Je suis assez abasourdie par ce que je lis, que ce soit l'article où les commentaires.
J'ai bien conscience que certains profs peuvent effectivement dépasser les limites et mal agir, rabaisser certains élèves ou ne pas agir quand ceux-ci sont attaqués par les autres, ce qui est tout à fait condamnable. Je comprends qu'on peut ressentir de la rancoeur, voire de la haine (d'où les insultes lues plus haut, je suppose). Mais à côté de ça, je crois que la grosse majorité de la population n'a aucune idée de ce qui constitue le travail d'un professeur et de ce à quoi celui-ci est confronté tous les jours.
Payés une misère au regard de l'investissement qui a été le leur (5 ans d'études au minimum, puis des concours particulièrement difficiles et sélectif, pour être payé 1500 balles à l'arrivée avec une formation sommaire et sans intérêt), les professeurs, quand ils choisissent de ne pas se montrer tyrannique avec leur classe en début d'année pour s'imposer par la force, mais aimables et compréhensifs, sont face à des élèves qui sont souvent peu respectueux, insolents, passifs, simplement parce qu'ils sentent une brèche, une petite ouverture dans cette amabilité, qui permettra de faire n'importe quoi en classe et de la transformer en zoo. Sommes nous si loin que ça de la brimade, de l'agressivité gratuite? C'est simplement que celle-ci est dirigé contre l'adulte et non plus contre l'ado ou l'enfant. Mais le prof est payé pour ça, pour se montrer compréhensif face aux insultes, pour subir. Et il devrait garder le sourire, en plus, et ne jamais montrer la moindre faiblesse.
Puis la question des brimades, bien sûr, avec en filigrane celle de la passivité du professeur : que le prof agisse et protège un où une élève contre une classe entière (oui, je suis d'accord, cela devrait être la moindre des choses), et on lui reprochera de l'avoir fait. On se retournera contre lui. Ses propres élèves d'abord, puis les parents d'élèves où l'administration qui lui reprochera de s'être mêlé de ce qui ne le regarde pas. Aucun soutien pour ce qui est une action louable et nécessaire. Non, au contraire on reproche encore. Reproches, reproches, reproches. Allez aider qui que ce soit dans ces conditions.
Revenons sur le « De toute façon, vous êtes là au fond, mais vous vous en foutez, autant rentrer chez vous.» Cela a été perçu comme une parole humiliante de la part de l'auteure de l'article, ce qui peut se comprendre. Je m'étonne cependant que le recul qui est désormais le sien ne lui a pas permis de voir que cette phrase sonnait comme un appel. Imaginez, vous avez préparé vos cours pendant plusieurs jours (cela prend un temps hallucinant, croyez-moi), corrigé des paquets de copies, sacrifié votre week-end, vos moments avec votre famille ou vos amis parce que oui, malgré ce que pense les trois quarts de la population, vous en avez quelque chose à foutre. Vous arrivez devant votre classe. Et tout ce qu'on voit comme réaction face à son travail et son envie de partager son savoir, c'est au mieux un silence fatigué de la part d'élèves endormis, qui ont l'air de n'en avoir rien à foutre, au pire des cris, des bavardages, des remarques insolentes (Monsieur/Madame, c'est pas intéressant ce que vous dites/on s'en fout/j'aime pas). Vous avez juste envie de leur dire FUCK, et de rentrer chez vous,et c'est ce que n'importe qui de censé ferait, d'ailleurs. Mais le prof devrait le supporter, c'est son boulot, de se prendre des tartes par des ados.
Alors oui, il faudrait accorder plus de place à un accompagnement personnel, pour chaque élève, mais dans une classe de trente, dont la moitié fait n'importe quoi dès qu'on les perd de vue (Soyez honnêtes. On a tous profité du fait que le prof avait le dos tourné pour aller faire le zouave), comment faire? J'ai plusieurs amis qui me disent qu'ils se réjouissent quand ils s'aperçoivent que deux ou trois élèves dans la classe ont compris leur cours, que c'est mieux que rien, qu'au moins ils auront réussi à en toucher quelques-uns. C'est beau, dis donc! C'est motivant!
Passons sur les attaques personnelles (sexisme, racisme, etc...), les parents d'élèves qui n'abondent que rarement dans votre sens (montrant ainsi à leur gamin qu'il n'y a pas à respecter cet adulte qui tente pourtant, malgré ce qu'on pense souvent, d'aider), les médias, le monde entier qui vous voit comme un fainéant qui fait grève ("mais il a pourtant des vacances!") incapable d'élever les enfants de la Républiques, enfants dont les troubles viennent souvent de problèmes familiaux sur lesquels ils n'ont aucune possibilité d'agir, passons donc sur tout cela. On ne demandera pas aux élèves d'être toujours avides de savoir et adorables, mais d'être respectueux et de considérer ne serait-ce qu'un minimum le travail que fait cette personne humaine qu'il y a en face, c'est la base et un bon cours ou chacun sera épanoui ne pourra se faire que grâce à cela. Et puisque cela ne change pas, c'est terrible à dire, mais ce sera par l'humiliation, par la crainte qu'il inspire, que le prof arrivera à faire cours. Pas par de la gentillesse. Le jour où on respectera enfin le travail des professeurs et qu'on considérera que ce sont des êtres humains, tout ira mieux, vous pouvez me croire.
Les profs aussi ont envie de bouffer le monde. Ils ont des ambitions, ont des envies de partage, des rêves, des projets. Mais quand on ne cesse de vous répéter à la télé, dans la bouche des parents, de l'administration, des directions d'établissements, du ministère, même de vos proches, que vous êtes un gros nul et que votre boulot est à chier; quand tous vos projets dépendent du bon vouloir des mutations (et encore, vous n'êtes même pas sûr d'être un prof assigné à un établissement spécifique! Vive le statut bien précaire de remplaçant!) et du salaire minable qu'on vous donne, quand EN PLUS les personnes avec qui vous voulez partager votre savoir sont la plupart du temps complètement hermétiques et parfois agressives, oui, vous en devenez malade, vous êtes fatigués, et vous dites des choses que vous n'auriez jamais dit en temps normal.
Je respecte les sentiments de l'auteure de l'article. Mais je suis juste vraiment touchée par l'absence totale d'empathie, d'un minimum de compréhension, pour ce qui au yeux de tous est un monstre de cruauté et qui n'est pourtant qu'un humain: le prof.