Je voudrais apporter mon grain de sel au débat sur Orelsan. ^^
Déjà disclaimer : j'aime sa musique, je trouve que ses morceaux donnent la pêche et ont quelque chose, je trouve qu'il a du talent, que ses textes sont bien écrits et pleins de références cools.
Mais je pense aussi que le talent n'excuse pas tout. Sale Pute, que ce soit au premier ou au vingt-quatrième degré, je trouve c'était au mieux de mauvais goût, au pire misogyne. Le second degré, j'ai l'impression que c'est l'excuse à chaque fois qu'un artiste fait quelque chose de problématique. (Jeremy Renner appelle Black Widow "slut" en interview ? C'était de l'humour !) Ça renforce le cliché "les féministes n'ont pas d'humour", on est entre couilles, etc.
Je pense que quand on écrit des textes, on est responsable de l'impact qu'ils ont par la suite. Sale Pute, c'était sans doute vraiment voulu comme la perspective d'un pauvre type qui se fait larguer... Sauf que le pauvre type, c'est souvent l'image qu'Orelsan se donne, et il va toujours y avoir des gens pour prendre ça au premier degré. C'est le titre de la chanson, quoi !
On ne peut pas non plus dire "mais si ça avait été du point de vue d'une femme ce serait passé crème", parce que ce ne sont pas des situations comparables. La violence contre les femmes est quasiment institutionnalisée aujourd'hui, il suffit de jeter un oeil aux statistiques. Evidemment, il y a aussi des hommes victimes de violences conjugales, mais ce n'est pas du tout répandu et "accepté" comme le sont les violences contre les femmes - et c'est pour ça que le message de la chanson est tellement plus insidieux qu'une simple question de premier ou second degré.
Je rejoins aussi ce qui a déjà été dit plus haut : on est beaucoup plus vite prêt à faire passer ça sous l'étiquette du second degré quand ça vient d'un rappeur blanc avec des références en Latin que quand c'est des mecs des banlieues. Je comprends qu'on cherche à se justifier d'aimer Orelsan, mais je pense aussi qu'il faut avoir du recul par rapport à notre propre jugement.
En plus Orelsan n'a pas vraiment brillé par son remords ensuite : "J'suis le génie qui a écrit Sale Pute, j'aimais pas l'adolescence, laisse moi kiffer la vie d'adulte", "Je sais que ta petite copine aime pas mes textes, si j'écoutais toutes les juments je ferais du rap équestre", "Merci les Chiennes de Garde pour le coup de pub", etc. Il joue sur le malaise du semi-loser trentenaire blanc hétéro un peu arrogant - mais il n'y nulle part des excuses.
Petit point aussi sur le rap qui n'est pas obligé d'être contestataire... Aux origines, le rap est un mouvement contestataire issu des classes populaires afro-américaines. C'est un mode d'expression et de protestation contre une société raciste. Depuis il y a eu des dérives qui ont conduit à l'image "meuf/fric/bagnoles" très sexiste du rap, mais il reste un noyau contestataire très fort, cf cet article sur
les rappeuses et leurs prise de position politique. Le problème c'est que quand les blancs font du rap, le message contestataire est très souvent perdu et on ne retrouve que ce cliché sexiste, qui ne fait que renforcer la "mauvaise réputation" du rap et, finalement, les préjugés racistes qui lui sont associés. Macklemore a dit qu'il fallait faire la différence entre ce qu'on prenait et ce qu'on donnait au genre, et je pense que c'est valable pour pas mal de rappeurs blancs aujourd'hui : si ils font du rap, il faut qu'ils soient conscients de l'héritage et des influences qu'ils empruntent, mais aussi de leur portée sur le mouvement. Si je suis convaincue qu'Orelsan a une grande culture du rap (dans une interview chez Ruquier, il avait mentionné avoir été très influencé pendant son séjour en Floride), je trouve qu'il a sans doute moins compris la seconde partie.
Enfin dernière petite chose : non, le rap n'est pas toujours violent. Je conseille d'écouter Glory (Jay-Z), Swimming Pools (Kendrick Lamar), Know Myself (Drake), La Source (1995) pour se faire une idée. ^^