Ahah, ça me fait un peu rire ce genre d'article... (en fait non, ça m'énerve).
Décider de ne pas se mettre de barrière mentale, voire morale, au fait de vouloir concilier vie de famille et carrière, certes. Très bien.
Mais faire comme si, alors même qu'on n'est absolument pas en situation (le témoignage ne fait état que d'une projection dans l'avenir), ça y est, on avait trouvé "la clef"... Quelle blague.
Je vois de plus en plus fleurir ce genre d'articles et/ou témoignages sur le "oui, vous pouvez tout avoir" et je trouve cela non seulement mensonger mais culpabilisant pour celles qui galèrent.
Et cette théorie selon laquelle on se plaindrait mais qu'en fait, on prendrait "plaisir" à jongler entre tout, qu'on se sentirait boostée par ça, fière... Peut-être que certaines prennent leur pied à ça et que ça les flatte, qu'elles se sentent indispensables et wonderwoman d'être sur tous les fronts... Mais ce n'est clairement pas le cas de tout le monde. Et je reste intimement persuadée que non, on ne peut pas assurer à tous les niveaux. Que "ne pas choisir", c'est choisir quand même, au final. Choisir de faire cohabiter deux aspects de sa vie (la famille et la carrière) qu'on ne pourra pas mener à 100%. Dans lesquels il y aura toujours une frustration, de la culpabilité, une certaine forme de regrets.
J'ai fait Sciences Po Paris, j'ai fêté mes 30 ans il y a trois mois, je suis consultante, proprio d'une maison, mariée et maman de deux enfants. On m'a déjà dit, à plusieurs reprises, que je représentais une "success story". Et pourtant, si les gens voyaient l'envers du décor, je doute qu'ils continueraient à penser cela...
Mes enfants ont 3 ans et 6 mois, un âge extrêmement prenant. Les journées commencent à six heures au plus tard, weekend compris, et je ne commence à souffler que lorsqu'il sont couchés. Enfin par "souffler", j'entends que mon mari et moi pouvons faire de la paperasse, la vaisselle, ranger le bordel etc... En ce moment ils sont malades (entrée à l'école du grand oblige, c'est "gastro party"...), et ça tombe mal car je suis en pleine mission de terrain hyper prenante. Mon mari et moi nous relayons entre l'école qui appelle, la nounou qui envoie un sms "la petite a 39°", le pédiatre, et nos boulots. La dernière fois, l'école a appelé, mon fils ne cessait de vomir, mais je ne pouvais absolument pas ne pas assurer un séminaire que j'animais, et mon mari était également professionnellement coincé. Personne n'est allé chercher mon fils, il a dû attendre l'heure habituelle. Quand je suis venue le chercher, il pleurait, avait été changé et douché par le personnel de la garderie car il s'était fait dessus, étant très mal. Je me suis sentie la pire mère du monde, et les regards du personnel n'ont pas aidé. Et au boulot, pas mieux... Il y a quinze jours, j'avais ramené du travail à la maison car, coincée par les horaires des petits, j'avais pris du retard dans la production de mon diagnostic. Couchée à point d'heure et physiquement épuisée, je suis partie le lendemain au travail en oubliant un dossier important sur la table de mon salon. Ambiance, ambiance quand ma responsable l'a vu.
Ce sont de simples micro-exemples du quotidien. Auxquels s'ajoute la frustration de ne pas passer beaucoup de temps de qualité en tête-à-tête avec mon mari. De peu voir mes parents. D'être fatiguée le weekend pour jouer ou faire du vélo avec mon fils. De me sentir mal les moments où je perds patience quand la petite me fout du petit pot potiron partout alors que je viens de laver. Sauf qu'elle a 6 mois, elle n'est pas responsable et lui gueuler dessus ne sert à rien... Quand je vais au cinéma, c'est un évènement... Je sors peu, et pourtant je suis tout le temps crevée. Les journées sont speed du début à la fin. Cette semaine, j'ai perdu deux kilos. Deux kilos d'épuisement. Il n'y a pas un jour où je ne questionne mon choix de vie. Pas un jour où je ne me demande si je n'aurais pas dû privilégier de vivre dans un endroit moins cher, où j'aurais pu me permettre de ne pas travailler. Mais j'aime mon travail. Peut-être aurais-je dû ne pas faire d'enfants, alors? Mais je voulais des enfants, c'était un besoin viscéral que j'avais au fond de moi, et je les aime. Alors quoi? Est-ce moi qui suis particulièrement nulle? Je ne peux pas me plaindre d'avoir un mari qui n'assume pas, on est sur un système égalitaire. Je ne peux même pas me plaindre d'avoir un employeur sexiste, ils sont plutôt conciliants. C'est juste que, à l'heure actuelle, je ne vois pas comment on peut tout bien faire. Honnêtement. Alors si certaines femmes ont le sentiment d'y arriver, tant mieux pour elles. Mais qu'on ne vienne pas me dire que c'est juste une question de choix, de disponibilité d'esprit, de "façon de voir les choses". Non, un métier à responsabilités c'est prenant et impliquant. Des enfants c'est chronophage et stressant. Les deux cumulés, c'est dur et on n'y trouve pas forcément de satisfaction masochiste comme c'est parfois sous-entendu.