Mon mémoire de M2 porte sur le terrorisme. Ca me fait vraiment très bizarre. Je ne sais pas comment gérer.
J'ai vécu une des pires nuits de ma vie.
J'étais au cinéma avec ma sœur quand ça a commencé. Elle s'est mise à recevoir plein d'appels mais s'est faite engueuler par le type derrière nous quand elle a essayé de lire un texto de son copain qui disait "Où êtes-vous ? Il y a des attentats, soyez prudentes.". Au même moment, deux filles de la salle sont sorties en courant. On a pas tardé à suivre, et une fois sortie de la salle, surprise : toutes les sorties grillagées, les employés du ciné en panique totale et une fille par terre en crise d'angoisse.
Ma sœur a forcé pour pouvoir sortir, on s'est retrouvées à courir dans la rue avec des voitures qui passaient bien trop vite, des gens qui courraient partout et les resto' et bars qui foutaient tout le monde dehors. Pas moyen d'appeler des taxis, ni Uber, ni rien du tout, réseaux coupés.
Un flic arrive en courant vers nous et nous gueule de ne surtout pas rester là parce qu'on était dans le "quartier visé et que les terroristes approchaient de notre position". On a demandé à des gens de pouvoir nous réfugier dans le hall (et juste le hall) de leur immeuble et ils nous ont fermé la porte au nez. Finalement, un type dans un tout petit bar nous hurle de rentrer avec eux pour se mettre à l'abri.
A l'intérieur ils étaient quatre déjà, à s'être enfui des bars plus exposés autour : une femme (juive, d'après ce qu'elle disait), le barman, le DJ d'une boîte voisine et un mec espagnol.
Il était environ 23h30, des militaires sont venus se poster dans notre rue, puis on a entendu des cris au carrefour et les pneus d'une voiture crisser. Les militaires nous ont hurlé de nous cacher, si possible en sous-sol et d'éteindre toutes les lumières.
On est tous restés caché comme ça pendant une bonne heure, avec la fille qui pétait des câbles parce que toute sa famille était proche d'un des lieux visés (j'ignore lequel). Entre temps, j'ai appris par message qu'un de mes amis était otage au bataclan.
Je ne sais absolument pas comment il a réussi à passer mais le mec de la fille qui était avec nous est arrivé, et pour se changer les idées il a bu. BEAUCOUP.
A partir de là j'ai perdu la notion du temps. On a entendu d'autres cris juste à côté, on est remonté au rez de chaussée en se cachant au maximum, j'ai vu deux mecs passer en courant devant la baie vitrée du bar et on a entendu des échos de coups de feu. Matt' (le proprio du bar qui nous a recueilli) nous a dit "Tout le monde à terre ! Je les vois ! Ces connards sont à dix mètres ! Putain ils sont au bout de la rue, ils vont passer là ! Tout le monde en bas ! Ils sont accroupis devant le bar *nom* putain !"
Et qui a eu une merveilleuse idée ? Le mec qui buvait, complètement bourré, a décidé que "on devait pas avoir peur de ces salauds" et qu'il allait ouvrir la porte et leur "casser la gueule lui même". Il s'est jeté sur la porte en hurlant, mais sa copine a heureusement réussi à le repousser avant qu'il ne parvienne à sortir...
Des militaires passent devant la baie vitrée, prêts à tirer. Les terroristes semblent s'être éloignés de notre position.
Quelques minutes plus tard, Matt' est toujours près de la porte, essayant de voir ce qui se passe, quand trois mecs (que nous appellerons Monsieur 1, 2 et 3) arrivent complètement essoufflés dans la rue. L'un d'eux (Monsieur 3) a une plaie sur le crâne, vraiment petite, mais j'étais tellement en état de panique que j'ai failli tourner de l’œil ! Ils entrent avec nous, nous expliquent qu'ils se trouvaient au Stade de France quand ils ont entendu des explosions. Un mec près d'eux dans les gradins est allé jeter un coup d'oeil dans l'espoir de voir ce que c'était, puis revient en courant et prend ses affaires : et... Le match de foot continue comme si de rien n'était. C'est à ce moment que l'évacuation commence et dans l'agitation, Monsieur 3 se prend un coup à la tête, ce qui le blesse. Ils sortent tous les mains exposées à la vue des flics, et je ne sais pas s'il y avait des métros ou comment ça s'est passé, mais ils se sont retrouvés à Gare de Lyon quand tout a été bloqué. De là, ils ont couru jusqu'à notre bar en réalisant qu'ils ne tiendraient pas jusqu'à chez eux...
environ 02h00 : la fille et le mec bourré décident de tenter leur chance en rentrant chez eux à pieds. Les messieurs 1, 2 et 3 partent en même temps qu'eux. Le DJ aussi s'en va, sa voiture est garée près de la boîte de nuit. Matt' a sa moto juste en face du bar, mais refuse de partir tant que moi et ma sœur sommes toujours là. Il parvient à contourner le blocage des numéros de taxi en appelant un de ses amis, qui nous envoie une voiture.
Elle n'arrivera jamais, hm.
03h00 : après une demi-heure d'essais à choper un taxi dans les rues voisines mais tous étant déjà occupés ou PLUS EN SERVICE (?!), un taxi s'arrête devant le bar. Enfin ! Nous montons avec Miguel, l'espagnol qui habite tout près de chez moi. C'est un très grand taxi à 6-8 places, nous sommes donc 3 (ce détail est important pour la suite). Nous parcourons 4 ou 5 rues. Le portable du conducteur sonne, il décroche en haut parleur : apparemment, nous ne sommes pas les clients qu'il devait prendre car la femme au bout du fil lui dit : "la demoiselle qui devait monter avec vous est toujours à côté de moi, hein. On vous attend"
Il s'excuse, raccroche, s'arrête sur le bord de la rue et se tourne vers nous :
"Désolé, je vous laisse là, je vais chercher ma cliente.
- Comment ça, on doit descendre là ? Mais...
- Ouais, 15 euros.
- Mais si c'est juste une cliente elle peut monter avec nous, il y a plein de place !
- 15 euros."
On paie (les taxis étaient sensés être gratuits...) et on descend. On est au beau milieu d'un quartier TRÈS limite mais... pas le choix : on marche.
J'ai jamais eu autant de visions d'horreur de ma vie. Il y avait des cadavres au sol, certains recouverts d'un drap, d'autres pas. Du sang, ou d'autres liquides non identifiés qui s'écoulaient sur le trottoir. Et surtout, surtout, l'image qui m'a le plus marqué :
Autour d'un cadavre (un cadavre, sanguinolent ! Pas un type couché...), des mecs riaient, faisaient la fête et dansaient à côté de lui. Miguel trace, nous aussi, mais on les voit s'arrêter et nous fixer ma soeur et moi. L'un d'eux fait un bruit de bouche pour appeler un chien, d'autres sifflent. Il faut croire que même dans les cas extrêmes le harcèlement de rue a de beaux jours devant lui.
On marche, on marche, on marche. Y'a des ambulances partout, des sirènes, des voitures de flics et des barrages à chaque bout de rue. Le seul taxi vide que nous trouvons nous ignore et s'éteint en traçant sa route.
Après une bonne demi heure, on tombe sur un ultime taxi. Le conducteur hésite, mais devant nos têtes, finit par accepter de nous prendre.
04h00 : Nous arrivons à la maison (et 10 euros de taxi en moins), j'ouvre un message que ma mère m'avait envoyé quelques heures plus tôt et que je n'avais pas vu :
"Ça va, ce n'est pas si terrible, prend un métro pour rentrer."
DUH ?
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Et putain, les filles ! J'ai trop de chance. J'ai tellement de chance. J'ai vu des horreurs et j'ai eu peur pour ma vie. Très peur. J'ai cru qu'on s'en sortirait pas. Mais les filles, j'ai trop de chance. Parce que je suis vivante, putain.
Mon mémoire de M2 porte sur le terrorisme. Ca me fait vraiment très bizarre. Je ne sais pas comment gérer.