Beaucoup de choses ont déjà été dites, merci et soutien aux personnes blessées qui ont eu la patience de répondre. N'oubliez pas de prendre soin de vous et de vous autoriser à ne pas revenir quand vous avez mal.
J'ai envie de discuter de deux points qui m'ont semblé moins investis que les autres.
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Le premier, c'est à propos des "c'est difficile à lire", "c'est moche", le confort de lecture et d'écriture en général. Il faut penser aux mécanismes d'habituation du cerveau, il est très naturel que ce qui est nouveau provoque des réactions négatives, c'est une perception qu'on ne contrôle pas. Elle est au départ bienvenue puisque née d'un impératif de survie (dans la nature, c'est mieux de privilégier ce que l'on connaît et de se méfier de la nouveauté). Il faut savoir questionner cela et ne pas en rester à "ça me provoque cette réaction donc je rejette", parce qu'on n'est pas dans un contexte qui est cohérent avec cette réaction.
Je pense que ce qui se passe souvent, c'est que comme on ne peut pas savoir avec certitude pourquoi on ressent ça, on construit une explication qui semble coller avec notre état d'esprit et notre personnalité. Mais avant de se dire "c'est ma position et j'ai le droit de la défendre", il est des plus intéressants de questionner l'origine de cette position. Il y a de toute façon une composante personnelle dedans, on ne défend pas quelque chose quand ça n'a pas d'importance pour la stabilité de son psychisme.
Ce qui est rassurant dans le cas qui nous intéresse, c'est que changer une telle habitude est facile et rapide si tant est qu'on ne la refuse pas. Franchement, j'étais assez hostile à l'écriture inclusive quand je l'ai découverte et il n'a pas fallu plus de quelques mois avant de retrouver le même niveau d'effort que quand je ne m'en servais pas. Quant à la lecture, c'est encore bien plus rapide, vu que les terminaisons portent peu de sens. Je les lis à peine, mon cerveau a acquis un réflexe de "points/tirets avant la fin de la phrase > terminaison > pas besoin de s'y attarder je peux passer à la suite". Même chose pour l'oral, passés quelques instants de "ah tiens, c'est pareil", on s'y fait et on n'y prête plus attention (sauf si on fait exprès d'y prêter attention évidemment).
Il est bien sûr nécessaire de s'intéresser aux difficultés propres à chaque personne, notamment la dyslexie et la cécité. Mais ces sujets doivent faire partie des réflexions sur l'écriture, pas servir de joker argumentatif pour tout rejeter en bloc. On ne défend pas le respect si on utilise une minorité pour en invalider une autre... (Et c'est différent de dire "j'ai besoin de l'inclusif pour me genrer", toutes les personnes qui l'ont exprimé sur ce sujet ont précisé qu'elles étaient tout à fait d'accord pour s'adapter aux besoins des personnes dyslexiques et/ou malvoyantes.) J'ajouterais au passage qu'on peut être dyslexique et/ou malvoyant-e ET se genrer au neutre, donc se contenter d'abandonner l'inclusif ne suffirait pas.
L'écriture inclusive a de plus quelque chose de génial que je vois rarement relevé : comme elle n'est souple au niveau de ses règles, on peut se tromper, privilégier certaines formes, faire des tests progressifs et tout cela sans risquer de se faire attaquer par un-e "grammar nazi". Du coup, on peut sans souci s'entrainer et inclure de nouveaux termes au fur et à mesure sans pression.
Je termine ce premier point sur une remarque qui va me servir de transition pour la suite : les formes de type masculin + féminin (comme "ceux et celles" ou "auteurs et autrices") ne sont pas inclusives ! On ne désigne pas tout le monde avec, seulement les hommes et les femmes ! Ajouter le neutre uniquement sur demande, c'est considérer que les personnes qui en ont besoin pour se genrer ne sont à respecter que dans des cas particuliers et seulement si elles se manifestent (forçant de plus les outing). Que ces formes soient utilisées comme étape pour s'habituer à l'inclusif ou dans des contextes où malheureusement vous risquez des retombées nuisibles si vous allez plus loin que l'inclusion des femmes, je comprends tout à fait. Mais si vous avez le souhait de respecter toutes les identités, ça ne peut pas être votre écriture définitive.
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J'en viens à mon deuxième point, qui a été rappelé mais qui me semble encore à insister.
Quel que soit notre avis sur l'écriture inclusive, on se défend soi, on défend des idées qui ont de l'importance pour nous. On défend une vision du monde qui compte pour soi, des habitudes qui sont imbriquées dans une perception de ce qu'on est et on défend ses sentiments et ses sensations.
Mais on ne peut pas s'arrêter là et se dire que donc les opinions se valent et qu'on peut discuter de tout dans le calme. Si vous parvenez à exposer votre point de vue sans stress, eh bien tant mieux pour vous. Soit vous avez une maîtrise exceptionnelle de vos sentiments, ce qui n'est pas forcément bon signe si vous ne l'avez pas acquise consciemment pour votre épanouissement, soit, ce qui est le plus probable, ce que vous défendez ne touche pas à quelque chose qui vous bouleverse dans la vie au quotidien.
Les personnes qui s'emballent sur un tel sujet, pour elles ce n'est pas juste une conversation avec des idées différentes. Vous êtes face à des gens qui sont hanté-es en permanence par le danger de la transphobie. La peur de s'outer et de perdre des ami-es et/ou de la famille, de les voir faire volte-face et les descendre verbalement. La peur constante quand iels rencontrent de nouvelles personnes, parce qu'on ne sait jamais comment on va être reçu-e. Qu'est-ce qu'on fait si on nous mégenre, est-ce qu'on prend le risque de le faire remarquer ou bien est-ce qu'on essaie de se convaincre qu'on n'a pas si mal que ça ?
C'est dur d'être trans, c'est dur de grandir dans la négation d'une partie de soi et de devoir affronter toute la Terre pour ne plus la laisser pourrir à l'intérieur. On ne le fait pas par confort, on le fait parce que ça fait trop mal de continuer à s'ignorer et qu'on aspire à au moins s'approcher d'une estime personnelle correcte. Et franchement, je vous le dis, quand on passe ses journées à se prendre des regards, des gens qui se retournent ou demandent carrément "t'es un mec ou une meuf ?", à faire des stratégies dignes de séries Netflix pour essayer de passer des bonnes journées... ben un genrage dans lequel on se sent bien, ça fait une énorme différence. C'est pas une question de linguistique, c'est pas qu'on aime pas débattre ou quoi, c'est juste qu'un peu moins de transphobie dans le quotidien ça permet de souffler, de se dire qu'on va dans le bon sens et que ça valait le coût de continuer à vivre.
Et quand on a besoin d'un genrage neutre, on se fiche que d'autres considèrent que le masculin peut être neutre ou que telle ou telle forme devrait suffire. Ça ne répond pas au problème, ça ne répond pas à la réalité. Ça ne transmet pas l'idée qu'on respecte les identités et qu'on peut être un-e allié-e pour elles.
(Je précise au cas où : je prends en compte le fait qu'on puisse être non-binaire et ne pas vouloir se genrer en neutre, c'est pour ça que je tourne plutôt les phrases avec des "quand on a besoin". Parce que même si soi on est à l'aise avec un genrage binaire, ce n'est pas le cas de tout le monde et ça ne peut donc pas suffire.)
Cela n’empêche évidemment pas que vous choisissiez d'écrire comme vous le voulez, rien ne vous impose quoi que ce soit. Mais vous ne pouvez pas à la fois choisir ce qui vous plaît et refuser les conséquences sociales de vos choix. Si vous tournez le dos à l'inclusif, vous tournez le dos aux personnes qui en ont besoin et vous contribuez à leur mal-être. C'est un fait, il ne dépend pas de votre opinion.
Bonus : ce message est entièrement rédigé avec l'écriture inclusive. Et il contient en tout 8 pronoms et accords neutres. Une petite dizaine de caractères modifiés pour un texte qui en contient plus de 7 000.