Je ne sais pas si tu as tort; je sais en revanche que je comprends ce que tu ressens, étant moi-même dépressive.
Elle est venue s'incruster cinq fois, cette poufiasse.
La première, j'avais dix ans, deux ans d'avance et j'étais victime de harcèlement scolaire. Je n'ai su que plus tard que j'avais été malade, mais putain, le terrain que ça a préparé...
La seconde, j'avais quinze ans, je venais de subir une orientation forcée après que l'on m'ait dit que mes résultats étaient insuffisants pour entrer en bac scientifique et réaliser mon rêve de devenir vétérinaire, le harcèlement avait recommencé, je ne montais plus à cheval alors que ça avait (a) toujours été mon échappatoire... Ce coup-ci, j'étais plus renseignée, j'avais conscience de ce qui se passait, mais il était hors de question que j'en parle - comme toi, ma mère vient d'une famille dans laquelle "on ne s'écoute pas".
La troisième a été terrible; j'avais dix-huit ans et c'était suite à ma démission de la ferme équestre dans laquelle je travaillais et qui était toute ma vie. J'ai essayé de me faire aider, mais la psychiatre que j'ai vu n'a fait que me prescrire des anti-dépresseurs sans me proposer de thérapie donc je lui ai claqué la porte au nez et j'ai déchiré l'ordonnance.
La quatrième, c'était il y a bientôt deux ans quand j'avais vingt-deux/vingt-trois et ça a été encore pire, au point que j'ai failli y passer. J'avais finalement décidé de me réorienter pour réaliser mon rêve et j'étais partie étudier la médecine vétérinaire en Belgique, mais ça s'est très mal passé dès le début et je suis retombée malade à la vitesse de l'éclair, pour finir aux Urgences dans un semi-coma et avec une seule phrase à la bouche: "je veux mourir". Sauf qu'entre-temps, j'avais rencontré mon psychiatre, un médecin formidable à qui je dois la vie; et j'étais déjà sous anti-deps, mais ça n'a pas suffi.
C'est pourquoi la cinquième est arrivée l'année dernière, quand j'ai fait mon entrée en Master pour faire plaisir à mes parents alors que j'étais encore totalement traumatisée par mon échec en Belgique. Et là encore, j'ai manqué mourir, parce que les pulsions suicidaires sont revenues avec une violence inouïe. Sauf que cette fois, j'ai décidé de prendre le taureau par les cornes et j'ai demandé à être hospitalisée. J'ai passé un mois dans une clinique psychiatrique et ça a changé ma vie.
Aujourd'hui, je ne dirais pas que je suis guérie, d'autant que mes antécédents familiaux font que la maladie fera peut-être toujours partie de ma vie, mais je vais bien. Je suis blindée de médocs avec tous les effets secondaires que cela implique, je vois mon psychiatre toutes les trois semaines et ma psychothérapeute une fois par semaine, ainsi qu'un psy spécialisé dans les troubles du comportement alimentaire, je retourne à la clinique chaque Mardi pour participer à un groupe de parole sur les TCA justement, j'ai toujours des moments d'immense tristesse, j'ai les larmes aux yeux dès que je croise un SDF, je fais régulièrement des crises d'angoisse, j'ai beaucoup de mal à dormir malgré les somnifères, l'alimentation et le rapport au corps et au poids restent très compliqués pour moi et j'ai agrandi ma collection de cicatrices, mais je profite de ma vie et j'ai envie qu'elle continue. Et surtout, je suis fière de moi et du chemin que j'ai parcouru - même si je sais qu'il me reste encore un bon bout de route à faire.
Alors oui, je partage tes inquiétudes pour l'avenir: est-ce qu'elle va revenir, quid de mes autres troubles psychiques (anxiété, insomnies sévères, personnalité tendant vers le borderline, anorexie-boulimie, comportements auto-destructeurs...), est-ce que je pourrais avoir une vie "normale", un travail, un copain, des enfants, d'ailleurs est-ce que c'est raisonnable de vouloir des enfants connaissant l'hérédité pourrie que je leur transmettrais...
Mais j'ai pris (et on m'a fait prendre) conscience que je ne pouvais pas savoir tout ça, et que ce qui compte, c'est le présent. Ça paraît hyper cul-cul mais à chaque fois que tu souris devant un chien qui remue la queue / un bébé dans sa poussette / une vidéo à la con, c'est une petite victoire contre la maladie. Or il n'y a pas de petites victoires, comme dirait l'autre. Donc "connecte-toi", aux autres, à la nature...
Accumule les expériences positives, et essaye de faire fi de ce sentiment de culpabilité omniprésent (c'est méga-dur, je sais). Les médocs, ben... ça fait chier, c'est clair, et je connais ce sentiment d'échec, mais il faut ce qu'il faut, et si ça te permet par exemple de partir en randonnée à cheval dans les Pyrénées et d'y passer l'un des meilleurs moments de ta vie comme cela a été mon cas en août, fais avec et dis-toi que ça ne sera pas pour toujours.
Dans tous les cas, répète-toi cette parole de la chanson "Jennifer" de FAUVE, qui m'aide souvent et m'a permis d'aider mes camarades de lutte à la clinique: "Le jour se lèvera, forcément au moins une fois".
Des bisous, prends soin de toi et de ce qui t'es cher