâtre, alors je joue, inlassablement, je fais le crocodile, la sorcière, le maitresse d'école, la cambrioleuse, l'amoureuse.
Chez mes grands parents je me fais toute petite; je ne veux pas déranger, je sens bien que je ne suis pas à ma place. Je passe des heures assise dans un carton à m'inventer des histoires. Je me dis qu'assise dans un carton je prends moins de place que n'importe qui.
Mes parents sont cultivés. Ma mère m'emmène voir plein d'expositions, j'ai sept ans et j'ai vu Matisse, Monet, Picasso, Turneur, Signac, Renoir, Corot. Mon père aime la musique, chez nous on chante Brassens, Ferré, les Cure, les Beatles, Bach.
Ma mère bricole plein de choses. Des maisons de poupées, des déguisements incroyables, des calendriers avec des étoiles, je l'admire, moi je ne sais pas découper droit, elle dit que je ne suis pas soigneuse.
Je veux devenir actrice, mon papa me dit qu'il faut être belle pour ça, et avoir du talent aussi. Je pleure beaucoup, j'abandonne ce rêve, brisé à nouveau quelques années plus tard par le professeur de théâtre du Conservatoire d'Art dramatique. Alors je me rattrape, à l'école j'excelle; partout. Je vois enfin de la fierté dans les yeux de mon père. Il dit "Continues comme ça", alors je continue, toujours.
Je crois que ça ressemble à ça mon enfance, c'est ou tout noir ou tout blanc, on ne connait pas les nuances de gris chez nous, pas faute d'avoir vécu dix ans sous le ciel parisien pourtant.