Et si nous parlions d'Histoire ?

11 Octobre 2014
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Versailles
Très bonne idée de topic les filles :d
Je suis historienne de formation, future prof d'histoire géo et même si je m’intéresse à toutes les périodes j'avoue avoir une préférence pour l'époque Moderne et plus particulièrement la période qui s'étend des guerres de religions à la Révolution Française (et donc qui concerne l'Europe de l'époque).

Je suis vraiment époustouflée par ton travail @Ellyse, je m'attelle à la lecture dès que possible :)

@Eschile Je me permets de répondre mais je te conseille vivement les Berstein et Milza :fleur:
 
16 Juin 2015
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Comment ai-je pu passer à côté de ce topic :halp:

Moi aussi, tout comme vous, je suis passionnée d'Histoire ! Alors je vais suivre ce topic de près, en espérant qu'il ne soit pas complètement à l'abandon :halp:
 
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Elorwen

Guest
Comment ai-je pu passer à côté de ce topic :halp:

Moi aussi, tout comme vous, je suis passionnée d'Histoire ! Alors je vais suivre ce topic de près, en espérant qu'il ne soit pas complètement à l'abandon :halp:

Ce sujet ne mourra pas. En tout cas pas tant que je serais vivante. Si tu souhaites apporté une pierre à l'édifice ne te fait pas prier fait juste attention à ton dos.

Oui ce sujet est créer avec de la terre cuite, des pierres, du ciment, de la chaume, d'ardoises et de tuiles bref c'est un peu le bazar. Je ne trouve plus de place pour les matériaux que l'on a.

Bon, plus sérieusement je trouve dommage que ce sujet n'est pas été partagé sur le sujet des étudiant•e•s en Histoire ça pourrait les intéressé•e•s. Pour ma part quand j'ai créé le sujet le second était invisible. Je pense que je posterais dessus mais je ne sens pas légitime étant donné que je ne suis pas une étudiante. Bref.
 
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Réactions : Sol Invictus
16 Juin 2015
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Même si tu n'es pas étudiante, ce n'est pas pour ça que ça n'intéressera pas celles qui le sont ! :d Sur madz au moins, on peut être sûre de ne pas être prises de haut :cretin:
Au contraire, je pense même que s'il y a des étudiantes en Histoire qui viennent, ça sera encore plus enrichissant puisqu'elles auront sans doute chacune une période favorite à partager !
Personnellement j'adore la renaissance (italienne et française), l'histoire de la monarchie et la révolution française, alors j'adorerai que quelqu'un qui en sache un max partage tout ça :dowant:
 
E

Elorwen

Guest
Je partagerais le sujet sur leur topic dans quelques jours :) @Eiden !

En attendant je vous laisse de la lecture (cf. post qui suit).
 
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Réactions : Sol Invictus et Eiden
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Elorwen

Guest
@Eschile; @Astyana; @Innocente

Ce qui va suivre n'est pas de moi !!!

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L'Article de Bonnie G. Smith
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Jusqu’à une époque récente la recherche occidentale sur l’histoire des femmes s’est presque exclusivement intéressée à l’Europe et aux États-Unis. L’histoire des États-nations a servi de cadre aux innombrables découvertes des chercheurs, dont il ne s’agit pas de minorer l’importance. Mais aujourd’hui, l’histoire des femmes s’est enrichie d’autres dimensions d’analyse, notamment du concept de genre et d’une ouverture sur le monde. Cette évolution, qui s’est appuyée sur des idées issues de l’anthropologie et de la théorie du système-monde, fait surgir de nouveaux sujets d’étude, tandis que la prise en compte du genre et de la sexualité dérange certains lieux communs de l’histoire mondiale.

Origines intellectuelles et contextes d’émergence

La capacité de l’homme à participer intelligemment à l’évolution de son propre système dépend de son aptitude à en percevoir l’ensemble

Écrivait Immanuel Wallerstein dans l’une de ses premières œuvres-clés sur le système-monde dominé par l’Europe. L’idée d’un système-monde capitaliste produisant de l’inégalité venait notamment des militants et des intellectuels des sociétés postcoloniales, dont les regards sur la domination européenne ont contribué à faire naître l’étude de la dépendance et du développement inégal dans le monde, conséquences d’un système mondial interconnecté fondé sur le capitalisme occidental.

L’interconnexion devint un leitmotiv parmi un petit groupe de spécialistes de l’histoire mondiale, qui l’étudia principalement sous l’angle de comparaisons entre régions développées et sous-développées du monde. L’interconnexion, comprenant le commerce et les guerres, avait des conséquences mesurables. La démarche sociologique de Wallerstein dominait la méthodologie de ces historiens : analyser en détail de petites sections du monde et comparer certains aspects de la production, des orientations politiques et de la qualité de vie. L’histoire globale était en train de naître : elle était centrée principalement sur l’étude des civilisations et privilégiait une démarche comparative. La majorité des travaux traitait des sociétés non-occidentales, puisque l’on estimait que les États-Unis et l’Europe avaient reçu une attention disproportionnée. En alliant micro et macroanalyses, l’histoire globale dépassait la veine romantique de pionniers de l’histoire comparative comme Johann Gottfried Herder et Arnold Toynbee.

La méthode comparative n’était cependant guère nouvelle chez les auteures féministes et s’inscrivait dans une tradition aussi riche que celle des travaux sur « l’essor et la chute des civilisations ». Les inégalités évidentes entre les sexes avaient en effet amené les spécialistes de la condition des femmes à chercher dans le monde des preuves que l’oppression des femmes était une condition universelle ou qu’il existait des sociétés où leur statut était meilleur. En 1835, par exemple, l’auteure américaine Lydia Maria Child publiait son History of the Condition of Women (1835) – un ouvrage très riche sur la vie des femmes, privilégiées comme pauvres, dans le monde entier. Quelques années auparavant (1831), une lettrée chinoise, Wanyan Yun Zhu, avait publié Langui baolu (Precious Records from the Maidens’ Chambers), une histoire des femmes chinoises de toutes conditions. L’auteure se fondait en partie sur sa collection de près de trois mille poétesses, publiant la même année une anthologie annotée de leurs œuvres intitulée Correct Beginnings, éditée avec l’aide de ses trois petites-filles. À mesure que les lecteurs envoyaient de nouveaux poèmes à la famille, les petites-filles produisirent de nouveaux volumes, Correct Beginnings, Continued. Wanyan et Child étaient des comparatistes précoces, portant un regard moins théorique qu’empirique sur l’inégale diversité des évolutions. En Occident, les comparaisons abondaient dans les travaux sur les femmes écrits au xixe et au début du xxe siècle, mais plus dans une optique féministe que dans le cadre de grandioses théories de l’histoire comme chez Wallerstein.

À la fin du xxe siècle, un changement d’orientation majeur se produit : les historiens se détournent de l’histoire des civilisations et des démarches comparatives au profit d’une nouvelle histoire mondiale centrée sur les mouvements globaux et l’interconnexion réelle des habitants du monde entier. Les femmes et l’analyse des questions de genre sont d’abord largement absentes de ces travaux, un spécialiste de l’histoire mondiale affirmant même il y a une quinzaine d’années (sur le mode du regret) qu’elles n’y avaient pas leur place : cette histoire s’intéressait au mouvement, alors que les femmes restaient à la maison pour s’occuper des enfants, de la nourriture et des vêtements !

Mais à l’insu de ces gardiens de la tradition, la recherche sur les femmes impliquées dans des processus globaux se développait, devançant même les spécialistes de l’histoire mondiale. Dans les années 1980, les travaux d’anthropologues, d’économistes et de démographes aident les spécialistes des femmes à mieux prendre conscience des transformations de la production à l’échelle mondiale. L’étude de Maria Patricia Fernandez-Kelly sur les femmes dans l’industrie électronique, par exemple, attire l’attention sur les activités off-shore des industriels japonais et taïwanais, et en particulier sur leur recours aux femmes (coréennes notamment) pour réduire les coûts. D’autres chercheurs décident d’étudier le mouvement des entreprises d’une zone de production à bas coût à une autre, et les conséquences pour celles et ceux qui se retrouvent soudain sans emploi ou, au contraire, recrutés. Des études s’intéressent au travail à domicile de femmes du monde entier, qui fabriquent des chaussures de sport ou des sacs à main, par exemple, pour des multinationales.

Un nouveau militantisme politique se préoccupe des conditions de travail sur ces chaînes de montage mondialisées et trouve un écho mondial. En Corée du Sud, la mort d’une jeune gréviste dans les années 1970 galvanise les femmes et les autres ouvriers qui protestent contre la politique d’incitation à l’implantation d’entreprises étrangères, quel qu’en soit le prix à payer par les Coréens eux-mêmes. Organisant des grèves et d’autres formes de protestations, ces nouveaux militants jouent un rôle décisif dans la chute de la dictature sud-coréenne. Dans de nombreux pays, les femmes s’engagent d’elles-mêmes pour protester contre les conditions de travail dans les usines de la mondialisation, faisant naître des mouvements de femmes globaux.

Les chercheurs tirent un bilan partagé de ce qu’on appelle la restructuration de la main d’œuvre dans un marché du travail mondialisé. Les économistes trouvent par exemple que la fertilité décline et que le niveau d’éducation augmente chez les ouvrières des multinationales. Ces femmes reconnaissent elles-mêmes les bénéfices qu’elles en tirent en adoptant un mode de vie urbain, en élargissant leur cercle amical et en pourvoyant aux besoins de leur famille, souvent réduite à un niveau de vie minimum. Elles évoquent avec satisfaction leur apprentissage d’autres langues par le simple fait d’avoir à lire des modes d’emploi en anglais, français ou espagnol. À l’inverse, ces mêmes femmes, capables d’énumérer des avantages, dévoilent aussi les contraintes imposées par leur hiérarchie et leurs conditions de travail dangereuses. Une nourriture pauvre, une extrême fatigue, une couverture médicale insuffisante et le risque d’être licenciées brutalement pour des fautes mineures empoisonnent leur existence d’ouvrières d’usine.

La prise de conscience des conditions actuelles de la mondialisation a ouvert de nouvelles perspectives aux historiens et les recherches sur les femmes dans l’histoire mondiale se sont multipliées. Les réunions régulières de féministes dans le monde et la multiplication des conférences internationales contribuent dans une certaine mesure à l’histoire de l’engagement des femmes dans les mouvements transnationaux et les ONG. Les chercheur-e-s mettent en lumière les réseaux internationaux de militantes du xixe et du début du xxe siècle. Même si les féministes occidentales dominaient alors l’organisation des réunions, la participation était véritablement mondiale. On découvre aussi que les femmes ont internationalisé d’autres causes, telles que le pacifisme et la contraception il y a un siècle. Les femmes ont joué un rôle important dans ces deux mouvements et lorsque les questions environnementales sont devenues pressantes, on s’est mis à étudier leur rôle moteur, non seulement dans les mouvements de défense des droits des peuples indigènes à la propriété agricole et à l’accès aux ressources naturelles, mais aussi dans les luttes pour la préservation et la réhabilitation de l’environnement. L’écoféminisme est à l’origine d’une prise de conscience et d’un militantisme efficaces à l’échelle mondiale.

L’histoire des femmes montre en fait que depuis des siècles elles s’inspirent des événements survenus dans d’autres pays pour stimuler leur imagination politique et leur sensibilité culturelle. L’horizon des possibles s’est enrichi des innombrables exemples de pièges à éviter dans les actions et le militantisme quotidiens. Ces informations furent parfois relayées par des voyageuses qui décrivaient et commentaient volontiers la condition des femmes. Avec l’essor de l’histoire mondiale, il est apparu aussi que les femmes se copiaient d’un pays à l’autre, qu’il s’agisse de style vestimentaire, de cuisine, de manières d’élever les enfants ou de pensée politique. La direction des influences n’est pas systématique et, comme le collectif Modern Girl le montre et comme nous le savons d’après les tentatives pour cuire le thé comme un légume lorsqu’il fut introduit en Occident au xviie siècle, les préoccupations et les savoir-faire locaux déterminent la réception et l’utilisation du savoir global. Les femmes de la campagne peuvent utiliser des produits et imiter des images de la mondialisation de manière spécifique.

Les recherches en sciences sociales ont aussi montré la dimension cachée de la participation des femmes (et des hommes) à l’histoire mondiale. La résistance contre la chaîne de montage mondialisée existe depuis des siècles et a souvent été replacée dans le contexte des luttes locales contre les conditions de travail en usine. Mais aussi pertinents que fussent les critères locaux ayant poussé les ouvriers mexicains de l’industrie automobile à protester contre la « féminisation » de leur travail dans les années 1970, les conditions contre lesquelles ils s’élevaient résultaient de forces à l’œuvre partout dans le monde. Pour remonter à des liens encore plus invisibles, la Route de la soie est peuplée de moines, de marchands, d’aubergistes, de traducteurs et d’autres acteurs masculins dans les livres d’histoire. On a ignoré jusqu’à récemment les femmes qui œuvraient dans les coulisses, fabriquaient de la soie ou d’autres produits, ou écrivaient de la poésie déplorant l’absence de leurs époux marchands. Tout montre que l’histoire mondiale, au même titre que les histoires nationales, a eu du mal à voir les femmes comme actrices de l’histoire. L’un des exemples les plus frappants, et qui ouvre toutes sortes de perspectives, est la consommation par les femmes de produits issus de la mondialisation au cours des derniers siècles : potirons, ananas, parapluies ou chintz, par exemple.

Esclavages et migrations

L’effort pour retrouver les femmes dans les processus historiques de mondialisation est particulièrement frappant dans le domaine du travail et du développement de l’économie mondiale. En tant que système global, l’esclavage a fait l’objet d’études détaillées allant du commerce des esclaves en Asie et en Afrique aux caractéristiques dramatiques de la capture, du transport et de la vie sur les plantations et dans les mines. Les conditions de l’asservissement des femmes varièrent selon les lieux, mais la demande de services sexuels fut une caractéristique générale, qui prit souvent la forme du viol dans le système atlantique. Impliquant des migrations, le recours aux engagés fut un choix économique répandu, et a suscité des comparaisons avec l’esclavage. L’asservissement de femmes de groupes ethniques et de régions différents pour servir de domestiques ou de partenaires sexuelles se retrouve à l’échelle globale et l’étude historique de cette forme d’esclavage a produit d’importantes comparaisons. Les perspectives comme les souffrances des esclaves dans les migrations globales sont de mieux en mieux connues mais l’asservissement des femmes africaines dans la traite atlantique reste le sujet le plus étudié.

Les migrations forcées des esclaves et les migrations en général sont de plus en plus vues comme des clés pour comprendre le rôle des femmes dans l’histoire mondiale, ajoutant de nouvelles strates à l’expérience féminine. Le travail des femmes incluait notamment ce qu’on a appelé « les migrations de subsistance », le déplacement de la campagne vers la ville, d’une région à une autre, le franchissement des mers, pour survivre économiquement. Mais leur invisibilité dans les archives rend difficile l’histoire de leurs migrations. Les femmes voyageaient sous le nom de leur époux ou n’étaient pas considérées comme des sujets politiques par les autorités consulaires. Plus récemment, la clandestinité a empêché que l’expérience des migrantes soit prise en compte, décrite et analysée. Les confrontations avec l’État sont souvent les seules occasions qui amènent ces femmes à la lumière. Décrire ces migrations toujours plus nombreuses requiert donc, comme le montre Julia Clancy-Smith, une bonne connaissance du contexte général et transnational ainsi qu’une grande familiarité avec les espaces locaux et les réseaux de proximité. Il faut allier l’étude des archives de plusieurs pays et régions et une compréhension ethnographique des différents lieux à une connaissance de femmes individuelles et de leurs micro-histoires.

Les migrations ont partie liée avec le racisme. La période d’expansion européenne, japonaise et américaine s’est accompagnée de la mise en esclavage des femmes. Dans le cas des Africaines, ce processus s’est accompagné de viols, justifiés notamment par leur supposée hypersexualité. Les descriptions souvent obscènes de leurs attributs sexuels et maternels (seins, fesses, sexe) allaient de pair avec l’idée que l’accouchement était pour elles aussi indolore que pour des animaux. Située au bas de l’échelle de l’évolution, elles n’étaient censées souffrir ni de la chaleur, ni des tâches harassantes. Mais le racisme opère de multiples manières. Dans le cas des Maoris de Nouvelle-Zélande, dont la vie et les moyens de subsistance avaient été bouleversés par les migrations des Anglais et d’autres, le racisme au xxe siècle visa non les descendants d’Européens, mais les Chinois qui employaient des femmes maories. Les hommes maoris craignaient que ces « types d’hommes considéréscommeinférieurs » ne séduisent les Maories et ne polluent leur race. Les dirigeants maoris réussirent en fait à éviter le métissage par des lois.

Les migrations des xxe et xxie siècles ont généré de nombreux autres effets racistes et les régions concernées peuvent être immenses. Après la Première Guerre mondiale, des soldats africains survivants, qui avaient été envoyés au front, épousèrent des femmes européennes. En période de crise économique, dans l’immédiat après-guerre puis à la fin des années 1920, beaucoup de ces vétérans cherchèrent à rentrer en Afrique de l’Ouest avec leur épouse blanche. Le gouvernement britannique interdit la migration de ces épouses au nom de la conviction raciste que des femmes blanches ne devaient de toute façon pas être mariées à des hommes noirs. Les familles furent contraintes de se séparer ou d’endurer des conditions économiques difficiles. La situation des femmes blanches non britanniques n’était guère meilleure et fut elle aussi marquée par des politiques racistes. En Afrique, les maladies, le colonialisme, la décolonisation et les génocides, entre autres facteurs, ont provoqué des diasporas, souvent composées de femmes fuyant la violence tandis que les hommes combattent et luttent.

Les migrations peuvent aussi être motivées par la recherche d’une éducation et d’une formation meilleures. La militante chinoise Qiu Jin émigra au Japon, comme d’autres Chinoises, parce que l’éducation pour les femmes y était plus poussée au tournant du xxe siècle. Au même moment, une artiste japonaise se rendait en Russie pour étudier la peinture des icônes, tandis que des Indiennes allaient étudier dans des universités pour femmes en Angleterre. Les femmes occidentales ont voyagé dans les universités du monde entier, tout comme certains ouvrages, d’Ibsen à Mill, du Râmâyana au Dit du Genji, qui touchèrent un public global intéressé par la question des femmes.

Les religions, elles aussi, circulent, affectant la spiritualité des femmes et leur offrant d’autres chances de voyager, de croître spirituellement et de s’engager. Les historiens ont souligné à la fois les contraintes que la religion impose aux femmes et la manière dont elle peut les rendre plus fortes. Les principes du taoïsme et du bouddhisme, par exemple, ont permis à des femmes de s’affirmer, tant sur le plan théologique que par la pratique religieuse. L’évolution globale des religions, même au sein des empires, a enrichi la spiritualité des femmes. La sœur Juana Inés de la Cruz, née en dehors des liens du mariage en Nouvelle-Espagne (le Mexique colonial), était une religieuse cultivée dont la passion pour le savoir sembla défier les dirigeants coloniaux de la hiérarchie catholique. La censure exercée contre elle par l’Église catholique, qui la poussa à cesser d’écrire, illustre la capacité d’une religion globale à interférer de loin dans la lutte des femmes pour la connaissance.

Pour d’autres, l’accueil d’une religion ouvre de nouvelles perspectives. Au début des temps modernes, près des rives de la Méditerranée, les chrétiennes pouvaient se convertir à l’islam pour échapper légalement à la menace de leur mari violent. La participation au pèlerinage à La Mecque est le moment le plus important dans la vie d’une femme musulmane. Économiser pour le hajj, surtout pour celles appartenant aux catégories les plus pauvres, demandait des sacrifices, mais qui en valaient la peine. Les Africaines qui se rendaient en pèlerinage à La Mecque depuis le Niger, par exemple, en tiraient un bénéfice non seulement spirituel mais social au retour puisqu’elles pouvaient revendiquer une égalité avec les hommes dans l’islam17. Des influences culturelles se transmirent de l’Arabie Saoudite au Niger et cette relation a beaucoup influencé l’identité des femmes africaines, même si elles étaient souvent ouvertes à une inflexion locale de leurs croyances. Parallèlement, les missionnaires transnationales bénéficiaient de nombreuses possibilités – enseigner, faire du prosélytisme, diriger des institutions – qui leur auraient été refusées dans le monde séculier.

Histoire impériale / histoire mondiale

L’histoire impériale fournit un autre exemple du rôle des femmes dans l’histoire mondiale et en est l’un des aspects les plus étudiés actuellement. Les conquêtes et les victoires ont affecté la vie quotidienne des femmes dans le passé. Celles-ci ont eu d’étroites relations avec les conquérants voire joué elles-mêmes le rôle de conquérantes. La mère de Tamerlan, le chef mongol, facilita son accession au pouvoir concrètement, mais aussi en incarnant une image de l’injustice assez puissante pour le pousser à l’action. Les femmes ont traversé seules des frontières pour créer des empires, gagner de l’argent, avoir accès à une main d’œuvre plus nombreuse ou à de nouvelles ressources, y compris des terres. Même une femme qui échoua comme l’impératrice douairière Cixi (1835-1908 ), en Chine, s’efforça de préserver les vastes conquêtes occidentales réalisées un siècle et demi plus tôt lorsqu’elle suivit sa désastreuse politique. Le mariage des femmes au-delà des frontières permettait aussi de cimenter des alliances et de préserver des royaumes et des nations de conquêtes impérialistes directes. Les Mongols excellaient dans les relations diplomatiques conduisant à des mariages avec des princesses étrangères. L’importance des femmes pour les empires se mesure aux nombreuses manières dont elles les servent et s’en servent.

Les empires ont eux-mêmes contribué à la construction du genre en valorisant les qualités attribuées aux hommes en tant que bons guerriers et héros conquérants. Les ressources ont afflué en leur faveur : nourriture, vêtements et, dans la période contemporaine, indemnités pour anciens combattants versées par l’État-providence. Dans les colonies britanniques, les hommes conquis étaient enrôlés pour intégrer la « race martiale ». Les nations modernes valorisent le sacrifice des hommes dans les guerres et les conquêtes étrangères, entreprises au nom de la protection des membres les plus faibles de la famille, femmes et bien-aimées restées au pays notamment. Ce schéma s’est reproduit lorsque des nations indépendantes et impériales comme celles de l’Europe ont servi de modèle pour la répartition moderne des rôles sexués des citoyens, comme le montre la redéfinition du genre dans l’Iran du xixe siècle. Sous la dynastie Qâjâr, les contacts avec l’Europe conduisirent à privilégier une stricte hétéronormativité. Les empires ont ainsi contribué directement et indirectement au dimorphisme du genre, surtout aux époques – xixe et xxe siècles notamment – où celui-ci était menacé par les revendications des femmes pour l’égalité et leur présence croissante dans la sphère publique.

Les femmes se sont adaptées de multiples manières aux envahisseurs impériaux. Au Mozambique, la scarification était une façon d’affirmer leur appartenance de sexe. Une peau au grain non uniforme était un élément érotique dans leurs relations avec les hommes. Mais lorsque la région passa sous la domination des Blancs, la scarification devint un symbole de révolte, le signe d’une fierté associée à la défensedes traditions. Une adaptation similaire eut lieu à Nairobi, où la domination impériale força les hommes à migrer vers les villes, les plantations et les régions minières. Les femmes offrirent aux hommes des abris, de la nourriture et un bien-être domestique en plus des services sexuels. Une historienne a expliqué que sous le joug impérial, les femmes avaient pour nouvelle mission de procurer aux hommes « la douceur du foyer ». Les courtisanes de la ville indienne deLucknow, après l’ère moghole, s’adaptèrent à l’empire moderne et s’enrichirent en exploitant intelligemment les conditions sociales et politiques. Les femmes ont aussi fait partie des résistants tenaces à la domination impériale, comme le montrent d’innombrables exemples, au premier rang desquels la lutte des femmes Ibo au Nigéria dans les années 1920.

La proportion élevée d’hommes par rapport aux femmes originaires des puissances impériales dans les colonies à l’époque moderne a répandu la pratique du concubinage et du mariage interethnique, jusqu’au déclin des empires. Au xvie siècle, la Malinche, mère du fils de Cortes, Martin, fut une célèbre interprète et intermédiaire mais il en existait des dizaines de milliers comme elle. Au xviiie siècle, les Indiennes en vue épousaient des membres de la British East India Company. Comme la Malinche, les femmes en Inde jouèrent un rôle important dans la réussite des hommes auprès des cours royales et dans les affaires en général. En raison des préjudices contre les mariages mixtes chez les populations locales, les enfants de tels mariages avaient parfois intérêt à partir vivre en métropole, comme ce fut le cas pour plusieurs grandes familles anglo-indiennes de l’époque. Les enfants métis dans l’Indonésie néerlandaise encouraient aussi des discriminations à tous les niveaux. Avec l’arrivée de femmes missionnaires, d’enseignantes, d’aventurières et d’épouses, la pression augmenta pour ne pas reconnaître les partenaires et les enfants de ces unions. Autour des camps des armées impériales – anglaises, françaises, japonaises ou autres – le commandement mettait en place des maisons closes pour favoriser « des relations sexuelles sanitaires » et rendait obligatoires la détection des maladies vénériennes chez les femmes et leur internement pour suivre des traitements. Les soldats, en revanche, n’étaient jamais perçus comme les responsables de la propagation des maladies et donc jamais examinés à ce titre. La prostitution et le déplacement forcés de femmes coréennes et d’autres pays occupés durant la Seconde Guerre mondiale représentent une page très noire de la nouvelle histoire mondiale. Le racisme, le sexisme et la violence ont augmenté parallèlement aux avancées et aux rivalités impériales.

Plus récemment, le trafic sexuel et la commande d’épouses sur catalogue se sont répandus. Le premier, une forme d’exploitation post-esclavagiste, était déjà un sujet de discussion prisé parmi les réformateurs de la sexualité au xixe siècle. Après la chute de l’empire soviétique et les licenciements massifs qui s’ensuivirent, la prostitution et le travail du sexe plus généralement se sont répandus, les hôtels, voies ferrées et même les autoroutes se peuplant de femmes démarchant des clients pour survivre. La mondialisation a aussi développé le tourisme sexuel, de Bangkok à Tunis, le plus souvent à la recherche de partenaires femmes. Des femmes du monde entier répondent aux petites annonces d’hommes cherchant des femmes par correspondance. Certaines de ces relations se révèlent même satisfaisantes pour les femmes concernées. Une étude a ainsi montré qu’en Allemagne, sur un échantillon de femmes thaïlandaises arrivées dans le pays de cette façon, seule une minorité était insatisfaite de ses conditions de vie et de sa situation maritale.

La micro-histoire des empires a mis en lumière les compétences des femmes. Celles des pays conquis savaient produire des boissons aussi recherchées que le chocolat et utiliser mieux que quiconque les nouvelles ressources alimentaires, maïs, pommes de terre ou tomates. Ces femmes connaissaient aussi des recettes de substances abortives qui pouvaient être utiles aux médecins impériaux. Dans les empires modernes, les femmes des pays colonisés recherchaient et transmettaient un savoir global. Parallèlement, les femmes des puissances impériales voyageaient pour développer ce savoir. La dessinatrice néerlandaise du xviie siècle Maria Sibylla Meriam se rendit au Surinam pour étudier les plantes et les insectes, réalisant certains des dessins les plus utiles et les plus précis pour les botanistes et autres scientifiques. Les voyages et les illustrations de l’anglaise Marianne North dans le monde entier permirent aussi la découverte de plantes inconnues des Européens et fournirent des dessins botaniques de nombreuses autres. En Amérique du Nord, les esclaves d’Afrique de l’Ouest au xviiie siècle étaient réputées pour leur maîtrise de la culture, de la transformation et de la préparation du riz. On pense qu’elles furent les principaux véhicules de la production et de la connaissance du riz dans les colonies, leurs jardins servant plus généralement, selon un chercheur, de jardins botaniques virtuels facilitant la découverte et la culture des nouvelles plantes qui circulaient dans l’espace atlantique.

L’apport des cultures non-occidentales

Les spécialistes de l’histoire mondiale croient souvent, dans la lignée de Wallerstein, à la domination culturelle, politique et sociale de l’Occident. Les travaux sur l’histoire des femmes montrent autre chose. De Mary Montagu, qui admirait les femmes de l’Empire ottoman, imitait leurs vêtements et copia leur technique d’inoculation de la variole, aux écrits de Jean-Jacques Rousseau sur les femmes non-occidentales, notamment ottomanes et indonésiennes, les preuves que les coutumes et institutions d’autres cultures ont influencé l’Occident sont nombreuses. Citons notamment la séparation des sphères publique et privée, telle qu’elle se développa au xviiie siècle, alors que les observateurs européens vantaient l’idée d’un train de vie intime et le bonheur de l’homme ottoman qui fumait sa pipe, tranquillement assis, dans le confort de sa demeure.

Les observateurs occidentaux louaient l’ordre découlant de la réclusion des femmes dans les foyers des empires ottoman, moghol et qing. Les notes de lecture les plus complètes de Rousseau, prises pour aider Marie-Louise Dupin à rédiger son histoire des femmes, mentionnent la réclusion des femmes dans les harems ottomans. Les voyageurs rapportaient qu’un grand nombre de ces recluses étaient versées dans la calligraphie, l’écriture et les arts et que, de surcroît, les épouses éduquées et les femmes publiques étaient extrêmement belles29. Au début du xviiie siècle – à l’époque où Mary Montagu écrivait ses lettres de Constantinople – on apprenait que les femmes des marchands et des classes supérieures des pays non-européens étaient généralement cultivées. Les Jésuites diffusèrent les réalisations féminines, en publiant des résumés biographiques de femmes célèbres. En Chine, ces femmes éduquaient à leur tour leurs jeunes enfants, leur inculquant un modèle à imiter plus tard lors des examens pour entrer dans la carrière gouvernementale. L’éducation des femmes était valorisée parce qu’elle favorisait la réussite des enfants, contribuait à la réputation culturelle des familles et donc à leur valeur sociale et politique. Dans les foyers asiatiques où les femmes vivaient très recluses, ce retrait intentionnel visait principalement à assurer l’éducation à la fois pratique et intellectuelle des jeunes. Des institutions occidentales telles que la séparation des sphères publique et privée et la maternité conçue comme une vocation culturelle se sont développées à partir d’exemples plus lointains.

Prendre conscience des interconnexions mondiales et des flux culturels multidirectionnels aide aussi à voir d’autres origines à l’idéalisation de la femme et à l’hégémonie de l’amour romantique au xixe siècle en Occident. L’arrivée en Occident de pièces comme Sakuntala et la traduction de nombreux textes d’Asie du Sud-Est à la fin du xviiie siècle firent découvrir aux « romantiques » européens le tantrisme, hindou et bouddhiste. Le poème « Kubla Kahn » composé par Samuel Taylor Coleridge en 1798 montre sa connaissance de l’Asie du Sud-Est. Dans la description du lien de Kubla Khan avec la servante abyssinienne, l’évocation de ses yeux perçants et de sa chevelure flottante – et donc de la transcendance –, Coleridge exprime la sorte de progression tantrique qui allait devenir un thème majeur du romantisme, la vision enivrante des pouvoirs spirituels de la femme, qui se développait en Allemagne et ailleurs en Occident. Comme dans le cas de la servante abyssinienne, nombre de romantiques se mirent en quête de la nouvelle incarnation féminine de l’amour extatique pour élever leur propre statut et leur poésie au firmament.

Parmi eux, des romantiques allemands tels que les frères Schlegel et Caroline Gunderöde utilisaient des images et des idées issues des textes d’Asie du Sud-Est pour fonder leurs visions romantiques. Ils cultivaient les relations amoureuses et les décrivaient en des termes provenant de la pensée asiatique. En 1799, l’année où le mari de Brendel Viet lui demandait le divorce, Schlegel publiait son roman Lucinde, immortalisant leur union. Le récit célébrait l’histoire de Julius et de Lucinde dans un nouveau cadre de pensée romantique : il justifiait leur passion physique en y voyant un chemin vers la transcendance et donc un moyen de réaliser la perfection de l’humanité. Schlegel affirmait sans détours que l’acte sexuel unissant deux corps était la voie vers la sainteté et le divin, signe qu’il avait saisi l’esprit du tantrisme en lisant les textes asiatiques en traduction. Après avoir « dépouillé ses vêtements haïssables et les avoir dispersés de toutes parts dans un charmant désordre », le poète et sa bien-aimée devenaient comme « les boutons jumeaux d’une plante unique ou les pétales d’une même fleur ». Dans l’expression de ces passions, c’est toujours la femme qui fait accéder l’homme à de nouveaux niveaux spirituels – un motif que l’on retrouve chez Lady Morgan, Mary Shelley et Percy Bysshe Shelley, et qui érotise et spiritualise à la fois la femme en la plaçant aux sources de la transcendance masculine.

A la fin du xixe siècle, la pensée non-occidentale avait marqué les conceptions de la sexualité et de l’identité de genre, en introduisant des idées porteuses à la fois de plus d’érotisme et d’une plus grande souplesse dans la définition du genre. Le linguiste, diplomate, soldat et explorateur Richard Burton y contribua en collectant des récits érotiques perses, moghols et ottomans sur les marchés et en les publiant dans une traduction anglaise dans les années 1880. Ces textes étaient non seulement de véritables manuels sexuels, mais des traités sur la manière d’augmenter le plaisir sexuel des femmes. L’intérêt européen et américain pour les textes non-occidentaux, notamment égyptiens, indiens et africains, joua aussi un grand rôle. Outre Walt Whitman et d’autres, le militant socialiste et homme d’Église britannique Edward Carpenter se mit à lire ces textes et voyagea même au Sri Lanka pour étudier avec un gourou. À son retour en Angleterre, il alla plus loin, en écrivant sur les personnes dotées d’un corps masculin mais ayant des penchants féminins, une attirance pour les arts ou d’autres hommes, et inversement. Ses descriptions d’homosexuels sont plus lyriques et mystiques que scientifiques ; il définissait ceux dont le sexe biologique et le genre ne semblaient pas correspondre comme un « sexe intermédiaire ». Dans les années 1900, il en déduisait qu’il existe des individus dont les « affections et les affinités physiques intimes s’estompent et évoluent, dans de très nombreux cas, très subtilement du masculin au féminin, et sans qu’il y ait toujours une correspondance évidente avec le sexe physique apparent ». Il citait plusieurs penseurs asiatiques, dont Lao-Tseu, le fondateur du taoïsme, sur l’excellence de ceux possédant à la fois les caractéristiques masculines et féminines. La pensée et la trajectoire de Burton et de Carpenter, considérées sous l’angle du genre et de l’histoire mondiale, montrent le caractère réducteur des premières théories de l’orientalisme, telles que les formula Edward Said. Loin d’être simplement binaires, les relations globales sont complexes et polyvalentes.

Les idées de Carpenter sur le genre et celles de nombreux homosexuels occidentaux à cette époque et jusqu’à la Première Guerre mondiale se fondaient sur une pensée non-occidentale. Les théosophistes, une école alors nombreuse, pensaient ainsi que l’on pouvait habiter non seulement des corps animaux mais des corps de sexe différent. Une revue théosophique écrivait en 1910 :

The Path cité dans Dixon 1997 : 422 a dit :
Il semble raisonnable de penser que nous changeons de sexe toutes les sept incarnations. Nous avons six vies masculines et à la septième notre conscience d’individus dans le grand théâtre du monde prend la coloration du féminin, et lors des six vies suivantes nous nous apparaissons féminins, pour de nouveau reprendre la coloration du masculin à la septième

L’idée du changement de genre au fil des incarnations influença toute la culture, de celle, populaire, des homosexuels à celle, littéraire, des intellectuels. C’est en s’inspirant de ces idées que Virginia Woolf écrivit Orlando, l’histoire d’un homme qui se transforme en femme au fil des siècles. Des lesbiennes célèbres comme Radclyffe Hall assuraient que les types physiques ne sont pas fixés et cette idée fut à l’origine de nombreux romans et théories.

La femme moderne dans une perspective globale

La dimension multidirectionnelle des flux culturels ressort donc de plus en plus grâce à l’histoire mondiale, au point que les origines de la modernité se trouvent à leur tout réexaminées. La conception du genre et la sexualité modernes, mais aussi la « femme moderne », semblent résulter plus d’une construction globale que d’une origine purement occidentale. Les vêtements de cette femme nouvelle, par exemple, ne dérivent pas de la mode occidentale, qui privilégiait les textiles volumineux et la constriction du corps. L’habit « moderne » et les textiles dont il se compose s’inspirent des styles plus près du corps et moins contraignants des pays non-occidentaux. Les modes vestimentaires font le tour du monde, altérées seulement par des engouements et des inflexions mineurs qui surgissent çà et là dans le monde. Les femmes s’observent les unes les autres dans la presse tabloïd, les magazines féminins et les publicités qui transgressent les frontières nationales. La modernité pour les femmes, comme l’art moderne né à la même époque, est fondamentalement globale. Mais ces évolutions multidirectionnelles sont aussi chaotiques que la mondialisation elle-même au fil des siècles.

Les flux culturels globaux ont affecté la production du genre – depuis les descriptions de la reproduction de nombreuses espèces de plantes en termes d’hétérosexualité par Linné jusqu’aux théories de l’évolution et de la sélection sexuelle de Darwin. L’hétéronormativité occidentale est inscrite dans la mondialisation. Même l’éducation dans les colonies a produit des distinctions et une hiérarchie entre les sexes : en Inde, par exemple, l’instruction en anglais était censée instiller des qualités viriles. Les femmes qui apprenaient l’anglais semblaient donc saper la virilité de leur mari, un geste d’autant plus terrible que l’on pensait déjà que les colonisateurs détruisaient l’autorité masculine des hommes indiens. Dans de nombreuses parties du monde, les hommes ont modelé leur masculinité sur celle des colonisateurs européens. En Argentine, par exemple, les réformateurs du xixe siècle pensèrent d’abord que la consommation de biens raffinés rehausserait leur masculinité parce qu’à l’image des hommes dominants d’Europe ils montreraient ainsi leur valeur et la supériorité de leur jugement. Cela changea avec l’évolution de la répartition des rôles en Europe, où la consommation passa de plus en plus pour un attribut de la féminité. Les Européens et les Américains, au même moment, cherchaient à renforcer leur masculinité en pratiquant des arts martiaux non-européens ou en lisant le classique chinois L’Art de la guerre.

D’autres chercheurs estiment que la modernité s’est diffusée à partir de l’Occident, notamment pour ce qui touche au féminisme et à l’invention de la femme moderne. Le mouvement féministe chinois de la fin du xixe siècle se fonda sur les initiatives d’hommes réformateurs qui voyaient dans la condition problématique des femmes en Chine un élément retardant le progrès du pays et la modernisation de ses structures politiques. On inventa le terme nüxing pour désigner les femmes sans qu’il soit nécessaire de préciser leur statut familial. Selon cette lecture, le mot nüxing aurait fourni aux réformateurs un outil, la femme individuelle et sa condition, pouvant servir d’indicateur de la modernité et des progrès chinois. À partir d’idées occidentales du féminin, le réformisme chinois en général et le féminisme chinois en particulier se développèrent en fonction de constructions et de valeurs occidentales. L’idée de la femme indépendante et perfectible avait migré pour influencer la vie politique chinoise. Les études sur le mouvement de lutte pour abolir la pratique des pieds bandés confirment l’influence profonde des idéaux occidentaux.

L’histoire des femmes a contribué à illustrer l’importance des « événements globaux » et l’interconnexion entre différentes formes de militantisme dans le monde entier. L’engagement des femmes à un niveau global ainsi que la dimension globale de leurs combats nationaux ont aussi éveillé chez les spécialistes de l’histoire mondiale un intérêt croissant pour les périodes récentes et les endroits où existait déjà un mouvement féministe actif. La publication, aux États-Unis en 1926, de Mother India de Katherine Mayo reçut dans l’ensemble un bon accueil mais subit une rafale de critiques de la part des Indiens. En particulier, les Indiennes évoluèrent d’un militantisme ancré dans leur communauté à un souci étendu du bien-être des femmes dans le sous-continent tout entier. De nombreuses femmes britanniques et américaines interprétèrent les accusations d’hypersexualité chez les Indiens proférées par Mayo comme une justification de la domination impériale tandis que les féministes indiennes défendaient des réformes telles que le recul de l’âge légal du mariage et la lutte contre l’exploitation sexuelle des filles.

Vu les signes de plus en plus nombreux d’interconnexions, peut-on dire qu’il existe depuis quelque temps une sexualité, une vie familiale voire une vie amoureuse globales ? Existe-t-il seulement une culture globale qui mette en avant les intérêts des femmes ? Les médias du monde entier accordent beaucoup de place aux visages, aux personnalités et aux actions des nombreuses femmes ayant dirigé des pays au cours des cinquante dernières années – premières ministres et présidentes du Libéria, d’Inde, d’Israël, des Philippines, de la plupart des pays scandinaves, d’Irlande, d’Allemagne, d’Argentine, du Chili, du Nicaragua ou d’ailleurs. Les images de conférences comme celle de Beijing en 1995 montrent des femmes du monde entier jouant un rôle actif, occupant des postes à responsabilités. Les succès d’Aung San Suu Kyi, de Rigoberta Menchu, de Wangari Maathai, de Shirin Ebadi ou de Jodi Williams – toutes distinguées par un prix Nobel au cours des dernières décennies – témoignent à la fois d’une grande diversité et, pour ainsi dire, d’une forme de culture globale des réalisations féminines.

Mallika Dutt, une Afro-Américaine qui assista à la conférence de Beijing en 1995, jugeait cependant l’expérience des femmes dans la mondialisation dérangeante : les femmes non-occidentales ne voyaient pas en elle une « sœur » par la couleur de sa peau, mais une exploiteuse américaine ; et loin de sembler opprimées et piétinées, celles-ci étaient en fait les participantes les mieux organisées et les plus éloquentes, loin devant celles des États-Unis. L’anthropologue Serge Gruzinski affirme que les rencontres mondiales sont des creusets chaotiques et destructeurs, qui génèrent de nouveaux mélanges d’idées et d’influences. D’autres soulignent les inégalités et discordances de processus globaux qui déstabilisent souvent les identités existantes. L’histoire mondiale décrit d’étranges combinaisons, indigénisation inattendue ou localisation de flux globaux, par exemple. Partout dans le monde, on a fait usage des empires, du commerce et d’autres institutions globales. Certains effets sont inattendus et encore méconnus, comme lorsque la modernisation globale vivifie des traditions, dont la religion, ou en suscite de nouvelles. Et si l’on voit souvent dans la mondialisation une puissance d’homogénéisation, elle est fondamentalement diverse. Comme l’a montré Joan Scott, le port du foulard en France « avait de multiples sens » ; c’était un « signifiant instable ».

Étant donné à la fois les multiples significations et l’homogénéisation à l’œuvre dans la mondialisation, ainsi que la diversité des peuples opprimés parmi les autochtones des empires, il reste beaucoup à apprendre de l’étude des femmes et du genre dans le cadre de l’histoire mondiale, malgré les discordances et les inégalités que de tels travaux pourraient mettre au jour.


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Elorwen

Guest
Ce n'était pas prévu ici mais en faisant une recherche ou deux je suis tombée sur un truc de la mythologie nordique (et du coup, je me permets de poker la personne qui ma permis de trouver ceci @Sköll ):

A l'instar de ce à quoi on peut assigner ton pseudo (la bière au nom éponyme), ton pseudo est quand même classe parce qu'il représente une créature de la mythologie Nordique:

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Sköll ("Répulsion"), est dans la mythologie nordique, l'un des deux loups (l'autre étant Hati, "Haine"), faisant partie des Managarm, fils de Fenrir et de la géante Larnvidia. Il poursuit le soleil placé sur des chars qui se suivent sans relâche. À la fin des temps (Ragnarök) les deux loups mangeront la lune et le soleil et les astres seront engloutis par Fenrir.
 
16 Avril 2015
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Bonjour ! C'est une super idée de topic tout ça :)
Alors je n'ai aucune connaissance en histoire autres que celles du lycée mais avec mon père on en discute souvent alors j'aimerais connaître votre avis ou savoir un peu ce que vous savez sur un sujet.
Toute ma famille ou presque parle des réfugiés syriens en disant qu'ils pourraient ou devraient rester combattre dans leur pays. Leur principal argument est "Pendant la Seconde Guerre Mondiale on s'est bien tous battus", en sachant que seul notre grand-père l'a vécue et a effectivement été un petit résistant. Mais j'aimerais bien savoir si vous connaissiez un peu la proportion de résistants en France, ou en tout cas celles des grands résistants qui faisaient partie d'un réseau, ou la proportion de collaborateurs avérés. Ou si vous pouviez m'en dire plus... Ce serait super gentil :top:
(dites-moi si j'ai pas compris le sujet ou quoi que ce soit :lunette:)
 

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