@Aesma Oooh, des questions pour moi!
Alors, commençons par le point réglementation: la réglementation des plantes médicinales, c'est extrêmement compliqué si tu en vends, c'est le bordel pour donner des conseils santé personnalisés, mais quand tu veux juste faire des ateliers pour apprendre à reconnaitre des plantes et parler de leurs usages traditionnels, tu fais ce que tu veux! Et encore heureux, sinon on aurait plus le droit d'enseigner l'histoire de la médecine au prétexte que les gens risquent de s'ouvrir les veines dès qu'ils tombent malade parce qu'on leur aura parlé de l'existence de la saignée comme pratique thérapeutique...
En terme de réglementation de la vente et du conseil santé: la profession d'herboriste a été abolie sous le régime de Vichy (le même régime de Vichy qui a été responsable de la dernière condamnation à mort d'une "faiseuse d'anges" en France. On tient comme une idée commune. L'interdiction faite aux femmes d'étudier la médecine a été justifiée depuis l'Antiquité par un "sinon elles risquent de pratiquer des avortements.). Pendant un temps, brièvement et sans que ce soit appliqué, il a été déclaré que toutes les plantes médicinales ne pouvaient être vendues qu'en pharmacie; mais comme ça impliquerait d'aller en pharmacie pour acheter une gousse d'ail ou un chou, on s'est vite rendu compte que c'était pas une si bonne idée. À l'heure actuelle, la réglementation est donc la suivante: les plantes médicinales utilisées telle qu'elles (on ne parle pas d'utilisation d'une molécule isolée à partir d'une plante) sont divisées entre
liste A et
liste B: la liste A, celles dont l'usage est validé par la médecine conventionnelle, et liste B, celles dont on estime que le rapport bénéfices/risques n'est pas favorable. Elles ne sont pas nécessairement toxiques ou inefficaces pour autant... par exemple, tu as sur liste B la berce commune, réputée aphrodisiaque et emménagogue: les plantes réputées aphrodisiaques ont rarement pu faire la preuve de leur efficacité face à un protocole scientifique rigoureux (alors que ça fait partie des usages les plus demandés dans les herboristeries...); par contre c'est une excellente plante alimentaire et je suis convaincue qu'il y aurait d'autres trucs à rechercher du côté de ses effets anti-fatigue.
Parmi les plantes de la liste A
certaines sont libérées du monopole pharmaceutique en raison d'un usage traditionnel autre que médicinal longuement établi; en gros, c'est pour ça que la sauge est en vente libre (faut bien qu'on puisse aromatiser ses rôtis quand même) mais pas le souci (qui n'a jamais servi à autre chose qu'à des préparations pharmaceutiques, et qui est également parfaitement inoffensif). Pourtant la sauge est plus dangereuse d'utilisation (et là je vais rectifier un peu les infos données par
@Esmé. ): déconseillée en cas d'antécédents de cancers hormono-dépendants en raison de la présence de phyto-oestrogènes; abortive; contient une petite quantité de cétones neuro-toxiques, pas assez pour causer des soucis dans le cas d'un usage normal, mais faudrait pas non plus en boire trois tasses par jour toute l'année. La feuille de framboisier, elle, n'est pas abortive et a même été souvent conseillée pendant la grossesse; mais elle n'est maintenant plus en vente libre parce que justement elle était souvent conseillée en cure pendant toute la durée de la grossesse et que
les seuls qui soient plus jaloux de leur monopole que les pharmaciens c'est les gynécos comme il s'agit d'un usage sensible pour lequel les effets secondaires à long terme, notamment sur la santé de l'enfant, sont difficiles à évaluer, on a estimé qu'elle n'avait pas fourni assez de preuves de son innocuité (plusieurs siècles d'utilisation ne fournissant pas une preuve suffisante... ). Petits conseils de bon sens pour un usage sur des plantes médicinales: aucune plante ne devrait être consommée plusieurs fois par jour sur une longue durée sans avis médical, parce qu'il y en a très très peu avec lesquelles ceci ne risquerait pas de vous causer des broutilles. Ceci vaut aussi pour le thé et le café... À l'origine, si les plantes synthétisent des principes actifs, c'est pas pour rendre service aux humains, c'est parce que ça leur est utile; et parmi les bénéfices que les plantes elles-mêmes attendent de la synthèse de principes actifs, il y a... moins se faire brouter par les herbivores. Donc faire en sorte de leur causer divers inconforts quand elles sont consommées à haute dose; ou bien réduire la fertilité de leurs principaux prédateurs pour éviter qu'ils pullulent, et ceci explique l'existence de plantes abortives ou contraceptives.
On arrive aux trucs les plus abherrants de la réglementation des plantes médicinales: une plante qui n'est pas en vente libre peut quand même être vendue comme complément alimentaire; pour cela il suffit de remplir une déclaration de mise sur le marché (très légère et peu contrôlée), et c'est bon. Donc si on est pas pharmacien.ne dans l'exercice de ses fonctions avec une officine déclarée, on ne peut pas vendre de l'aubépine en tisane juste parce qu'elle a bon goût et que ça fait une bonne tisane relaxante pour le soir à boire une fois de temps en temps, par contre on peut la vendre sous forme de complément alimentaire concentré à prendre trois fois par jour pour la santé cardiaque.
Bref. Les espoirs d'évolution de la réglementation maintenant. Je te le fais en bref avec spoiler: t'as un sénateur qui lance un gros chantier de remise à plat de la réglementation basé sur les demandes des acteur.rice.s de la filière plantes aromatiques et médicinales, avec comme revendiquations: "on aimerait bien élargir un peu la liste des plantes en vente libre à quelques autres plantes inoffensives, avoir le droit de donner 2-3 conseils de confort de type "facilite la digestion" ou "favorise le sommeil", et ne pas risquer de perdre à tout moment notre droit à exercer notre métier parce que la réglementation est tellement floue et complexe que ça la rend inapplicable"; on se retrouve avec en réponse "il faut mieux surveiller les dérives sectaires". Apparemment, conseiller une tisane de thym à une personne enrhumée suffit à créer une relation d'emprise avec extorsion d'argent.
En lien
ici, un rapport établi par Joël Labbé, sénateur écolo du Morbihan, sur l'état de la filière plantes aromatiques et médicinales en France, dont je conseille chaleureusement la lecture.
Ici, un livre super sur l'histoire de la place des femmes dans la médecine; je te conseille, s'il t'intéresse, de te procurer la dernière édition papier, qui a été complétée par des informations sur son contexte d'écriture, qui inclut l'histoire de la lutte pour les droits reproductifs aux Etats-Unis (le texte original date un peu, les mises à jour et mises en contexte valent vraiment le coup).
Là et
là des ressources plante par plante sur les usages médicinaux.
Maintenant si tu veux 2-3 anecdotes sur les usages des plantes en lien avec les questions reproductives... (on en arrive à la partie fun)
- dans les procès en sorcellerie et les prêches des inquisiteurs, tu avais dans les accusations les plus courantes le fait que les sorcières "rendaient les femmes stériles et les hommes impuissants". Je ne doute pas une seconde de la véracité de cette affirmation, et suppose qu'elles étaient grassement payées pour ça. Dans un monde où le divorce était impossible et le viol conjugal non reconnu, forcément que rendre un mari impuissant, ça devait intéresser du monde.
- Supprimer la libido masculine était aussi un effet recherché par les moines, ils utilisaient pour cela un certain nombre de plantes comme la laitue vireuse (une laitue sauvage très répandue, on la voit pousser en ville dans les fissures des trottoirs, son suc très amer rend un peu somnolent), ou la ciguë en friction sur les parties génitales (la ciguë était utilisée comme anesthésiant local)
- les temps changent, alors qu'on trouve beaucoup d'indications au Moyen-Âge sur comment supprimer la libido, mes collègues bossant en herboristerie m'ont raconté voir passer au moins une fois par semaine des hommes qui demandent des compléments alimentaires pour booster les performances sexuelles... On conseille souvent pour ça des plantes dites "adaptogènes", c'est à dire stimulantes, anti-fatigue, ayant une action globale sur l'organisme pour l'aider à résister au stress, comme le ginseng ou l'éleuthérocoque. À l'origine, la recherche sur les plantes adaptogènes est née en Union soviétique dans le but de trouver des produits dopants pour les soldats lors de la seconde guerre mondiale; un chimiste de l'époque s'était intéressé à des rumeurs de plantes utilisées par les chasseurs de Sibérie pour traquer des animaux dans la neige toute la journée sans se fatiguer... Cinquante ans après, on se retrouve avec des pilules de ginseng en poudre vendues pour augmenter l'endurance de messieurs à qui on ferait mieux de commencer par conseiller de sortir du culte de la performance et d'écouter un peu plus leur partenaire.
Ajoutons que la partie utilisée est la racine du ginseng, alors que sa croissance est extrêmement lente et que niveau pillage des ressources naturelles, c'est pas ouf.
- Parlons de plantes plus facilement accessibles pour les problèmes d'impuissance masculine. Dans un très vieux livre sur les usages des plantes médicinales, j'ai trouvé des conseils d'utilisation de l'ortie pour les rhumatismes et l'impuissance masculine, "en flagellation sur les parties concernées", avec comme indiquation de renouveler les flagellations aussitôt que l'irritation a disparu, "jusqu'à obtention de l'effet désiré".
Les pratiques SM ne datent visiblement pas d'hier...
- Du côté des femmes, les plantes contraceptives étaient souvent utilisées sous forme de "pessaire", c'est à dire en suppositoire ou en ovule à insérer dans le vagin; ceci permet d'utiliser des plantes toxiques sans que leurs principes actifs soient filtrés par le foie.
-
la morelle douce-amère, liste B (donc usage déconseillé), est surtout connue comme dépuratif de la peau (dermatoses, eczémas, etc), mais a eu un usage plus confidentiel comme contraceptif et... était aphrodisiaque en plus d'empêcher la conception. Pour citer un médecin du 18° siècle, dans le langage châtié de l'époque: "ce remède, écrit J. B. F. Carrère, parait chez les femmes porter directement vers les parties naturelles ; il y excite beaucoup de chaleur, quelquefois des démangeaisons : il provoque même l’appétit vénérien ; je l’ai vu produire quelquefois ce dernier effet avec violence. Cet accident n’arrive pas toujours, quoiqu’il soit assez fréquent."
- beaucoup de plantes potentiellement abortives sont utilisées pour diminuer les douleurs lors des règles; dans les deux cas, grâce à leurs propriétés toniques utérines. La sauge, l'armoise par exemple... L'armoise, notamment, était utilisée par les jeunes filles qui approchaient de la puberté sous forme de "patch", c'est à dire qu'elles en coinçaient dans leur chemise, contre leur peau.
- dans les autres plantes abortives historiques, on peut citer la rue, la menthe pouliot, l'absinthe... et en contraceptif, la très banale carotte sauvage (dont l'efficacité semble réelle, mais limitée)