J'ai vingt-quatre ans aujourd'hui (tiens tiens) et, pour moi, l'adolescence est une période longue et tumultueuse.
Je dirais que la mienne a débuté quand j'ai commencé à me rebeller face à l'ordre établi.
J'avais onze ans et demi, j'étais en Quatrième - avec deux ans d'avance, donc - et j'étais victime de harcèlement scolaire avec la complicité de l'équipe pédagogique, le tout dans un milieu extrêmement élitiste dans lequel il n'y avait pas de place pour la différence. Je subissais ça depuis que j'avais sauté le CE2, c'est-à-dire depuis quatre ans, et j'étais à bout. Alors j'ai commencé à répondre aux profs, à arriver en retard en cours, à rendre des copies blanches, à m'habiller n'importe comment... Bref, à provoquer les adultes, y compris mes parents, pour les faire réagir.
Le reste de mon adolescence a consisté à me démarquer des autres, par mes centres d'intérêt, mes opinions politiques et religieuses, mes choix vestimentaires et musicaux... Puisque l'on m'avait rejetée enfant, je m'ostracisais ado.
Cette période a pris fin après l'obtention de mon Baccalauréat, lorsque j'ai commencé à travailler à la ferme équestre de ma ville en Normandie. Là-bas, j'avais de vraies responsabilités, j'encadrais des clients qui avaient parfois trois fois mon âge et je bossais avec des adultes. Je n'avais que dix-sept ans mais je me sentais adulte, pourtant mes parents continuaient à me traiter comme une ado rebelle, donc je ne savais pas trop comment me situer. Mes dix-huit ans ne m'ont pas fait grand-chose, en revanche, mon premier vote à l'élection présidentielle de 2012 m'a profondément marquée: j'étais une citoyenne à part entière, et, pour moi, c'est aussi ça que d'être adulte.
Ensuite a commencé la période des études supérieures, avec les choix d'orientation, les petits boulots, le permis... et les soirées dans les bars ou en boîte, dans lesquelles tu peux rentrer puisque tu es majeure. Mais paradoxalement, je me sentais beaucoup moins adulte que quand j'avais dix-sept ans, puisque j'étais revenue dans un cadre académique et que j'avais réintégré le domicile familial. Et puis franchement, quand je repense à ce que mes potes et moi faisions à l'époque, on était vraiment des gosses
Et puis il y a eu ma réorientation vers les sciences pour réaliser mon rêve de devenir vétérinaire, et mon départ pour la Belgique afin d'y poursuivre mes études. Premier appart', premières factures à payer... Même si j'étais totalement dépendante de mes parents financièrement, c'était un nouveau pas vers "l'adultitude". Sauf que là-bas, j'ai explosé en vol, au point de terminer à l'hôpital. Et ce sont mes parents qui sont venus me chercher pour me rapatrier en France.
Et depuis... C'est compliqué.
C'est compliqué parce que j'ai souvent l'impression que ma vie ne m'appartient pas. Je ne suis pas restée à l'hôpital en Belgique pour mes parents. Je n'ai pas voulu être hospitalisée une fois revenue en France pour eux aussi, alors que mon psy me l'a conseillé à trois reprises. Je me suis inscrite en Master comme ils le souhaitaient, j'ai fait tout ce qu'ils voulaient que je fasse. Comme une enfant sage. Je les ai laissés m'infantiliser tout en nourrissant un ressentiment croissant à leur égard, comme une ado. Jusqu'à ce que je craque à nouveau, tellement j'étais malheureuse de ces choix faits à contrecoeur.
Et là, j'ai pris ce que je pense être ma première décision d'adulte: j'ai demandé à être hospitalisée. Je leur ai expliqué ma décision dans une lettre que je leur ai lue, et je l'ai réaffirmée devant eux chez mon psy. Je suis allée jusqu'au bout de ma démarche, et c'est à la clinique que je me suis sentie plus adulte que je ne l'avais jamais été jusqu'alors, et que j'ai compris ce que cela voulait dire pour moi: être adulte, c'est être autonome. L'autonomie, ce n'est pas nécessairement l'indépendance, financière ou autre. C'est le fait de faire ses propres choix et de se fixer soi-même un cadre. C'est être responsable, en quelque sorte. Et c'est pour cela qu'à mon sens, il y a des "ados" de treize ans qui sont bien plus "adultes" que des "vieux" de quarante.
Aujourd'hui, j'ai l'impression de sortir de l'adolescence. Je suis encore en quelque sorte en rébellion contre mes parents, mais pas parce que je les trouve cons ou nuls: parce que je veux qu'ils intègrent enfin que c'est moi la cheffe de ma vie, et notamment de mon corps (kikou le piercing au cartilage). J'habite toujours chez eux (mais plus pour longtemps, j'espère) et je dépends encore d'eux financièrement. Et, surtout, ils restent d'une certaine façon le centre de mon monde, pour le meilleur comme pour le pire. En revanche, je suis désormais libre dans ma poursuite (ou non) d'études, je mange de façon totalement indépendante pour mieux gérer mes TCA, je ne leur parle pas de ce que me disent les médecins si je n'en ai pas envie et je leur demande plus leur avis sur tout. Bref, je me gère, du mieux que je peux. C'est pourquoi je me définirais comme "adolescente".
Je crois que je me sentirai pleinement adulte le jour où je ferai vraiment mes choix moi-même. Et lorsque je râlerai contre "ces gamins qui mettent de la musique de sauvages le Samedi soir".